On a lu… Pilou l’Apprenti Gigolo (T. 1 & 2) de Junko Mizuno
Rentrer dans l’œuvre de Junko Mizuno, c’est en quelque sorte passer de l’autre côté du miroir. Un univers décalé, tordu et parfois dérangeant mais qui exerce une vraie fascination. Après avoir franchement dépoussiéré Hansel & Gretel, La Petite Sirène et Cendrillon, depuis 2010, elle nous propose Pilou l’Apprenti Gigolo, une histoire originale dans tout les sens du terme et dans la plus pure tradition Mizuno. Bienvenue dans un monde pop mais terriblement cruel!
Pilou vient de la planète de la Princesse Kotobuki, un monde paradisiaque uniquement peuplé de femmes se baladant toute la journée, les seins à l’air. Point de mâle à l’horizon et pour cause puisque ces amazones de l’espace se reproduisent toutes seules comme des grandes, par un procédé des plus étranges. Deux «créatures ovariennes» ressemblant à des petits nuages s’accouplent dans le ventre de celles-ci et donnent alors naissance à une nouvelle fille. En fait, Pilou est l’une de ces «créature», l’un de ces petits nuages cotonneux sur patte tout kawai, qui est sorti du ventre d’une jeune fille venant de se faire bouffer par un hippo de l’espace… Dès lors, Pilou, lui aussi veut une femme et un enfant. Du coup, grâce au miroir magique de son pote l’hippo, il débarque sur Terre en quête de la femme qui portera sa progéniture.
Heu… Bon, j’ai certainement dû en perdre quelques-uns en route… Désolé…
Pour ceux qui sont encore là, soyez les bienvenus chez Junko Mizuno (portrait ici), grande prêtresse du trip sous acide ultra-kawai et plus subversif qu’il n’y parait. Arrivé dans notre monde, Pilou découvre avec émerveillement tout ce qu’il a à offrir: sa nourriture, sa faune et sa flore et particulièrement toutes ses magnifiques femmes aux formes généreuses et aux coiffures de princesses, qui lui font tourner la tête. Pilou tombe amoureux à chaque nouvelle rencontre mais va de désillusion en désillusion. Traité plus comme un animal doué de parole que comme une personne, il se rend compte peu à peu qu’avec son physique de boule de coton, il n’a aucun chance. Accompagné du son pote clochard Fu, il va voir cette Terre Promise se transformer peu à peu en enfer.
Sous ses airs sucrés, pop et psychés, Pilou l’Apprenti Gigolo, à l’instar de tout les autres titres de Mizuno, Pure Trance en tête, propose un récit tordu à souhait. Chaque chapitre propose une nouvelle rencontre avec une jeune femme et chaque rencontre donne lieu à une micro-histoire dans laquelle la candeur et l’optimisme de Pilou viennent se fracasser contre la triste et parfois cruelle réalité. Derrière les magnifiques visages de nacre de ces voluptueuses créatures, derrière le texte gentillet et le trait tout en rondeur se cache très souvent une noirceur toute autre. Au cours de ses pérégrinations, Pilou va découvrir la bassesse et la misère humaine. Des drogués, des pornstars de mère en fille, des présentatrices TV de jeux débiles, des cobayes d’expériences pharmaceutiques, Junko Mizuno nous balance une critique acerbe et piquante, un portait au vitriol de notre société.
Dans ce monde à la fois noir et rose bonbon, on retrouve une figure omniprésente, toujours au cœur dans son œuvre, celle de la femme. Libres, sensuelles et insoumises, ceux sont des poupées à la peau de porcelaine, des pin-ups souvent nues, des mères, des filles, des sirènes, des princesses, des écolières, des extra-terrestres ou encore des pornstars et elles sont l’objet de tout les désirs. Junko Mizuno sexualise ses personnages féminins sans pour autant jamais tomber dans le graveleux et le voyeurisme. Elle en fait des êtres désirables, insaisissables, quasi-mystiques mais avant-tout, elle voit en elles des êtres matriciels, perpétuant la vie. C’est ici, tout le sens de la quête de Pilou. Mais clairement, la route est longue.
Si on devait regretter une chose, c’est quand même l’effet de compilation que provoque la lecture. On retrouve un semblant de suivi dans le récit mais les chapitres paraissent quelque peu interchangeables, à quelques exceptions près. Même si on ne se lasse pas de découvrir à chaque fois une nouvelle facette de son monde, la succession de micros-histoires à tendance à trop déliter le récit. Ces précédents one-shots, plus courts, plus ramassés et peut-être même plus «WTF?!», étaient du coup plus percutants.
Malgré tout, voir ce pauvre Pilou subir tout les sévices et les vices qu’offre notre belle planète, reste un vrai régal. Tendre, cruel, pop et subversif, avec son Pilou l’Apprenti Gigolo Junko Mizuno continue d’égratigner notre société dans un trip bubblegum complètement barré. On attend donc le tome 3, prévu pour novembre prochain, avec impatience.
Pilou l’Apprenti Gigolo de Junko Mizuno aux éditions Imho
