
Inside Man Men : Rencontre avec Matthew Weiner (en direct de Séries Mania)
Hier, Séries Mania recevait Matthew Weiner, showrunner de Mad Men, dans une salle 500 bondée. Au programme, Inside Mad Men, une analyse de l’épisode final de la saison 6 « In care of » (traduit en français par le titre « A vos bons soins »), menée par Olivier Joyard des Inrockuptibles.
Quand on dit que cette rencontre aété menée par Olivier Joyard, on ne pourrait pas être plus loin de la réalité. Loin de moi l’idée de remettre en cause ses compétences, mais il a face à lui Matthew Weiner, un habitué de l’exercice et un homme connu pour son besoin de contrôle. C’est donc principalement Weiner qui mènera lui-même la discussion. Si l’article qui suit vise à vous relater cette rencontre, il ne pourra pas vous rendre compte de son aspect chaotiquo-comique. Weiner est à l’aise, ri de lui-même et de ses personnages, passe d’une idée à l’autre avec une rapidité qui rend compte de sa façon de penser. Loin dans sa structure de la narration nette auquel sa création, Mad Men, nous a habituée, il manie pourtant comme dans celle-ci l’anecdotique avec brio pour nous donner le sens de son travail et des réflexions qui l’accompagnent.
Dans cet ordre d’idée, il comparera d’ailleurs le spectateur à un chat que le showrunner doit parfois, souvent, jeter dans la confusion pour garder à la série son caractère de divertissement.
Sur ses personnages, il nous dira que Don n’est pas un surhomme, ni un anti-héro. C’est juste un homme avec ses failles, un homme faible, dont l’élément vital est fondamentalement la honte.
Soulevant une phrase qui l’a ému, Olivier Joyard cite la déclaration d’amour de Ted à Peggy quand il lui annonce qu’il l’aime tellement qu’il doit partir. Matthew Weiner répond que cette scène vise plutôt à resituer Peggy elle-même dans la saison. La scène tend vers sa réponse à elle : « Well, aren’t you lucky to have decisions ». La conférence laisse cette empreinte, Weiner définit les personnages ou leur évolution par une réplique forte, dont la grammaire importe moins que le style, et qui sera à elle seule le but de différentes scènes structurant tout pour converger vers ce point.
Il en va ainsi bien sûr de la scène finale de l’épisode, et de la saison, point d’orgue de l’évolution d’un Don qui est traversé de réalisations furtives de ses manquements. Des éclairs de lucidité dans sa fuite en avant.
Dans cette logique, Weiner nous met en perspective des personnages outils : Ted n’a de raison d’être que pour Peggy et pour perturber malgré lui sa relation avec Don. Tout comme Bob Benson n’existe qu’au bénéfice, si j’ose dire, de l’évolution de Pete.
Beaucoup de fans disent à Weiner leur forte identification au personnage de Sally, la fille de Don. Weiner, lui, se défend de se voir dans celui de Don et nous annonce que pour lui ce serait plutôt Pete Campbell (information qui me laisse pensive tant le rôle de Peter Campbell est par essence celui du clown blanc dont le destin souvent dramatique est tourné en élément de comédie).
Concernant plus prosaïquement ses méthodes de travail, la conférence regorge là encore d’anecdotes. Weiner ne dément pas sa réputation de maniaque du contrôle en nous racontant les espèces de transes dans lesquels il peut entrer en créant les éléments importants des dialogues, où personne ne doit piper mot pour ne pas le troubler, lui qui n’a pas de mémoire à court terme. A la question de savoir s’il laisse place à l’improvisation, il annonce que les acteurs n’en veulent pas. Il raconte même que quand John Slattery (qui joue Roger Sterling) a voulu changer une phrase difficile à énoncer, il a réussit à lui faire entendre raison, et qu’ensuite celui-ci n’a plus parlé de faire de changements.
Avant d’être showrunner, Matthew Weiner est avant tout un auteur. Il n’aime pas les scènes d’exposition et les réduits toujours au maximum, mais s’inquiète de savoir si elles restent suffisamment claires, si le public comprendra. Il visualise tellement les scènes du point de vue des personnages que pendant le tournage il ne retrouve pas cette vision qu’il avait imaginé dans celui du spectateur, parfois pour le meilleur. Il galère à faire entrer l’épisode dans le temps si précis qui lui est accordé, mais profite de cette nécessité pour revoir sa copie et éliminer tout le superflu. Il donne des pistes de réflexions aux auteurs présents dans la salle, en racontant l’importance de penser à des détails comme le temps qu’il fait dans la scène ou si celle-ci a lieu de jour ou de nuit, qui peuvent donner une tonalité très différente. Mais il dit aussi l’importance de ne pas rester bloqué sur ce choix s’il n’est pas nécessaire.
Il rend hommage aussi à travers toute la conférence aux gens avec qui il travaille, en expliquant que leur expertise est un outil qui lui permet une certaine liberté. Il parle entre autres de Don Devine, camera operator, qui crée des mouvements de caméras déments pour rendre possible ses envies folles. De la confiance qu’il a en Christopher Manley, directeur de la photographie, qui excelle à créer des effets de lumière complexes qui porteront les scènes.
On pense finalement à sa description de Don en sortant de la conférence. Après une heure et demi en sa compagnie, Matthew Weiner n’est ni un surhomme, ni un anti-héro, on a rencontré un homme, avec ses doutes, ses coups de génie, ses convictions, ce qu’il crée, ce qu’il ne pourrait être sans les autres et on avait grande hâte de retourner l’écouter parler de sa vie et de ses influences cinématographiques. Il pourrait nous reparler peut être de Wong Kar Wai, puisque le plan de Don assit de dos sur le canapé est directement un hommage à son travail.