
Interview : Alexandre Poncet : « Jurassic Park, Avatar, Le Hobbit… sont tous des films de Ray Harryhausen »

Ray Harryhausen et ses créatures (crédit photo : Martin McNeil/WireImage, via Getty Images)
Disparu voici deux semaines à Londres, à l’âge de 92 ans, Ray Harryhausen aura marqué l’Histoire du cinéma par les univers fantastiques qu’il a contribué à créer dans des films aussi inoubliables que Le 7e Voyage de Sinbad, Jason et les Argonautes, La Vallée de Gwangi ou encore Le Choc des Titans. Des oeuvres anciennes dont les effets spéciaux artisanaux peuvent sembler aujourd’hui bien désuets à côté de l’ultra-sophistication des images de synthèse, mais qui ont pourtant traumatisé à vie des cinéastes aussi confidentiels que George Lucas, Steven Spielberg, Tim Burton, James Cameron ou Peter Jackson. Après l’hommage que lui ont rendu nos experts Sheppard et Gilles Da Costa via des articles respectifs sur Le Monstre des temps perdus et sur Jason et les Argonautes, il nous paraissait juste de revenir une dernière fois sur l’héritage laissé par Harryhausen via une interview d’Alexandre Poncet, journaliste à Mad Movies et producteur du documentaire Ray Harryhausen : le Titan des effets spéciaux, réalisé par Gilles Penso et disponible en DVD courant juin chez Rimini Editions.
Daily Mars : Qu’est ce que le cinéma perd avec la disparition de Ray Harryhausen ?
Alexandre Poncet : Il avait presque 93 ans, on peut donc dire qu’il a bien vécu mais sa mort représente quand même un tournant émouvant dans l’Histoire du cinéma. Il a beau avoir pris sa retraite en 1982 (même si il s’etait remis au travail récemment pour finir un court métrage de son enfance), Ray était encore un symbole fort aujourd’hui. Celui d’une ère où quelqu’un, tout seul (et j’insiste sur ce “tout seul”), pouvait créer des mondes, des univers, de la fantaisie, des rêves sur grand écran avec un coté extrêmement artisanal et appeler le public à apprécier ce côté artisanal. Aujourd’hui, quand on voit des blockbusters hollywoodiens, ce sont des oeuvres de comité, mobilisant jusqu’à mille personnes sur les effets spéciaux, autant dire une armée. La plupart du temps, le resultat est lisse, parfait, aussi photoréaliste que possible. Les effets spéciaux de Ray Harryhausen, eux, n’étaient pas du tout réalistes mais ils nous amenaient justement à une vraie réflexion sur la nature des effets spéciaux : est ce que des rêves au cinéma doivent être photoréalistes ? Au fur et à mesure que l’image de synthèse s’est imposée, de plus en en plus de gens ont développé une vraie nostalgie du travail de Harryhausen. Maintenant, il appartient définitivement au passé.
Pour les lecteurs qui ne le savent pas forcément, quelle technique d’effets spéciaux lui doit-on ?
On dit souvent par erreur que Ray Harryhausen est le père de la stop motion, à savoir l’animation image par image de marionnettes dans des décors miniatures. Il n’a pas inventé la stop motion, qui remonte vraiment aux origines du cinéma. Il a créé en revanche la dynamation, pour Le Monstre des temps perdus, une technique qui consistait à filmer ses créatures devant une retroprojection de décors réels, qui ont été filmés au préalable avec les acteurs. C’est une technique qui n’est pas si évidente à expliquer simplement mais dans notre documentaire Le Titan des effets spéciaux, Randy Cook le fait très clairement ! (les anglophones qui souhaiteraient en savoir plus sur la dynamation peuvent aussi se rendre sur le site officiel de Ray Harryhausen )

Le 7e voyage de Sinbad, de Nathan Juran (1958)
Mais peut-on dire qu’il a fait école avec la dynamation ?
Il n’a pas vraiment fait école en terme de technique, mais il a poussé énormément de cinéphiles à faire de la stop motion, plus encore que son mentor Willis O’Brien. Il a aussi poussé les gens à s’intéresser aux univers fantastiques, il a ouvert les imaginaires de plusieurs générations, il a remis au goût du jour des imageries mythologiques qui n’intéressaient plus les producteurs et il a donné à ces mythologies une personnalité supplémentaire, comme dans Jason et les argonautes ou Le 7e voyage de Sinbad. Harryhausen développait lui-même ses histoires, il est vraiment l’auteur de ses films : pour Jason et les Argonautes, on ne parle pas d’un film de Don Chaffey mais bien d’un film de Ray Harryhausen et pour cause, c’est vraiment lui qui avait initié le projet (dont il était producteur associé – NDJP). Depuis Le 7e Voyage de Sinbad, il participait au développement des scénarios et concevait les storyboards à partir desquels travaillaient les réalisateurs. Ces derniers dirigeaient les acteurs, mais Ray dirigeait les scènes d’action.
A-t-il créé son propre studio, comme les grands artistes d’effets spéciaux type Stan Winston, Phil Tippett ou Greg Nicotero ?
Non, il n’en avait pas besoin parce qu’il travaillait vraiment en solitaire. Il est le seul dans l’Histoire du ciné, j’insiste encore, à avoir fait ce qu’il a fait. Il a eu deux assistants sur Le Choc des Titans à la suite d’un problème de caméra, pour éviter d’etre hors délais mais sur les 14 films précédents auxquels son nom est associé, il était seul. Sauf le tout premier (Monsieur Joe – NDJP), où il était sous les ordres de Willis O BRien. Harryhausen était vraiment un artisan : dans Le titan des effets spéciaux, sa fille nous explique qu’il faisait cuire ses créatures dans le four familial.

Jason et les Argonautes, de Don Chaffey (1963)
En quoi Peter Jackson, James Cameron ou Steven Spielberg lui doivent tant ?
Quand Peter Jackson fait Le Seigneur des anneaux, il réalise un rêve d’enfance, à savoir faire “un film de Ray Harryhausen”, idem pour James Cameron avec Avatar ou Steven Spielberg avec Jurassic Park…
Pardon pour mon inculture, mais je ne saisis pas clairement l’influence de Ray Harryhausen dans Avatar…
Les héros des “films de Ray Harryhausen” sont souvent des gens qui prennent un bateau ou autre pour se rendre sur une ile mystérieuse et qui découvrent un monde fantastique avec des créatures autochtones, qui ont une personnalité authentique. Qui ne sont pas forcément réalistes, mais parfaitement intégrées à l’image. Tu saisis mieux l’influence sur Avatar ?
Toi qui l’a fréquenté dans le cadre de la production du Titan des effets spéciaux, sais tu de quels cinéastes lui-même était-il admiratif ?
Il était un grand fan de Chaplin et de l’âge d’or du cinéma américain en général. Il lisait souvent des biographies ou autobiographies d’acteurs. Il était évidemment très impressionné par le travail de Spielberg sur Jurassic Park et de Lucas sur Star Wars. Il disait d’ailleurs que c’est Star Wars qui lui a fait comprendre que c’était au tour de Lucas désormais de divertir les foules, parce qu’il était plus en phase avec le public.
La petite séquence de la partie d’échecs entre Chewbaccah et R2D2, à base de créatures animées en stop motion, est d’ailleurs un hommage à Ray Harryhausen, non ?
Absolument et Phil Tippett, l’un des deux responsables de la séquence, est un parfait exemple d’émule de Harryhausen. Quand il était petit, il a rencontré un jour Ray Bradbury qui lui a demandé ce qu’il voulait faire plus tard. Tippett a répondu : “Je veux faire Ray Harryhausen”. Et son but dans la vie a été vraiment de devenir l’héritier de Ray Harryhausen. Quand tu te rends dans son studio, tu vois que Harryhausen est partout, via des affiches, photos, portfolios, signatures, statuettes, c’est une inspiration permanente. Quand il travaille avec son équipe et la brieffe sur des images de synthèse à concevoir pour tel film, il leur donne souvent en modèle un film de Ray Harryhausen.

Le Choc des titans, de Desmond Davis (1981)
Comment avez vous réussi à convaincre sa fondation de co-produire votre documentaire ?
On a développé l’idée de ce documentaire en 2009 avec Gilles Penso. J’ai sollicité Chris Wallas, maquilleur entre autres sur La Mouche et Le Festin Nu et qui avait travaillé sur Le Dragon du lac de feu avec Phil Tippett. Il m’a suggéré d’interviewer plutôt Randy Cook, qui a participé à l’animation du Seigneur des anneaux et de SOS fantomes. Sans nous le dire, Cook a envoyé un message à la Ray and Diana Harryhausen Foundation à Londres, qui nous a contacté pour en savoir plus. Plus tard, on leur a envoyé un rough cut de 74 minutes et après plusieurs mois de silence parce qu’ils étaient en pleine préparation des 90 ans de Ray à Londres, Tony Dalton (l’auteur des livres sur Ray) est revenu vers nous en nous disant “On adore ce que vous avez fait, vous ne voudriez pas qu’on le coproduise avec vous ?”. Et en juin 2010, Gilles et moi avons été invité aux 90 ans de Ray à Londres, un événement spécial avait été organisé avec comme invités Phil Tippett, Ken Ralston, Rick Baker, Peter Jackson, Peter Lord, Nick Park, Edgard Wright, Simon Pegg, Terry Gilliam, Caroline Munro… J’ai rencontré Ray ce soir là.
Te souviens-tu des premiers mots que vous vous êtes échangé ?
Heuuuu oui mais je le garde pour l’article que je suis en train d’écrire pour Mad Movies ! En tout cas, je ne garde de lui que des souvenirs géniaux. Je m’attendais à voir un vieux monsieur diminué, il l’était physiquement mais mentalement il avait le cerveau d’un homme de 40 ans et les discussions avec lui étaient extraordinaires. Il nous a accueilli à bras ouverts, j’ai des souvenirs de lui regardant notre film sur un Mac book posé sur ses genoux, sa fille à ses côtés, le sourire aux lèvres… C’était très émouvant. Il était un grand homme, extrêmement charismatique et aussi, ce qu’on ne dit pas assez, très drôle. Un humour très pince sans rire.

La Méduse dans Le Choc des titans, l’une des plus inoubliables créatures conçues par Ray Harryhausen avec les squelettes vivants dans Jason et les Argonautes et le cyclope du 7e voyage de Sinbad
Pour finir, que restera-t-il de Ray Harryhausen selon toi en définitive ?
Même si dans la rue, la plupart des gens ignorent son nom, personne n’oubliera jamais son travail. Dés qu’on parle de Jason et les Argonautes, les réactions sont immédiates : “Ha ouiii, j’ai vu ca quand j’étais petit, l’attaque des squelettes !”. Ray laissera un souvenir d’enfance permanent et ce souvenir d’enfance sera propagé à travers les générations par le souvenir des films qu’il a lui même inspiré : Jurassic Park, Le seigneur des anneaux, Le Hobbit ou Avatar.
Ray Harryhausen, le titan des effets spéciaux, de Gilles Penso (Frenetic Arts). Sortie DVD en juin (Rimini éditions).