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#Interview #Critique Anathema – The Optimist (Kscope / Snapper Music)

#Interview #Critique Anathema – The Optimist (Kscope / Snapper Music)

Note de l'auteur

Trois ans après un Distant Satellites qui avait fini de les mettre sur orbite, les Anglais d’Anathema reviennent avec The Optimist. Depuis la fin du mois de mars, les Anglais nous aiguillonnent, d’abord avec un premier single, Springfield, puis une série de petites pastilles vidéo plutôt énigmatiques. Poursuivant leur lente migration, qui les a éloignés de leurs débuts au sein des « Peaceville Three » vers des sons plus apaisés (du moins en apparence). Fin avril, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Vincent Cavanagh, l’une des voix du groupe, pour discuter, entre autres, de l’enregistrement de l’album, mais aussi d’astrophysique et de musique du monde bien de chez nous.

Anathema - The OptimistVif, drôle et extrêmement loquace, ce ne sont pas exactement les premiers mots qui vous viennent à l’esprit au sujet du chanteur d’Anathema, le Liverpuldien Vincent Cavanagh. Pour qui connaît – même un tout petit peu, même pas très bien – le groupe, il est difficile de faire coïncider l’image mentale produite par leur musique avec la réalité du personnage. L’homme est à mille lieues, à la fois des atmosphères dépressives et survoltées de leurs débuts – aux croisements du doom et du death metal – et des expérimentations électro-euphoriques de leur dernier album, Distant Satellites. La tête enfichée dans un bonnet à grosses mailles, en dessous duquel pointent deux yeux clairs et malicieux qui vous scrutent, il vous répond d’une voix douce avec un accent anglais assez prononcé et, surtout, un débit affolant. Sa parole est un flot continu, assez sinueux, plein de répétitions, de retours en arrière, d’autocorrections, de précisions et de passages du coq à l’âne, et à tout un tas d’autres animaux de la basse-cour au passage. Sous son couvre-chef et ses bouclettes, vous sentez que ça travaille en permanence, là-dedans ; impression confirmée dès le début de l’entretien.

« On est en permanence en train d’écrire, de composer. Même quand on enregistre un album, on écrit des trucs pour celui d’après ; pendant la tournée aussi, et puis entre les tournées, à la maison… On est tout le temps en train de penser à la musique, de griffonner, de jouer des trucs. J’ai fait ça tout le week-end dernier. Je ne fais que ça. Ça ne s’arrête jamais ! »

Vincent Cavanagh en concert à Katowice (Pologne) en 2004

V. Cavanagh à Katowice en 2004 (Krzysztof Raś – avec son autorisation, CC BY-SA 2.5, )

Comme s’il ne semblait pas avoir sa dose de caféine au naturel, Vincent marque alors une micro-pause, hèle un serveur et commande un expresso, avant d’enchaîner sur le récit de la genèse du dernier album d’Anathema, The Optimist.

« Concrètement, le travail a commencé aux alentours du mois de mai 2016. J’ai loué un petit local d’enregistrement à Londres. J’y ai entassé tout mon matériel et j’ai monté une sorte de “home studio”. J’ai appelé Danny [Cavanagh, le grand frère de Vincent et une “tête pensante” du groupe avec Vincent et leur batteur, John Douglas, ndlr]. Danny s’est pointé et il a dit : “OK, on y va ! C’est parti ! Qu’est-ce qu’on a ?”. La première chanson qui est sortie de ces séances de travail et qu’on a finalisée, c’était une chanson à lui. C’était The Optimist. Après, on a continué sur notre lancée et on en a “machinées” quelques autres. Et puis John est arrivé. Il a apporté ses idées. On a travaillé avec lui. Au bout de quelques mois, on avait une première série de chansons de prêtes et c’est là que l’album a commencé à prendre forme. »

L’un des aspects les plus frappants de ce nouveau disque, c’est une grande fluidité et une cohérence qui n’excluent cependant pas une grande richesse. En effet, alors que certains albums passés, comme le magistral A Natural Disaster (paru en 2003) étaient principalement l’œuvre de Daniel, The Optimist, quant à lui, transpire le collectif.

Anathema – A Natural Disaster « John, Danny et moi, on a vraiment travaillé en équipe, plus sur cet album que sur n’importe quel autre depuis… longtemps. Tous les trois, c’est un peu comme si on partageait qu’un seul et même esprit, pointé vers un seul et même objectif, à 100 %. On forme un trio très soudé. On s’épaule. C’est beaucoup de travail. Mon dieu, c’est beaucoup de travail mais, avec le temps, on voit le résultat. Il faut qu’on continue comme ça, en restant ouvert aux propositions des uns et des autres, en travaillant à proximité les uns des autres, pas séparément, pas chacun de son côté et en rassemblant les morceaux à la fin mais, vraiment, en écrivant ensemble – le concept, les idées, les paroles, tout – en arrangeant ensemble, en produisant ensemble. Parce que, tous ensemble, nous sommes plus que la somme de nos individualités. Nous trois, nous pouvons créer quelque chose de mieux que ce que nous ferions chacun de notre côté. »

 

A Fine Day to Exit… And a Fine Way to Return

Anathema – A Fine Day to Exit« L’album raconte une histoire, qui fait suite à un album qu’on a sorti en 2001 et qui s’appelait A Fine Day to Exit. Sur la pochette de ce disque, on voyait une plage. C’était à San Diego, en Californie. La photo était prise du point de vue d’un gars, à l’intérieur d’une voiture. On voit le tableau de bord, sur lequel il y a un téléphone – avec des appels manqués – un Polaroïd de sa famille, des Post-its. Sur la plage, des vêtements sont éparpillés çà et là jusqu’à l’océan… On voit bien qu’il y a un truc qui ne va pas chez ce type. Il est en dépression. Il a complètement craqué… et ça l’a conduit à prendre la décision de mettre en scène sa propre mort et de voir si c’était possible de commencer une nouvelle vie. Ce qu’il fait, c’est qu’il essaie de fuir. Il tente d’échapper à cette dépression et il se persuade qu’il y parviendra s’il arrive à aller suffisamment vite. Mais ce dont il ne se rend pas compte, c’est que tout ça se passe dans sa tête. »

À ce moment, l’interview est commencée depuis à peine plus de cinq minutes, et nous sommes déjà au beau milieu d’un film de David Lynch, période Lost Highway.

« On n’avait pas prévu – en tout cas je ne pense pas – de donner une suite à A Fine Day to Exit. On souhaitait que le visuel de la pochette reste ambigu parce qu’on ne savait pas vraiment ce qui lui était arrivé, à ce mec. Est-ce qu’il a réussi ? Est-ce qu’il est mort ? Qu’est-ce qui lui est arrivé ? C’était une décision consciente de “laisser la porte ouverte” mais ça s’arrêtait là. Même si, au final, je suis très content qu’on l’ait fait. Ça permet de refermer la boucle. »

À l’accent s’ajoute cet humour pince-sans-rire, anglais lui aussi. Quand on lui demande la signification du titre de l’album, Vincent répond que « c’est i-ro-nique ». Il le dit en détachant bien les syllabes et en appuyant la syllabe intermédiaire, comme s’il se moquait de vous. Ce serait presque possible de mal le prendre, s’il ne vous adressait pas ce regard et ce petit sourire en coin. Avant de reprendre la route, son regard se perd quelques instants dans le rétroviseur, le temps de remettre en perspective ce dernier album avec le reste de la discographie du groupe.

Anathema - We're Here Because We're Here« Pour moi, “l’Optimiste” – c’est comme ça qu’on a appelé ce personnage d’A Fine Day to Exit qu’on retrouve sur cet album – c’est aussi le personnage qui est sur la pochette d’A Natural Disaster [2003], celui qui est dans son bateau, c’est aussi le même gars que celui sur celle de We’re Here Because We’re Here [2010], qui se tient debout sur la plage. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il a toujours été là. En fait, c’est nous. Les chansons sont autobiographiques mais elles racontent l’histoire de cet alter ego. Tout ça, ça participe à donner une dimension supplémentaire à la visuelle, presque cinématographique. C’est intéressant parce que ça offre la possibilité à tout un chacun de se raconter une histoire. »

Puisque nous y sommes, parlons-en, de l’histoire ! Mais là, accrochez-vous, parce que ça va aller très vite, que la route est longue, la pente raide et les virages plutôt serrés.

« Au début du disque, il y a une petite piste d’ouverture, une petite introduction musicale à l’album. Le titre de cette piste [32.63N 117.14W], ce sont les coordonnées exactes de la plage sur la pochette d’A Fine Day to Exit [la Silver Strand Beach de San Diego, ndlr]. C’est là que ça commence. Le type sort de l’eau. Il rentre dans sa voiture. Il allume la radio et là, il entend tous ces petits extraits sonores, qui sont des traces de son passé, de notre passé : We’re Here Because We’re Here, Weather Systems [2012], tous ces trucs-là. Une chanson mystérieuse commence. Il démarre la voiture et dans les – disons – 48 heures qui suivent, il va essayer de distancer, de laisser derrière-lui sa vie passée, sa dépression… Il a l’impression que son esprit va se “crasher” mais que, s’il roule assez vite, il va réussir à éviter ça. Mais il finit par se rendre à l’évidence. C’est impossible. Il n’y arrivera pas. Par contre, il finira par arriver autre part. Et la conclusion de l’album – avec la chanson Back to the Start – c’est qu’il fallait qu’il revienne à son point de départ. C’était là qu’il fallait qu’il soit depuis le début. C’était le meilleur dénouement possible pour cette histoire. Ce n’est pas l’endroit où il avait prévu de se rendre mais c’est là où il fallait qu’il aille. C’est simplement qu’il ne le savait pas. Donc “The Optimist” ça nous semblait être un bon titre pour cet album. Mais c’est ironique [on y revient !]. Le vrai sujet, c’est la lutte de ce personnage contre la dépression et pour sa santé mentale. »

« Sur les derniers albums, il y avait une sorte de clarté, de légèreté qui accompagnait la musique, sur des chansons comme Dreaming Light, Sunlight ou Lightning Song. Cette métaphore de la lumière était importante pour nous à ces moments-là, pour ne pas exprimer uniquement un seul aspect de nous-mêmes mais aussi pour pouvoir embrasser autant à l’euphorie de l’existence qu’aux périodes plus sombres, tout ce qui ne va pas dans notre vie et qu’on traverse quand même. Mais ce nouvel album… on ne trouve pas beaucoup de lumière. Il a une conclusion positive, exaltée en quelque sorte. Mais c’est un album beaucoup plus sombre que les trois précédents. C’est peut-être notre album le plus sombre depuis Alternative 4 [sorti en 1998], qui était déjà sacrément sombre. »

Essayer quelque chose de différent

À peine remis de nos émotions, une fois refermé le ruban de Mœbius de ce grand-huit émotionnel, Vincent poursuit, en évoquant la rencontre avec le producteur Tony Doogan et les conditions d’enregistrement de l’album.

« On était à ça de retourner en Norvège et de retravailler avec Christer[-André Cederberg, le producteur des deux albums précédents, ndlr] et on le fera. On a été ravi de cette collaboration et on fera un autre album avec lui, sans souci. Mais on a tout simplement senti qu’il était temps d’essayer quelque chose de différent. On était fans du travail de Tony Doogan depuis son travail avec Mogwai, Clint Mansell… C’était notre premier choix. On s’y est tenu. On l’a contacté. On lui a demandé : “Est-ce que tu serais disponible ?”. Il a dit : “Oui”. Ça s’est fait comme ça et c’était la bonne décision à prendre, de faire cet album avec Tony.

Mais, avant ça on avait joué quelques unes des nouvelles chansons en concert au Royaume-Uni et on s’était dit : “OK, ce serait bien d’enregistrer dans les conditions du live pour ce disque”. Et quand on a rencontré Tony, la première chose qu’il nous a dite, ça a été : “OK, de ce que je sais d’Anathema, vous voulez un gros son de batterie, c’est ça ? – Ouais. – OK, alors je sais où vous devez aller, c’est dans ce studio, en Irlande”. La deuxième chose qu’il a dite, ça a été : “Je veux que vous jouiez live”. Ça tombe bien, c’est ce qu’on voulait faire ! Dans ces conditions, vous générez cette sorte d’énergie inquantifiable, ce non-dit. Il se passe quelque chose dans la dynamique du groupe, quand on joue ensemble, en face les uns des autres. En plus, quand vous avez déjà joué les chansons en concert, devant un public, vous savez comment les développer. C’était génial. Pour l’enregistrement, on s’est installés en cercle. Tout le monde jouait en direct, face-à-face. On avait les micros, les pédaliers, les claviers, les guitares, tout ça autour de nous. Sur certaines chansons [Daniel] Cardoso jouait du piano et John [Douglas] de la batterie. Sur d’autres, c’était Cardoso qui était à la batterie et John aux percussions. D’autres fois, Danny jouait de la batterie, moi de la guitare. À d’autres moments, je ne faisais que chanter. Il se passait vraiment quelque chose pendant qu’on était en train de créer ça, dans l’instant. Vous pouvez avoir un bon aperçu de cela dans la vidéo de Springfield. »

 

« La méthode d’enregistrement était vraiment minimaliste, très simple. On allait chercher le son à la source. Ce qui prenait le plus de temps, c’était de trouver la bonne batterie, de paramétrer les pédaliers, de s’accorder correctement, tout ça… et puis de bien se placer, de jouer dans le style qui convient, au bon rythme, et surtout de ne pas trop “machiner” derrière, laisser ça comme ça. Même chose pour les guitares : il s’agissait de trouver le bon son mais une fois que c’était fait, avec le bon micro au bon endroit, c’était parti et c’était tout, vraiment. Le mot d’ordre c’était vraiment de ne pas trop en faire. Ça donne un caractère d’authenticité au disque, une mécanique naturelle qui renforce l’impact des parties plus lourdes et leur confère la bonne sorte d’atmosphère. On a utilisé beaucoup de vrais instruments, notamment une vraie section de cordes avec neuf musiciens. On est allés l’enregistrer à Donegal. Il y a un joueur de trombone sur Close Your Eyes… et plein de sons qu’on n’avait jamais utilisés avant : des synthétiseurs et des boîtes à rythme qu’on n’avait jamais intégrés dans nos morceaux, un très vieil orgue japonais… On a utilisé des samples : de nous en train de taper dans nos mains, d’un public devant lequel on a joué en Argentine… Il s’est mis à chanter, on l’a enregistré et on l’a mis sur l’album. On a essayé plein de nouvelles choses.

Il y a tellement de trucs qui se sont bien goupillés, comme de travailler dans ce studio à Glasgow avec Paul Leonard-Morgan, la personne qui a arrangé les parties de cordes. C’est un génie. C’était un privilège de pouvoir le regarder travailler avec Tony Doogan. Et puis tous les musiciens : leur professionnalisme, un professionnalisme absolu, une maîtrise d’eux-mêmes, de l’émotion, des nuances qu’ils arrivent à insuffler dans leur musique. C’était incroyable. »

 

Radiohead, Stephen Hawking et… Manu Chao

Outre les apports certains du producteur, de l’arrangeur et des autres intervenants qui s’entendent sur ce disque, on est également curieux de savoir ce qui a nourri musicalement le groupe pendant la conception de The Optimist. Alors que certaines références – Radiohead en tête – semblaient évidentes, la réponse de Vincent l’est beaucoup moins.

« Dans l’année qui vient de s’écouler, il n’y a rien qui m’a marqué. Je n’ai pas écouté beaucoup de musique pendant l’enregistrement de cet album. Par exemple, j’ai mis un point d’honneur à ne pas écouter le dernier Radiohead parce que je ne voulais pas que ça glisse dans ma tête pendant que j’écrivais cet album… et, résultat : je ne l’ai toujours pas écouté ! Alors que c’est bon, je l’ai fini ce disque, c’est sans danger maintenant pour moi d’écouter le dernier Radiohead ! Mais sinon, j’écoute du Manu Chao. J’en écoute souvent. J’ai toujours été fan de Manu Chao. J’écoute beaucoup de musique électronique aussi… En fait, j’écoute beaucoup de choses auxquelles notre musique ne ressemble pas du tout ! »

 

« Notre histoire, elle est chouette quand on y pense : notre carrière, les changements qu’on a traversés, l’évolution qu’on a connue. On a un public fidèle. Beaucoup de gens nous ont suivis depuis nos débuts doom/death. Ils sont restés avec nous. On a aussi touché un autre public, dans d’autres styles. Mais, pour dire ce qui est, je n’y accorde pas tant d’attention que ça. C’est mieux pour le groupe si je me concentre sur ce qu’on fait en ce moment et ce que je veux faire à l’avenir. »

Tant que nous sommes à parler d’avenir, après un album qui commence comme une invitation à tout laisser derrière soi (par un morceau intitulé Leaving It Behind) et qui se clôt sur le constat d’un retour au point de départ (avec le titre Back to the Start), est-ce que cela augure de quelque chose de particulier pour l’avenir d’Anathema ?

« Ça veut dire que le prochain album sera un disque de doom/death [ironie, quand tu nous tiens !]. Plus sérieusement, c’est une tendance naturelle, à vouloir tout interpréter, tout surinterpréter. Mais, avec nous, c’est risqué parce qu’on va toujours faire en sorte d’aller dans une nouvelle direction pour vous surprendre, de toute façon. Le prochain album, je sais comment il va s’appeler. Il y a à peu près quatre chansons de prêtes. On est en train de réfléchir au concept avec Danny et John. On travaille là-dessus quand on trouve du temps tous les trois. Et, de mon côté, je continue à écrire aussi. Mais il manque encore une grosse moitié de l’album. On verra où ça va nous emmener. »

Et, par le passé, le hasard les a amenés à des endroits étonnants, notamment sur scène, l’été dernier, avec l’astrophysicien britannique Stephen Hawking.

« Voilà comment c’est arrivé. On donnait un concert à Erevan, en Arménie. Quand on était là-bas, un ami à moi, Giancarlo Erra, du groupe NoSound, nous a présenté à un astrophysicien arménien, Garik Israelian, qui s’est trouvé être fan d’Anathema. Garik habite à Ténérif et il organise depuis quelques années un événement baptisé Starmus – la rencontre des étoiles [stars] et de la musique ; une célébration des arts et des sciences – avec Brian May, le guitariste de Queen. On a commencé à discuter et on est restés en contact. L’année dernière, il nous a invités à jouer lors de la troisième édition de Starmus. Starmus III devait rendre hommage à la vie et à l’œuvre de Stephen Hawking, en réunissant les plus grands esprits scientifiques de la planète. Garik savait que nous étions de grands fans de Pink Floyd et que Stephen Hawking avait été samplé sur une de leur chanson en 1994, Keep Talking (sur l’album The Division Bell). Un jour, Garik m’appelle et me demande : “Est-ce que ça te dirait, si je pouvais parler à Stephen, de jouer cette chanson avec lui à Starmus ?”. J’étais là : “Tu te moques de moi !? – Non, parce que je crois qu’il le ferait”. Garik lui a demandé et il a répondu : “Bien sûr que je veux être sur scène avec un groupe de rock !”. Pink Floyd n’a jamais joué cette chanson en concert, en tout cas pas avec Stephen Hawking. Ils auraient dû… parce qu’il l’aurait fait ! Il ne restait plus qu’à trouver comment utiliser son discours. Pas de chance, on n’a jamais pu remettre la main sur le son original. Alors on a contacté Stephen Hawking pour essayer de trouver une solution avec lui. On lui a demandé s’il pourrait le faire en direct et il nous a dit : “OK, ce que je vais faire, c’est que je vais le réenregistrer pour vous”. Et dans l’heure qui a suivi, on l’avait, il nous l’avait envoyé. On était dans la salle de répétition et on l’a écouté dans un recueillement total, comme si on avait écouté un sermon, comme une parole qui porte quelque chose de très important, la vérité en somme. Rien que le son de sa voix, les craquements, les petits silences entre les mots qui sortaient du synthétiseur vocal. C’était un de ces moments uniques dans la vie. C’était vraiment, vraiment spécial. »

Avec The Optimist, Anathema avance encore d’un pas vers le « grand public » et ajoute un album de plus à une liste d’albums (souvent) plébiscités par la critique mais qui n’ont pas connu un succès public à la mesure de cet accueil. Mais cela n’a pas entaché la confiance en soi du groupe. « Optimiste », voilà un mot qui pourrait parfaitement décrire leur état d’esprit aujourd’hui.

« On a pu ressentir une sorte de frustration à certains moments. Mais, dans ces cas-là, vous avez deux solutions : soit vous restez assis là à vous lamenter, soit vous agissez. Nous, on a agi. On a travaillé dur, très dur, tout le temps. C’est un job à temps plein. Ça ne vous lâche pas et c’est toujours un combat. On se bagarre avec les histoires d’argent, et le reste, comme tout le monde. C’est du boulot. C’est du stress mais c’est gratifiant, pas forcément financièrement mais d’une autre façon. On croit en ce que nous faisons maintenant, en ce que nous ferons après. On a une grande foi en nous-mêmes. Et ça vient de la musique. La musique, c’est ce qui nous maintient en vie. C’est notre carburant. C’est ce qui alimente la machine, ce qui nous permet d’aller jusqu’à la prochaine étape. Écrire de nouvelles chansons, toujours essayer de faire quelque chose de mieux. Toujours. Bon, après, ce serait au public de juger. En ce qui nous concerne, tant qu’on fait notre part du travail, on est serein. Pour l’instant, c’est un peu la lutte mais on y arrivera. »

 

« N’importe qui peut trouver son compte avec ce disque, peu importe ce que vous écoutez. Surtout si vous êtes fans, mettons, de rock “alternatif”, de post rock, de musique électronique ou progressive, il y a certainement quelque chose dans notre musique pour vous. La plupart des gens, dont le truc c’est Radiohead, Mogwai ou même – je dis n’importe quoi – Elbow ! Des groupes de ce genre-là. Si tu leur passes notre disque, ils vont être là : “ah, qu’est-ce que c’est ? c’est quoi le nom du groupe ? Hé, c’est plutôt cool”.

Tu peux passer notre musique à n’importe quel fan de musique “actuelle”. Passe-le à un fan de Kasabian, de Muse ou même… Super Furry Animals… tous ces groupes-là. Passe-leur n’importe quelle chanson de nos derniers albums. Donne ça à tes parents, à n’importe qui ! Je te garantis qu’il y a un public énorme, énorme pour notre musique. Après, ça dépend du secteur de l’industrie musicale dans lequel tu te trouves. Après, tu peux parler de “plafond de verre”, qui est lié à ton nom, à ton histoire, au fait que tu sois passé d’un genre à un autre. C’est déroutant pour certaines personnes et, au final, tu te retrouves toujours dans un marché de niche. Maintenant, on est classés comme “progressif” alors qu’avant on était dans la scène “métal”. Si aujourd’hui, tu me demandes quel genre de musique on fait, je te répondrais qu’on est un groupe de rock alternatif parce que… c’est suffisamment vaste comme appellation. Radiohead est un groupe de rock alternatif ! Nous, on est Anathema, on a une œuvre qui est vaste, qui recouvre plusieurs genres, plusieurs styles musicaux. On a une âme, de l’intégrité. On est honnête. On ne déconne pas. On bosse dur. Notre musique a un côté émotionnel, un côté cérébral, un côté visuel, avec nos pochettes… Il y a beaucoup de choses à piocher dans notre musique, vraiment beaucoup de choses. »

Avec ce nouvel album, Anathema continue d’affirmer sa singularité au milieu d’une scène musicale (métal ou alternative) qui a souvent tendance à confondre les codes et les clichés. Le gang des frères Cavanagh est parvenu au fil du temps à s’ouvrir à un public plus large sans se faire taxer d’opportunisme. Et, surtout, ils continuent de formuler des propositions nouvelles et intéressantes, album après album. Ils referment ici une boucle esquissée presque accidentellement il y a 16 ans avec A Fine Day to Exit. En choisissant (judicieusement) de sacrifier l’histoire – qui tient sur le verso d’un ticket de péage – au profit de la musique, les Anglais parviennent même à livrer un album concept, ambitieux sans pour autant avoir l’air pompeux ou empesé. The Optimist a beau être plongé dans l’obscurité, noyé dans la dépression et gorgé d’ironie, il n’en demeure pas moins un disque proprement splendide.

Anathema - The OptimistThe Optimist d’Anathema
Sortie le 9 juin 2017
sur le label Kscope
(Snapper Music)
disponible ici
et en concert en France
avec Alcest
au mois d’octobre
(plus d’informations ici)

 

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