#Interview #Critique Royal Thunder – Wick (Spinefarm)

#Interview #Critique Royal Thunder – Wick (Spinefarm)

Note de l'auteur

Après avoir fait forte impression il y a deux ans avec leur deuxième album, Crooked Doors, les rockeurs américains de Royal Thunder nous reviennent de leur état natal de Géorgie. Nous avons eu l’occasion de nous entretenir un moment avec cinquante pour cent des effectifs du groupe, la chanteuse et bassiste Mlny Parsonz ainsi que le guitariste Josh Weaver. Au menu, entre autres : un nouvel album, baptisé Wick, des souvenirs d’enfance, mais aussi quelques secrets de fabrication et leur petite cuisine interne…

Je n’aurais jamais imaginé un truc pareil il y a dix ans. C’est dingue !

Assise en tailleur sur le canapé molletonné d’un hôtel parisien, Mlny Parsonz, la chanteuse et bassiste du groupe Royal Thunder, convoque négligemment son passé. Et puis d’un coup, ses yeux fardés de kohl se mettent à briller.

« Je me rappelle que, pour mes 17 ans, je suis allée voir Metallica en concert. Corrosion of Conformity jouait en première partie. Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était l’éclate totale, un super bon moment. Et puis il y a trois, quatre ou peut-être cinq ans — je ne sais plus — c’est nous qui étions en tournée, à ouvrir pour Corrosion of Conformity. C’est un truc de malade, non ? »

« C’était il y a un peu plus longtemps que ça, » corrige alors en souriant son acolyte (et guitariste) Josh Weaver, tout en étendant ses grandes jambes et en se calant de tout son long, en biais, à côté d’elle sur le sofa.

Il s’en est passé des choses depuis ce soir de l’été 1997 où la jeune fille originaire d’Atlanta est allée fêter son anniversaire à un concert des « Four Horsemen ». En chemin, Parsonz a rejoint un trio de rock instrumental, la première incarnation de Royal Thunder, emmenée à l’époque par les deux frères Weaver. Aujourd’hui, le groupe s’apprête à publier son troisième album, Wick, dix ans après l’enregistrement de leur premier EP, en 2007.

« Le temps de trouver les bonnes personnes » commente-t-elle, avant de poursuivre : « D’aussi loin que je me souvienne, ce que je voulais, c’était ça : faire partie d’un groupe. Je revois mes parents me dire : “non, mais à part ça ?”. Je ne sais pas. Je pense que j’aurais bien aimé être vétérinaire… comme tout le monde. »

 

 

Ils sont touchants, ces deux-là, avec leur accent traînant du sud des États-Unis et leur dégaine de rock stars comme on n’en fait plus (avec tatouages, piercings…). On dirait de grands ados, tout juste sortis de leurs heures de colle du « Breakfast Club » : elle, la gothique repentie, et lui, l’ancien chevelu en chemise à carreaux et blouson de cuir qui aurait viré hipster (évolution, en somme, tout à fait logique).

Et ce n’est pas l’écoute de ce troisième album qui va contredire cette première impression. Wick est un disque de rock, dans la plus pure acception américaine du mot. Ses douze titres balaient un large spectre musical, entre hard rock (sur un morceau comme The Sinking Chair) au gospel (dans la coda de l’album, à la toute fin du titre We Never Fell Asleep) en passant en chemin par une bonne cinquantaine de nuances de rock et de folk. Ça évoque beaucoup d’autres artistes, assez intelligemment cependant pour que ce ne soit pas facilement identifiable (même si on pense à ce qu’a pu faire un groupe comme The Gathering sur l’album if_then_else au début des années 2000, par exemple). Weaver le reconnaît lui-même : « on met toutes nos influences musicales, notre vécu et notre expérience dans notre musique, un peu comme si on balançait tout un tas d’épices dans une grande marmite et qu’on laissait le tout sur le feu ».

Mais l’album est aussi empreint d’une profonde noirceur, que Parsonz explique en ces termes : « Appeler l’album Wick [en anglais : la “mèche”, celle d’une bougie par exemple], c’était pour donner cette idée d’allumer une mèche, un feu, et de voir des flammes, de la lumière et des couleurs jaillir dans les ténèbres et… “whoosh[et elle accompagne cette onomatopée en figurant le souffle d’une explosion avec ses mains]. Mais ça peut aussi illustrer un autre genre de situation. Imagine que tu te retrouves dans un endroit très sombre. Tu sais qu’il y a de la lumière quelque part. Tu la cherches et tu finis par la trouver. C’est un peu l’effet que ça fait de ressentir cette frustration de ne pas être capable de créer. Et puis finalement, une fois que tu as vaincu cette frustration, que ça se concrétise, tu te retournes et tu te demandes : “mais c’est parti d’où, tout ça ?”. Eh bien, ça a démarré avec cette petite étincelle, cette petite mèche. »

Si on se mettait à cogiter sur « comment faire les choses », c’est sans doute comme ça qu’on pondrait le pire album de notre carrière.

La musique du groupe sur cet album reflète bien cette idée de tâtonnement. Wick renvoie l’image d’un disque qui s’est fait « en marchant », un pas après l’autre, de manière peut-être plus empirique que son prédécesseur, Crooked Doors, sorti en 2015.

« L’enregistrement de l’album a pris entre 6 et 8 mois, raconte Weaver, mais on n’a pas fait que ça. On a donné quelques concerts. On a voyagé un peu, aussi. Et puis, quand on a commencé, on n’avait pratiquement rien écrit. On avait joué une chanson sur scène. C’était April Showers et elle a pas mal changé avant d’arriver dans la version qui est sur l’album. Sinon, on s’était amusé un peu pendant les balances avec des idées qui allaient donner le morceau Wick, mais, à part ça, la toile était complètement vierge. On n’avait aucune idée de ce à quoi l’album allait ressembler. On est entré en studio. On a commencé à écrire et on a trouvé des idées. Ça nous vient naturellement. On n’a pas de “recette”. Quand on est dans la même pièce, on joue. Chacun d’entre nous apporte sa pierre à l’édifice et après on remplit les blancs, on ajoute notre “patte”. »

Et Parsonz de préciser : « Josh est le compositeur principal, mais il n’est pas seul maître à bord. Il n’arrive pas en disant : “toi, tu joues ça comme ça…” On travaille ensemble à partir de ce qu’il nous propose. Sur cet album, Will [Fiore, second guitariste du groupe] a beaucoup contribué à la composition des morceaux. C’était une première pour Josh, cette manière de procéder. Une fois que les fondations étaient posées, on construisait là-dessus. Evan [Diprima] arrivait après avec ses parties de batterie, et puis, pour finir, je posais ma basse et mes paroles sur les chansons. Mais, dans les faits, on n’en a pas vraiment parlé. On l’a fait. C’est tout. Ça vient comme ça vient. On évite de trop réfléchir parce que, si on se mettait à cogiter sur “comment faire les choses”, c’est sans doute comme ça qu’on pondrait le pire album de notre carrière. »

 

Photo du groupe Royal Thunder (2017)

© 2017, Caroline Records

 

Cette simplicité, ce caractère presque artisanal et « fait maison » est définitivement à mettre au crédit de Wick. C’est à Marietta, une petite ville un peu au nord d’Atlanta, que le groupe a enregistré avec leur producteur attitré, Joey Jones — leur « cinquième membre » comme ils l’appellent — dans le même studio qui les accueille depuis leur premier EP. Ce faisant, ils ont accouché d’un disque singulier, qui avance constamment sur une ligne de crête entre une certaine forme de retenue et d’audace, un rock « grand public » et des combinaisons musicales plus expérimentales. L’album n’avance pas masqué, il ne cache rien et ne se dévoilera pas davantage au fil des écoutes. C’est à la fois ce qui en fait sa force autant que sa faiblesse. Mais c’est aussi précisément pour cette raison qu’il vaut vraiment le coup de s’y pencher…

Juste avant qu’on ne se quitte, Parsonz répète, un peu pour elle-même : « on n’aurait jamais imaginé un truc pareil il y a dix ans, on n’aurait pas pu anticiper tout ça… » avant d’ajouter, pour conclure dans un sourire « … et j’espère pouvoir dire la même chose encore dans dix ans ! » À vrai dire, c’est tout le mal qu’on lui souhaite.

 

Pochette de l'album Wick (2017) du groupe Royal ThunderWick
de Royal Thunder
sortie le 7 avril 2017
sur le label
Spinefarm record
et disponible ici

 

 

 

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