
INTERVIEW : Daniel Nettheim, réalisateur du film Le Chasseur
Réalisateur chevronné de la télé australienne, Daniel Nettheim signe avec Le Chasseur (The Hunter) son deuxième long métrage après la comédie Angst, réalisée en 2000. Porté par un Willem Dafoe plus motivé que jamais, Le Chasseur est un superbe conte écolo mâtiné de thriller, dont la facture visuelle renvoie directement aux films de Peter Weir comme ceux du grand cinoche épique américain des années 70. Une référence évidente du réalisateur, que nous avons interviewé. Le film est sorti directement en vidéo chez nous le 7 janvier dernier (ed. Seven7) : à découvrir !
Adapté d’un roman de Julia Leigh (réalisatrice de l’über dérangeant et über chiant Sleeping Beauty), The Hunter aura mis quasiment dix ans à se monter, au gré de plusieurs réécritures et d’un financement ardu. Un projet véritablement porté à bout de bras par son réalisateur opiniâtre pour un résultat franchement épatant. Entre le thriller poétique, le western contemporain et l’ode à la nature, The Hunter conte la rédemption morale d’un mercenaire (Willem Dafoe) à la solde d’une société privée qui l’a chargé de traquer le dernier tigre de Tasmanie pour prélever des échantillons précieux pour la recherche militaire. En cours de route, au contact de la nature et des autochtones, le personnage va inévitablement évoluer…
Encensé par le Dr No dans son Top 10 des films inédits vus en 2012 (mention spéciale), Le Chasseur est bel et bien une réussite que nous vous conseillons de découvrir. Porté par l’immense charisme d’un Willem Dafoe littéralement habité par son rôle de solitaire, le film rejoint sans mal le cinéma de Peter Weir dans sa manière de mixer une subtile montée émotionnelle et un discours émouvant sur la confrontation entre l’Homme et la nature. Une nature magnifiée dans le film par de sompteux panoramiques sur cette spectaculaire Tasmanie, contrée relativement peu visitée par le 7e art. Autre atout du Chasseur : la créature traquée, filmée au compte goutte tel un merveilleux mystère, d’une noblesse foudroyante malgré la reconstitution de l’animal en images de synthèses. Malgré un rythme qu’on aurait aimé voir un brin plus soutenu, le charme agit incontestablement, la force du récit vous saute à la gorge dans le derneir tiers et, à tous points de vue, Le Chasseur est un beau voyage. Rencontre à Paris avec le réalisateur Daniel Nettheim, qui s’est depuis installé à Londres pour tourner deux épisodes de la saison 4 de la série britannique Whitechapel.
Daily Mars : Qui est Martin David, le “Chasseur” du titre ?
DANIEL NETTHEIM : Martin est un mercenaire solitaire et extrêmement aguerri aux techniques militaires. Il s’est coupé de toute humanité et au début du film, il accepte une mission confiée par une société de recherche en biotechnologies militaires, Red Leaf. Il doit capturer pour la compagnie le tout dernier spécimen vivant du Tigre de Tasmanie, dont certaines propriétés de l’ADN sont particulièrement recherchées par Red Leaf. Le film raconte comment son voyage en Australie va le changer radicalement et lui faire découvrir une autre conception de la vie que celle qui l’a toujours guidé.
Qu’est ce qui vous a intéressé dans le roman de Julia Leigh, que vous adaptez ?
J’ai toujours été attiré par les histoires centrées sur un personnage principal très fort et le parcours émotionnel de Martin était fascinant. L’autre élément important pour moi était la description des paysages épiques et spectaculaires de la Tasmanie, très peu vus au cinéma. Le livre étant beaucoup plus méditatif, poétique et lent, nous avons renforcé dans le scénario les éléments de thriller pour bâtir une intrigue plus tendue, à même de séduire le public. Dans le livre, Martin David passe beaucoup plus de temps seul dans la montagne, on est très souvent dans sa tête. Il fallait qu’on “externalise” notre récit et qu’on lui fasse passer plus de temps avec la famille d’accueil australienne composée de Lucy et ses deux enfants.
Votre film en dit très peu sur son héros ou son passé, il reste assez énigmatique.
C’est un choix de garder l’histoire dans le présent. Pas de flashback, de voix off ou de monologue interne qui auraient pu révéler des éléments de son passé. Le spectateur le découvre au fil de ses rencontres et découvre l’univers du film à travers les yeux de ce personnage central. Willem Dafoe est allé dans ce sens, on a travaillé ensemble sur la version finale du scénario et il tenait lui même à retirer les éléments qu’il estimait surperflus. Il voulait conserver une sorte de pureté à son personnage, qu’on en dise le minimum. Il s’est beaucoup impliqué en participant lui-même au choix des accessoires et tenues portées par Marin. Willem s’est aussi entraîné à l’usage de ses couteaux et diverses armes. On avait aussi engagé un spécialiste de survie en milieu naturel hostile qui lui a appris comment marcher la nuit sans faire de bruit et effrayer les animaux, comment utiliser au mieux l’ouie et l’odorat…

La famille d’accueil de Martin David en Tasmanie : Lucie (Frances O’Connor), mère de deux enfants et femme d’un militant écolo mystérieusement disparu.
Etait-ce votre idée d’engager Willem Dafoe dans le rôle principal ?
Il faisait partie de la short list d’acteurs avec qui je voulais travailler sur ce film. Il avait déjà tourné en Australie et on m’avait dit qu’il était professionnel et, surtout, qu’il n’était pas un trou du cul (rires). On lui a envoyé le script, je pensais qu’on allait attendre six mois avant d’avoir un “non” très poli, mais en deux semaines, nous avons reçuun message nous disant que Willem était intéressé et voulait en savoir plus. Ca m’a suffit pour prendre un avion pour New York.
Comment s’est déroulée votre première rencontre ?
On s’est retrouvé dans un restaurant de Little Italy, non loin de Greenwich village où il habite à Manhattan. Son manager m’avait suggéré au préalable de voir Antichrist, en me disant “Willem voudra savoir pourquoi vous voulez travailler avec lui”. J’avais rv à 13h, je suis allé voir le jour même Antichrist à 11h dans un cinéma de la 6e avenue avant de le retrouver. J’étais assez nerveux mais il m’a très vite mis à l’aise et on nous n’avons même pas parlé d’Antichrist. A la fin de notre entretien qui a duré une petite heure, il était convaincu et m’a dit : “Dites à vos gens d’appeler les miens !” Ca fait très cliché hollywoodien mais bon, c’est ce que j’ai fait et un an plus tard, on tournait en Tasmanie.
Il y a une sensibilité écologique très puissante dans votre film : vous y abordez les problèmes de la déforestation et de l’extinction des espèces animales. The Hunter est-il un film à message ?
Je ne sais pas mais le tournage en Tasmanie a eu incontestablement une très forte influence sur moi. La déforestation à cause de l’industrie du papier pose un vrai problème là-bas et suscite de nombreux conflits entre les militants écolo et les ouvriers forestiers. Un jour où nous faisions nos repérages d’ailleurs, nous sommes tombés nez à nez avec ces fameux “loggers” qui nous ont approchés l’air plutôt hostile. Quand ils ont vu qu’on était juste une équipe de tournage et pas des greenies, ils se sont tout de suite détendu. Impossible de tourner là-bas et d’ignorer ce problème, qu’on a décidé d’introduire aussi dans le scénario mais finalement, cette sous intrigue illustre le même thème que la disparition du tigre de Tasmanie. C’est la même histoire, celle des relations complexes et destrutrices entre l’Humanité et la nature.
Vous introduisez à mi-parcours une rupture scénaristique qui assombrit le film assez radicalement. Commercialement, c’est assez risqué…
De toute façon, même avec Dafoe au casting, The Hunter est un petit film indépendant donc notre priorité était avant tout la dramaturgie et il était impératif que le personnage principal traverse un choc émotionnel déterminant qui explique son évolution.
L’autre grand atout de The Hunter, c’est le soin que vous avez apporté à l’esthétique et ces plans généreux sur une nature spectaculaire.
Je reste toujours admiratif du cinéma américain des années 70 et de ses mises en scène sans gimmicks de montage ou effets visuels divers…. Toute cette période classique me fascine avec évidemment Voyage au bout de l’enfer, Delivrance, Apocalypse Now ou même le Sans Retour de Walter Hill. Tout était dans le travail sur le cadre et une approche visuelle très forte. Il y a aussi dans The Hunter des références aux westerns classiques, mais aussi à des films australiens comme ceux de Peter Weir ou d’autres comme La Randonnée de Nicolas Roeg, The Chant of Jimmie Blacksmith de Fred Schepisi ou The Proposition de John Hillcoat.
Votre tigre de Tasmanie est une créature entièrement en images de synthèse ?
Hé oui, puisque l’espèce s’est vraiment éteinte dans les années 30. Les deux sociétés qui ont travaillé sur notre tigre en CGI ont vraiment fait un boulot exceptionnel.
Le Chasseur, de Daniel Nettheim (1h40). Disponible en blu-ray et DVD (Seven7).
Très bon interview sur un film magnifique. Merci John !