#Interview – Dans les coulisses de « La Mort de Staline »

#Interview – Dans les coulisses de « La Mort de Staline »

Comédie politique savoureusement tragique, La Mort de Staline croque dans un des événements les plus obscurs de l’histoire moderne avec une avidité n’ayant d’égal que son absurdité. Rencontre avec son réalisateur, Armando Iannucci.

Daily Mars : Comment vous êtes-vous retrouvé embarqué dans un tel projet ?

Armando Iannucci : Ça faisait longtemps que je voulais m’attaquer aux dictateurs, mais je ne m’étais pas arrêté sur un pays ou un genre. C’est à ce moment que l’on m’a envoyé le roman graphique. En général, je ne me base jamais sur le travail d’un autre, mais à peine je l’avais lu, j’ai su que tout était là. Pourquoi écrire une fiction quand la réalité est si absurde ?

Peut-on dire que le roman graphique est plus sombre que votre film ?

A. I. : Bien sûr. Les dialogues n’avaient rien de drôle, l’aspect comique résidait davantage dans les éléments visuels qui composaient le récit. Une fois les bons acteurs castés, il fallait leur donner les dialogues adéquats. Pour ça, je me devais de réécrire La Mort de Staline entièrement.

Comment s’est déroulé le casting ?

A. I. : Ça a été assez long parce que je m’y suis pris un acteur à la fois. Je voulais que Simon Russell Beale interprète Baria. C’est un grand acteur de théâtre, mais il n’avait jamais vraiment fait de cinéma ou de télévision avant. Après qu’il a accepté, je savais qu’il me faudrait un acteur radicalement différent pour jouer Khrouchtchev. Steve Buscemi a cette capacité à être à la fois un clown et un gangster.

Comment naviguer entre les connaissances historiques des spectateurs et ce que vous souhaitez montrer ?

A. I. : J’ai essayé de rendre tout ça le plus inattendu possible, de conserver de la tension. Mais le simple fait de se concentrer sur Khrouchtchev fait de lui le principal protagoniste de La Mort de Staline. Pour moi, il s’agissait de s’assurer que le reste de l’histoire était assez détaillée pour donner le change.

Quid de cette multitude d’accents anglo-saxons ?

A. I. : Je ne voulais aucun pseudo accent russe parce que ça aurait sonné faux et placé une distance entre l’histoire et le public. Si ça avait été une production russe avec des acteurs russes, pourquoi pas, mais ce n’était pas le cas. Par ailleurs, cet événement ne concerne pas que la Russie : Khrouchtchev était ukrainien et Staline et Baria étaient géorgiens. Opter pour le Russe aurait donné une impression de petite échelle, tandis que des accents irlandais, londonien, new yorkais etc. illustrent bien le gigantisme de l’Union Soviétique.

Respecter l’Histoire à la lettre peut donc être un problème parfois ?  

A. I. : Je pense, oui. Ce que j’ai essayé de faire c’était surtout de rendre le milieu dans lequel les personnages évoluent crédible. Je me suis basé sur le roman graphique, mais j’ai aussi fait des recherches sur plusieurs événements qui se sont déroulés à la même période. L’un des meilleurs compliments que l’on a pu me faire venait de Russes me demandant où, à Moscou, le film avait-il été tourné ? “À Londres.” (rires) C’est super parce que ça signifie que notre équipe a parfaitement su saisir la ville. Le but était de ne pas faire dans le Moscou hollywoodien mais de représenter ce que la ville a réellement été.

Y a-t-il certains éléments de l’intrigue qui sont totalement véridiques mais que personne ne pourrait croire ?

A. I. : Beaucoup ! À commencer par le concert. Radio Moscou a dû avoir recours à trois chefs d’orchestre dans la vraie vie. Le premier s’est évanoui et le deuxième était trop saoul donc ils ont dû aller en chercher un troisième. J’ai pensé que personne n’y croirait donc je n’ai mis que deux chefs d’orchestre. Sinon les gardes ont réellement trop peur d’entrer dans la chambre de Staline après qu’il s’est effondré. Du coup, il a passé toute la nuit étendu par terre. Staline a aussi réellement pointé le portrait de cette petite fille du doigt avant de rendre l’âme. Quitte à montrer des choses terribles, autant rester le plus proche possible des faits. Mais je ne dis pas que La Mort de Staline est un documentaire ! Les gens peuvent choisir d’y voir un divertissement oubliable ou un récit historique étonnamment véridique.

Les politiciens font-ils les meilleurs comiques ?

A. I. : Il faut se méfier des politiciens qui ne peuvent pas rire d’eux-mêmes. Ce sont eux qui se transforment en dictateurs.

À ce sujet, le film a été interdit de diffusion en Russie…

A. I. : C’est plutôt triste parce que c’est un objet digital, donc si les Russes veulent le voir, ils peuvent. Je ne sais pas quel objectif le Kremlin pense atteindre en faisant ça, surtout que tout le monde à entendu parler du film à cause de cette interdiction.

Avez-vous eu des retours de la part du public russe ?

A. I. : Bien sûr. Certains ont trouvé le film très drôle, d’autres ont été très touchés car ça a fait ressortir pas mal de leurs souvenirs. Beaucoup m’ont remercié d’avoir fait ce film car c’est une période historique dont on ne parle que rarement au cinéma. Je n’essaye pas de réveiller quoi que ce soit, mais plutôt éveiller les consciences. Si on prend la démocratie pour acquis et qu’on ne la protège pas, voilà ce qu’il pourrait se passer.

Qu’est-ce qui fait de la comédie le meilleur moyen d’aborder cette problématique ?

A. I. : C’est une question intéressante. Steve Buscemi m’a confié que lorsqu’ils tournaient Docteur Folamour, ils pensaient d’abord en faire un drame. Mais très vite, ils se sont rendu compte que l’humour était le seul moyen de faire sens de toute cette folie. Avoir recours à la comédie me semblait donc naturel pour rationaliser toute absurdité. La comédie comme l’horreur se basent sur un mécanisme d’anticipation, d’attente d’une chute que l’on ignore… Regardez Get Out, il a été réalisé par quelqu’un qui vient de la comédie. Les deux genres partagent le même langage.

Comment définiriez-vous La Mort de Staline ?

A. I. : Comme une tragi-comédie, je pense. Au Royaume-Uni, ils appellent ça une comédie de terreur.

Au vu du contexte politique actuel, n’avez-vous pas été tenté de faire davantage allusion aux États-Unis ?

A. I. : On a approché des acteurs américains mais ils n’étaient pas disponibles. On partait sur un film américano-britannique, mais on a aussi fait appel à des acteurs européens pour donner un rayonnement international au film.

Allez-vous vous attaquer à Trump maintenant ?

A. I. : Dans 65 ans, peut-être. Toute fiction sur Trump réalisée aujourd’hui ne sera jamais aussi bien que la réalité. Les comiques qui s’attaquent à Trump avec le plus de succès sont ceux qui se cantonnent aux faits, comme John Oliver. Tout ce que dit Trump est aberrant, donc dire la vérité est tout simplement plus drôle.

Vous préparerez un film après son deuxième mandat ?

A. I. : Probablement. Enfin, il essayera probablement de se faire élire une troisième fois.

 

La Mort de Staline
Réalisé par Armando Iannucci
Avec Adrian Mcloughlin, Simon Russell Beale , Steve Buscemi, Jeffrey Tambor…
Sorties en salles le 4 avril 2018

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