
Interview de Royksöpp : « On aime que notre musique soit examinée sous différents angles »
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Depuis la semaine dernière, l’album The Inevitable End marque le point final des albums studio des Norvégiens de Royksöpp. Le début d’une nouvelle étape de leur carrière, après une année particulièrement active sur le front scénique : ils ont pris d’assaut les Etats-Unis, quelques festivals européens et pas mal de baladeurs MP3 grâce à une tournée commune avec Robyn et l’EP-« mini album » Do It Again. Quelques voix triées sur le volet, une synthèse du son du duo norvégien et beaucoup de textures épiques et inspirées à ces 12 titres. En attendant l’arrivée de notre critique de l’album, on avait rencontré le duo lors de sa venue à Paris début octobre pour parler production, mort annoncée des formats physiques et travail scénique.
Vous étiez en tournée aux Etats-Unis. Est-ce que c’était un bon endroit pour proposer des nouveaux titres et est-ce que vous avez tiré des enseignements de ces concerts après un hiatus prolongé?
Svein : Tourner en Amérique est toujours une bonne chose parce que cela donne un coup de fouet à notre appréciation de ce que nous faisons. Cela parce que les Américains semblent être très à l’écoute et apprécient ce que nous faisons et l’expérience de participer à un environnement live. Mais nous n’avons joué aucune chanson tirée de The Inevitable End . Nous avons joué des chansons spécialement conçues pour la scène, à l’exception de « Running To The Sea » (sortie en 2013 mais incluse sur l’album, ndr). Normalement on aurait joué des chansons qui étaient en développement pour des albums en face d’un public live. Mais on était tellement sûrs et à l’aise avec ce qu’on avait enregistré pour The Inevitable End qu’on a pas senti la pressante envie de le jouer sur scène.
Donc vous avez fait des titres rien que pour la scène?
Svein : Oui, et c’est quelque chose qu’on a aussi fait par le passé. On a beaucoup d’aspects à notre carrière : nos albums, les remixes qu’on fait pour d’autres artistes, et quelque chose qui s’appelle , »Track of The Month », où l’on met en ligne sur notre site des titres en écoute, qui ne trouveraient jamais leur place sur nos albums. Et quand on joue live on joue des titres qui existent seulement sous cette forme et ne seront jamais commercialisées. Cette tournée avec Robyn suivait le même principe.
Vous présentez The Inevitable End comme votre ultime album. Cela fait une décennie que Melody AM est sorti. Est-ce que vous ressentez des limitations ou des frustrations autour du processus d’enregistrement des albums avec une structure, un début, une milieu et une fin?
Svein : Je ne pense pas qu’on a ressenti des limitations. Il y a une limite à ce qu’on a la possibilité de dire et faire avec un album. Je pense qu’on a dit ce qu’on avait à dire tout au long de ces cinq albums. Senior est un bon exemple car on avait l’intention de faire un album entièrement instrumental et c’est ce qu’on a fait. On avait l’intention de faire de la musique juvénile, extravertie, assez énergique et on l’a fait avec Junior. Et cet album corrrespond à ce que nous avions l’intention de faire. Par ailleurs, faire un album prend énormément de temps pour correspondre à ce que l’on souhaite, c’est-à-dire cohérent et conceptuel. On ne veut pas que ce soit juste une compilation de titres. En mettant fin au format album, cela va nous permettre de sortir de la musique de différentes manières : des EP plus courts, et ensuite peut-être augmenter la fréquence de sortie.
Vous avez travaillé avec plusieurs artistes dont Jamie Irrepressible et Robyn, et le chanteur du groupe Man Without Country, pour fournir des contributions vocales. Comment s’est passé l’enregistrement? Est-ce qu’ils étaient en studio avec vous?
Svein : Dans le cas de Robyn, on travaille évidemment avec elle depuis un certain temps, et on a beaucoup d’alchimie ensemble. On a enregistré le mini-album Do It Again en même temps que cet album ; ils procèdent du même état d’esprit, et on reposait sur les mêmes thèmes. Et Robyn occupe une place particulière dans nos coeurs, c’est pour ça qu’elle est sur notre album, tout comme d’autres artistes…
Vous avez retravaillé « Monument » comme un morceau très direct sur votre album, sans construction symphonique, et plus court que la version de Do It Again, qui fait 10 minutes. Pourquoi?
Svein : On aime beaucoup ce titre, on en est très satisfaits, et on est contents d’ajouter ce titre à The Inevitable End parce qu’on pense que les paroles et les thèmes s’imbriquent vraiment. Ce sont des observations sur la mortalité et comment on peut se définir nous-mêmes. Mais on ne voulait pas se répéter et trahir notre public en ayant le même titre sur cet album, et aussi parce que « Monument » est central sur Do It Again. On n’aurait pas trouvé la place de l’inclure, car il y a tellement d’autres titres. Donc on voulait le compenser et exhiber, en quelque sorte, nos capacités en montrant que ce titre est si fort qu’il peut être arrangé de deux manières différentes et toujours fonctionner. De plus, on pensait que ce genre d’énergie brute manquait à The Inevitable End.
En ce qui concerne les paroles, quelle participation avez-vous pour les écrire avec les chanteurs et chanteuses, et exprimer ce que vous avez vécu à travers elles ?
Svein : En termes de composition, comme pour Do It Again avec Robyn, on s’assied avec elle et on crée tout à partir de rien, d’un sentiment. Pendant qu’on écrit la musique, on écrit aussi les paroles avec elle. Ce type de collaborations est plus courant avec elle, en fait. Dans le cas de Jamie [Irrepressible], Susanna [Sundfør] et Ryan [de Man Without Country] on écrit toutes les paroles, on compose la musique, et on accueille leur contribution. Dans certains cas ils sont en studio avec nous ; dans d’autres cas ils interprèteront le titre tel qu’on le souhaite. Sur « Compulsion » et « I Had This Thing », Jamie Irrepressible a participé à la conception et l’écriture. Mais pour tous les autres titres, on a tout écrit.
Torbjorn : Pour les collaborations en général, et exception faite de « Monument » qui est une collaboration avec Robyn, on fournit la vision et l’écriture, mais avec le champ libre pour l’improvisation.Mais c’est notre vision, et on a le contrôle dessus.
Les paroles, comme sur « Rong » avec Robyn, parlent de choses très sombres. Quelle est votre vision de la finalité, et est-ce que vous avez essayé de parler de la fin dans les relations par exemple ?
Svein : On aime que notre musique comporte plusieurs couches et soit examinée sous plusieurs angles. On aime qu’un titre soit joué à faible volume, et une fois qu’on monte le son, la dynamique devient totalement différente. On aime que nos paroles aient une qualité suggestive mais ambiguë en même temps. Et concernant la finalité, il y a des choses touchant aux relations, aux choix que l’on fait, le doute qui va avec des décisions, et les conséquences d’un choix. Cela parle de beaucoup de choses.
Le dernier titre est intitulé « Thank You », et se place juste après «Coup De Grace ». Est-ce que lâcher prise est un des thèmes de l’album ?
Svein : L’album a une histoire du début à la fin. Ces deux titres se rapportent à ce qui a été dit plus tôt dans l’album. Le « Thank You » est une reconnaissance, d’une certaine manière, à ceux qui se sont intéressé à nos carrières. C’est un peu un retour à nos débuts, à Melody AM, si tu écoutes les sons choisis, c’est un clin d’œil à ça. Je ne veux pas trop approfondir sur les thèmes, mais je dirais que c’est un album qui nous est très personnel et cher.
Il n’y a pas beaucoup, ou à peine, d’instruments acoustiques ou live : c’est un album très basé sur les machines et boîtes à rythme. Est-ce que c’est une règle que vous vous êtes imposé ?
Torbjorn : Il y a évidemment une production dense et pensée sur cet album. Il y a des instruments live mais très limités à quelques musiciens. Il y a un arrangement de cordes sur « Rong » avec alto, cello et violon, comme sur « Coup De Grace », et « Thank You » a une ligne de basse jouée live. Donc il y a des éléments, mais ils sont minorés pour laisser place à l’atmosphère et aux paroles. C’est délibéré.
Et c’est aussi pour cela que Twenty-Thirteen, par exemple, basé sur des cuivres jazzy, n’est pas sur l’album….
Svein : Oui. On aime beaucoup le talent de Jamie Irrepressible, et c’était intéressant à explorer. « Twenty Thirteen » était un cadeau fait à nos fans en fin d’année 2013, et sachant que The Inevitable End traiterait de sujets sombres, on souhaitait sortir un titre qui a un sourire aux lèvres. Je voulais une référence hédoniste, très littérale, à la scène jazz-swing et des bals des années 1930. C’était assez fun à faire. La musique aurait pu être enregistrée en 1936, mais les paroles font référence à notre époque.
Puisqu’on parle de « fin », j’ai vu quelques interviews où vous faisiez référence à la fin du format physique et la fin du CD. Pendant quelques interviews vous avez parlé d’acheter et collectionner le format physique. Bien sûr, le mix « Late Night Tales » que vous avez réalisé laisse transparaître que vous êtes des collectionneurs. Est-ce que vous continueriez à sortir des choses en physique ou uniquement en digital, et quel est votre point de vue sur les évolutions actuelles ?
Torbjorn : Le vinyl est un objet plus éternel et esthétiquement plaisant. Pour le CD, ça dépend. On sent que ce ne sera pas nécessaire de tout sortir en vinyl immédiatement à l’avenir. Peut-être on peut continuer à le faire, peut-être sortir un vinyl qui regroupe différentes sorties… On est ouvert pour sortir un vinyl pour les gens qui aiment les collectionner.
Svein : Je pense que seuls nos albums studio sont sortis en vinyl, « The Voice Of The Universe » et « Track Of The Moment ». Il y a des choses que nos fans devront aller chercher, comme une chasse au trésor. On aime inclure certains titres cachés sur nos sorties qui vont ici et là.
Est-ce que vous avez des plans de faire plus de remixes et edits pour des artistes, maintenant que vous ne faites plus d’albums ?
Svein : Je pense, parce que ce sont des choses qu’on aime vraiment. Il y a tellement de choses qu’on veut faire, après la sortie de ces deux albums cette année. On a un peu de temps libre pour faire d’autres choses comme des remix. On en a pas fait beaucoup ces dernières années.
Parmi tous les remixes, officiels et non-officiels, est-ce qu’il y a des choses tirées de Do It Again dont le travail est intéressant ?
Svein : Il y a un remix de Kindness pour « Monument ». Je pense que ce n’est pas un gros secret que Robyn travaille avec lui. Et pour nos remix, nous les choisissons nous-mêmes ou ce sont des suggestions du label. Par exemple, pour « Running To The Sea », on a demandé un remix à Pachanga Boys et un à Man Without Country parce que nous aimons beaucoup ce qu’ils font. Mais en règle générale, les meilleurs remix viennent de nous. *sourire*
English version
You have been touring in the USA. Was it a good place to preview material and did you have any lessons learned after such a long hiatus?
Svein : Touring in America is always a nice thing because it’s a bit of a boost of self-esteem, because the North American seem to be appreciative and receptive of music and the experience of partaking in a live environment. But we haven’t been previewing any material from « The Inevitable End ». We’ve been playing new music but that was music made specifically for the tour, with the exception of « Running To The Sea ». But normally, in earlier rehearse, we would have played material that was in development for albums in front of a live audience. But we felt so comfortable and sure of the music we had for « The Inevitable End » that we didn’t see the dire urge to preview it.
So you’ve done tracks specifically for the tour?
Svein Berge : Yes, I mean this is something we’ve been doing in the past as well. We have many aspects : albums, remixes for other people, and we have something called « Track of the Month », where we just put music on our website for people to check out, which would never find their way on albums. And when we play live, we plya tracks that only exist on the live stage and have never been released. And this tour with Robyn was no exception to the rule.
The Inevitable End is presented as your final album. It’s been more than a decade since Melody AM was released. Did you feel any shortcomings or frustrations about the process of making an album with a beginning, middle and end?
Svein : I don’t feel we found any shortcomings. There’s a limit to how much we can say on an album format. I felt that we’ve said what we had to say over the course of these five albums. Senior is a good example, we had the intention of doing an all-instrumental album for a long time and we did that. We had the intention of being outgoing, youthful, semi-energetic, in terms of Junior. And we had the intention of making that album. Also, it’s very time-consuming to make an album the way we want to make it because we want it to be cohesive and conceptual. We don’t want an album to be just a selection of tracks. Abandoning the album format, this will allow us to release music in different ways : smaller EPs, then hopefully increasing the frequency of release.
You’ve been working with Jamie Irrepressible, Robyn, and the singer from Man Without Country, for vocals on this album. How was it recording with them? Were they in the studio?
Svein : For Robyn, obviously we’ve been working with her for a long time, and we have a really nice chemistry together. We did make the Do it Again mini-album at the same time as recording The Inevitable End. They were made in the same mindstate that we were in, we were dwelling on the same themes. And Robyn holds a special place in our heart, that’s why she’s in them, same goes for the other artists as well….
You’ve been reworking “Monument” as a straightforward track on The Inevitable End, with no build-up, without the 10-minute symphonic piece. How did it make sense to do that specific version?
Svein : We really like that song, we’re really happy with it, and we’re happy to bring that sentiment onto The Inevitable End, because we feel that the lyrics and the themes piece together really well. It’s observations on mortality and defining oneself. But we don’t like to repeat ourselves, and we didn’t want to cheat the audience by having the same track on the album, and “Monument” is the main piece on the “Do It Again” project. We didn’t find room for that main piece on “The Inevitable End”, because there are so many other tracks. So we wanted to condense it, and display, somewhat our abilities by showing that the song is so strong that we can arrange it in two different ways and it still works. Also, we felt that the kind of energy in “Monument” was missing on That Inevitable End. We wanted a bit more of that sort of rugged kind of energy.
As far as the lyrical content, as far as producing the vocalists, what is your specific input in writing the lyrics and expressing what you’ve been going through with the vocals?
Svein: When it comes to the songwriting, with Do It Again for Robyn, we sit together and we start from scratch, from a feeling. And we write lyrics together, we write music together. That’s most common, actually, with her. In the case of, for instance, Jamie, Susanna and Ryan, we would write all the lyrics, the composition and we would welcome their input. In some cases, they will be in the studio ; in some others, they will perform just performing the track as we want it to be. On “Compulsion” and “I Had This Thing”, Jamie has been taking part in forging and writing the song ; on the other tracks, we’ve written everything.
Torbjorn : Collaborations in general, and apart from “Monument” which is a true collaboration with Robyn, we supply the vision and we do most of the composition and writing, but we benefit from improvisation. But this is our vision, and we have control over it.
The lyrics, such as “Rong”, which is the other Robyn collaboration, address a very dark subject matter. What was your take on finality, and did you try to address finality in relationship?
Svein : We like our music, our videos, and even our productions, to have different layers and be approached from different angles. We like our music to be played at a low volume, and at the same time you can boost the same track, and it will be quite a different thing. We like our lyrics to have a suggestive, yet ambiguous quality to them. In terms of finality, there are things like relationships and the choices one makes, and the doubt that might come up and any action that you might do will have consequence. It’s about a lot of things.
The tail end of the LP has “Thank You” right after “Coup De Grace”. Is it about letting go as theme of the LP?
Svein : If you look at the album, that’s a story on its own from beginning to end. Those two tracks can relate to what has been said earlier in the album. The “Thank You” is a gratitude, to some extent, to those who have paid attention to us. It’s kinda getting back to where it started with Melody AM. If you listen to the sonics, and it’s a nod to where we started. I don’t want to go too much in depth. It’s quite personal and dear to us.
There are not a lot, if any, of acoustic and live instrumentation. This LP features a lot of electronic-based beats. Was it a rule that you set out to do?
Torbjorn : There is, obviously, a very sparse and thought-out true production. There is live instrumentation but only with a few members. With “Rong” there is violin, viola and cello arrangement. That string section has “Coup de Grace” and “Thank You” has a live bass. There are elements there, but they are toned down to give space to the mood and lyrics. It’s all done deliberately.
And that’s why a track which is horn-based like “Twenty Thirteen” is not on the album, which has a very different mood…
Svein : Yes, and we’re fond of Jamie Irrepressible’s vocal talents, and it’s such an interesting thing to explore. “Twenty Thirteen” was a gift to our fans at the end of 2013, and knowing that The Inevitable End would have this sort of gravity and seriousness, we wanted to release a track that had a twinkle in its eye before darker subject matter. I wanted a tongue-in-cheek hedonistic reference, done in a 30-40s horn-based dancehall style. It’s a bit of a fun thing. The music sounds like it would have been made in 1936, but the lyrics reference today.
Speaking of « end », I’ve been noticing you’ve been talking about the end of the physical format and the end of CD. In a few interviews you’ve dealt with buying and collecting the physical format. Obviously, the Late Night Tales mix you did are a very record collector’s thing. Would you keep releasing stuff on a physical format or going digital-only and what’s your take on the evolutions?
Torbjorn : Vinyl is the more eternal and aesthetically pleasing object. CD depends. We feel that it won’t be necessary to put out everything in the future in vinyl immediately. Perhaps we can do that, perhaps we’ll save it for a little while and do a kind of vinyl that’s tying to different releases… We’re kind of open to do a vinyl for people that enjoy that like to collect stuff.
Svein : I think we only released our studio releases on vinyl, the Voice Of Universe and Track Of The Moment, we believe our fans like that. There are things they’ll have to find like treasure hunting. We like to include several hidden tracks on certain releases and go there and there.
Do you have more plans to do edits or remixes for other people, now that you’re done with albums?
Svein : I think so, because this is something we really love. It’s so many things that we wanna do, now that we have released two albums this year. We both have a bit of time to do other things like remixes. We haven’t really done many remixes these past few years.
Among all the remixes out there, are there any stuff that are interesting from the Do It Again mini-album, official and unofficial?
Svein : We have a Kindness remix of “Monument”. I think it’s no secret Robyn is working with Kindness, most of people that do remixes for us either we choose, or the label will have. For instance, Running To The Sea, we asked Pachanga Boys and Man Without Counry to do remixes because we like them. As a rule, all the good ones come from us. *smiles*