#Interview Dounia Sichov & Twin Peaks

#Interview Dounia Sichov & Twin Peaks

Découvrir Twin Peaks relève de l’expérience personnelle et unique. C’est pourquoi nous avons demandé à Dounia Sichov, actrice, notamment chez Mikhael Hers (Memory Lane, Ce sentiment de l’été) ou encore dans la série Un village français, de nous raconter son histoire avec la série de Mark Frost et David Lynch. Ses mots trouveront assurément un écho.

(Toutes les illustrations sont issues de la relecture photographique de Twin Peaks par Sébastien Gerber)

Twin Peaks

©Sebastien Gerber

« J’ai découvert Twin Peaks en cachette. C’était interdit. J’avais 10-11 ans, mes tantes, fraîchement arrivées de Russie, regardaient deux épisodes tous les lundis soir, lors de leur première diffusion sur La Cinq, en 1991, et mon frère les enregistrait religieusement sur notre premier magnétoscope. La journée, en l’absence de tout le monde, je regardais ce que tout le monde me refusait. La musique, d’abord. Angelo Badalamenti. Julee Cruise. Tout cela a bercé ma vie à partir de ce moment-là. Et puis les cauchemars – Laura Palmer, Bob, et, mon Dieu, cet oiseau qui parlait et dont j’ai rêvé un nombre incalculable de fois. J’avais peur la nuit. Je ne pouvais en parler à personne. Forcément, je n’étais pas censée les avoir vus.

Et puis pour mon anniversaire de 12 ans, j’organise ma première boom. Mes ami(e)s décident de se cotiser. Me demandent ce qui me ferait plaisir. La B.O de Twin Peaks, évidemment. Ils ne savent pas ce que c’est. Mais ils se débrouillent, vont à la Fnac, commandent l’audio K7. Ils me l’apportent : « La nana à la caisse avait l’air un peu surprise de nous voir acheter ton truc, elle a pas compris. » Et je l’ai passée en boucle, ce soir-là, le soir de mes 12 ans, comme un slow interminable, jusqu’à risquer de récolter la haine de ceux qui étaient venus. Personne ne pouvait me comprendre, mais je me sentais la plus heureuse des filles. La plus adolescente.

Twin Peaks

©Sebastien Gerber

Depuis, j’ai travaillé avec des gens – comme Antoine D’Agata, par exemple – dont l’imagerie me ramène bizarrement à l’enfance. Twin Peaks n’y est pas étranger. Et l’avant-Twin Peaks, dont la voie a sans doute été ouverte par la découverte terrifiée et violente de Taram et le chaudron magique. Une imagerie glauque, dans tous les sens du terme : ces squelettes qui sortent du chaudron – boîte de Pandore, symbole, concentration du mal absolu, comme Bob quelques années après. J’appris une fois adulte que Tim Burton avait travaillé chez Disney à l’époque même de Taram. En le revoyant, à 17 ans, je compris le traumatisme de mes 4 ans et la répétition du trauma en m’infligeant, mi-peureuse, mi-fascinée, les 29 épisodes du feuilleton lynchien 6 ans après. J’ai lu plus tard le journal de Laura Palmer en russe, appris à jouer au piano le thème principal – mon frère écoutait d’une oreille amusée – et voué un culte sexuel à Dale Cooper et Sherilyn Fenn. Les deux en même temps. Et puis Donna, James et sa bécane, Annie, le jeu d’échec, les chouettes, Josie (j’avais appelé mon premier ordinateur – un Hewlett Packard – Josie, évidemment), tout me ramenait à des sentiments que j’avais pu éprouver à partir de ce moment-là. Twin Peaks, chez l’adolescente que j’étais, avait réussi à créer de nouveaux sentiments que l’enfant que j’étais ne connaissait pas encore. Aujourd’hui, ces sentiments portent encore la trace de ces personnages qui les ont inspirés.

Regarder Twin Peaks – et Lynch en général -, c’est comme rentrer chez moi. Revenir à un rituel d’enfant. Rassurant et malade. »

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