
INTERVIEW : Elephant ClassiQ, nouvel événement consacré au cinéma restauré à Montréal
L’activité de restauration numérique des grands classiques du cinéma bat son plein depuis une bonne dizaine d’années, grâce aux mécènes privés et aux institutions publiques. Les festivals se sont multipliés et l’on attend désormais de pied ferme un nouvel entrant du genre : Eléphant ClassiQ. Entretien avec Gérald Duchaussoy, chef de projet de l’événement, qui sera la première manifestation consacrée au cinéma restauré au Canada. Rendez-vous est pris du 19 au 22 novembre prochain à Montréal, avec une première édition entièrement dédiée au cinéma francophone, sous l’égide du puissant groupe Québécor.
Depuis le début des années 2000 et plus encore avec l’essor du numérique en 2008/2009, la restauration des films dits « de patrimoine » a connu un véritable boom à l’étranger et en France. Nourrie par la démarche pionnière de Martin Scorsese et la création dés 1990 de sa Fondation du Film , la volonté de préserver des outrages du temps les trésors cinématographiques vieillissants est entrée dans une puissante dynamique grâce au soutien convergent de mécènes privés, institutions publiques et ayants-droit.
Les festivals se multiplient – Cinema Ritrovato à Bologne depuis 1986, Cannes Classic en marge du festival de Cannes (depuis 2004), Lumière à Lyon (2009), Venezia Classici à Venise (2009), Toute la mémoire du monde à la Cinémathèque Française (2013)… Et en France, depuis 2012, le CNC (Centre National du Cinéma) octroie de généreuses subventions aux ayants-droits qui ont décidé d’opérer une cure de jouvence numérique pour les classiques de leurs catalogues. Les aides, qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros (80 000 € pour la restauration à venir de La Haine chez Le Pacte, 100 000 € pour Jean de Florette ainsi que Manon des Sources chez Pathé…), ne sont bien sûr pas automatiques et sont décidées en commission. Mais cette manne s’avère suffisamment attractive pour convaincre bien des ayants-droits, qu’ils soient petits producteurs ou grands distributeurs, de déposer un dossier… Même si elle n’intéresse in fine à ce jour qu’un noyau (certes puissant et pro-actif) de spectateurs cinéphiles et de professionnels du secteur, la restauration cinématographique a donc le vent en poupe et l’on ne peut que s’en féliciter.
Au Canada, le géant des médias et télécommunications Québécor se lance à son tour dans l’aventure avec un tout nouvel événement : Eléphant ClassiQ, manifestation ciblant le grand public et dédiée à la (re)découverte en salle de classiques restaurés. Ses instigateurs comptent bien en faire un lieu aussi incontournable à l’avenir que ses homologues européens mais la tâche est rude ! Chef de projet sur Elephant Classiq, Gérald Duchaussoy nous explique la démarche de ce nouveau rendez-vous, organisé en partenariat avec l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et la Cinémathèque de Montréal.

Le Jour se lève, de Marcel Carné (1939) : version restaurée projetée en marge du festival du Nouveau Cinéma de Montréal en octobre 2014.
DAILY MARS : Elephant ClassiQ, c’est quoi ?
Gérald Duchaussoy : C’est le tout premier festival canadien consacré au cinéma restauré. L’an dernier, quatre films restaurés avaient été projetés dans le cadre du Festival du nouveau cinéma de Montréal mais du 19 au 22 novembre 2015, Elephant Classiq organisera sa première édition en tant qu’événement autonome et indépendant. Elle sera centrée sur le cinéma francophone avec des projections de films, francais, belge, suisse, québécois et africain. Il y aura aussi des masterclass. Le maîtres-mots de cette nouvelle manifestation sont la jeunesse et la transmission.
Elephant ClassiQ a pour vocation de permettre aux jeunes spectateurs de découvrir des films de patrimoine en salles, dans un esprit populaire et en présence d’artistes chaque fois que sera possible. Nous organiserons aussi des rencontres à l’UQAM, la faculté, et divers événements que nous annoncerons ultérieurement. Il y aura des surprises ! C’est une manifestation qui s’inscrit dans la continuité d’une autre initiative préalable du groupe Québécor, lancée en 2008 : “Eléphant : mémoire du cinéma québécois”. Il s’agit d’une vaste entreprise de restauration de 220 films de patrimoine, dans laquelle Québécor a investi 19 millions de dollars canadiens. Les films sont disponibles en VOD (ou VàD pour les francophones – ndlr), sur Illico (le Canal Play canadien – ndlr) et via un accord avec itunes, dans tous les pays francophones ou anglophones. Je précise que Québécor ne touche aucun droits, qui sont reversés à 100% aux ayants-droits. C’est une entreprise totalement philanthropique visant à mettre en avant les films de patrimoine via la salle, sachant qu’Eléphant vit toute l’année via la VOD. Je vois cela comme un cercle vertueux d’aller-retour entre les différents écrans.
Le choix de l’Eléphant comme symbole s’impose donc naturellement…
G.D : Oui, cet animal majestueux détient les cordes sensibles de la mémoire sous sa carapace robuste. La mémoire du cinéma est en mouvement puisque nous vivons une période de transition : les projections en 35mm disparaissent pour laisser place à des fichiers numériques appelés DCP identiques d’une salle à l’autre, sans perte de qualité. Le moment s’avère par conséquent idéal pour permettre aux amateurs de cinéma du monde entier de redécouvrir les classiques en VOD sur tous les écrans, en salle dans des cinémas ou des cinémathèques qui font vivre les films au quotidien ou lors de grands festivals, notamment au moment de ce nouvel événement, Eléphant ClassiQ.
Elephant ClassiQ aura-t-il vocation à susciter des restaurations pour l’occasion ?
G.D : Cela se pourrait, on travaille sur des projets en ce sens, mais il est encore trop tôt pour en parler. La programmation sera à la fois axée sur des œuvres populaires à destination du grand public et sur des films ciblant davantage les cinéphiles, en collaboration avec la Cinémathèque de Montréal. L’objectif est d’obtenir tous les films en format DCP dans leur version restaurée, avec des sous-titres anglais.
La sélection concerne ce qu’on appelle communément aujourd’hui un “film de patrimoine”. Que désigne ce label exactement ? Y a-t-il une définition institutionnalisée ?
G.D : Je pense que des chercheurs cherchent à définir ce terme puisqu’on voit des thèses éclore à ce propos. De mon point de vue, on peut considérer qu’un film peut entrer dans cette catégorie à partir de 15 à 20 ans d’âge. Tous les trimestres, une commission d‘aide à la numérisation des œuvres cinématographiques de patrimoine se réunit au CNC et le descriptif des films éligibles évoque des films nécessairement sortis en salles avant le 1er janvier 2000. Notre sélection pour Elephant ClassiQ retient de fait potentiellement des films allant des débuts du cinéma à l’aube des années 2000. Pulp Fiction est un assez bon exemple d’un film de patrimoine populaire, qui aurait tout à fait sa place chez nous. Il touche à la fois le grand public mais c’est aussi une oeuvre exigeante sous un vernis divertissant pour cinéphiles qui s’inscrit dans l’Histoire du cinéma, du fait de sa construction, de sa violence, de son montage, de ses influences, de son rythme et de ses acteurs iconiques.
Retrouver les copies des films que vous sélectionnez est-il un travail difficile ?
G.D : C’est un véritable travail d’investigation et une organisation parfois complexe. Il faut chercher les meilleures copies restaurées disponibles dans le monde, obtenir les droits pour le Canada, convaincre les vendeurs de nous louer le film. Parfois, il existe des Blu-rays magnifiques mais pas de DCP de disponible, d’où un choix qui se restreint de fait. Mais l’engouement actuel des éditeurs et du public pour la redécouverte d’oeuvres de patrimoine en salle en France nous facilite la tâche. Le succès du festival Lumière à Lyon, à qui nous tirons notre chapeau pour le travail accompli, en est un bon exemple.
Remerciements : Sandy Gillet.
Le site Web d’Éléphant : mémoire du cinéma québécois, www.elephant.canoe.ca
Twitter : @elephantcineqc
Facebook : facebook.com/elephantcineqc