INTERVIEW : l’équipe de Dope à Cannes 2015 (2/2)

INTERVIEW : l’équipe de Dope à Cannes 2015 (2/2)

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Deuxième partie de notre entrevue avec l’équipe de Dope à Cannes 2015, juste avant sa projection comme film de clôture de la Quinzaine des Réalisateurs. Le film sort aujourd’hui dans les salles américaines, après avoir été l’objet d’une grosse acquisition au dernier festival de Sundance. On parle aux interprètes de Diggy et Jib, les camarades de Malcolm et deux autres composantes du trio principal du film. Puis, on cause au scénariste et réalisateur Rick Famuyiwa du montage, de la musique et de Marvel.

Kiersey Clemons et Tony Revolori

Que pouvez-vous nous dire sur Diggy ?

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Tony Revolori (à gauche) et Kiersey Clemons (au centre).

Kiersey Clemons (Diggy) : Je dois trouver un moyen de m’identifier au personnage, et en gros c’est ce qui constitue l’expérience humaine. C’est ce qui constitue la vie comme être humain. Ce qui rend un film intéressant, c’est que l’on vit ces situations, pas juste les jouer. Tony et moi on a peu en commun, mais j’essaie de trouver des choses qu’on a en commun de façon à ce qu’on puisse communiquer. Et c’est ce que j’ai fait avec Diggy.

Tony Revolori (Jib) : On peut penser que dans un film comme 12 Years a Slave, Michael Fassbender est dans ce cas. C’est un personnage très dur qu’il faut tenter d’incarner, mais en tant qu’acteur, on fait de son mieux.

Kiersey Clemons : On n’a pas forcément les mêmes intentions que la personne qu’on joue.

Tony Revolori : On peut avoir des choses comme de l’intensité ou de la puissance. Jouer, c’est rendre tout ça crédible. Kiersey déchire tout comme Diggy dans ce film. A$AP Rocky est le mec le plus professionnel que j’ai rencontré sur un plateau, encore plus que des acteurs dans le métier depuis 20 ans. Notre réalisateur, Rick, était génial et c’est super d’être entouré d’une telle troupe.

Comment le rôle de Jib est venu à vous ?

Tony Revolori : À travers les auditions, des chargés de la distribution des rôles qui voulaient me voir. J’ai dû revenir 10 fois pour donner la réplique à beaucoup de Malcolm et de Diggy, et je pense que le choix final est très bien.

Que pensez-vous de la philosophie du film ?

Tony Revolori : Il n’y en a pas vraiment. Ce film est assez éclairant sur les problèmes qu’on peut rencontrer en Amérique et ailleurs, sur le racisme, et d’autres choses comme ça. Ce film montre la manière dont la communauté noire est perçue comme une seule catégorie de personnes. Il n’y a pas de moyen de la faire rentrer dans une seule catégorie. Il s’agit d’ouvrir l’esprit des gens à ce fait, et après ils peuvent changer d’avis ou pas. Ou au moins, y penser un peu.

Quel est votre moment préféré du tournage ?

Kiersey Clemons : Ce moment de tournage, on n’en a pas parlé. À un moment, le personnage de Blake Anderson, Will, s’interrompt au milieu d’une phrase pour inhaler. On essayait de ne pas rire…

Tony Revolori : …parce qu’il a fait ça de manière tellement vraie. C’est beaucoup de bons souvenirs, mais en même temps, c’est un film indépendant, et on ne sait jamais comment ça va finir. On doit tourner des scènes aussi rapidement que possible, le temps est compté. Mais quand un film comme celui-ci marche, c’est aussi bien car c’était dur sur le tournage, tout le monde a dû bosser vraiment, vraiment beaucoup. Tournage la nuit, heures sup…

Kiersey Clemons : Si le film ne change pas l’opinion des gens, au moins on a cette plateforme. Avec Dope, son extraordinaire scénario et la curiosité qu’il suscite, on a l’opportunité de répondre à toutes ces questions.

RICK FAMUYIWA

Est-ce que vous pensez être un produit de Nollywood ?

Le réalisateur Rick Famuyiwa à Cannes.

Le réalisateur Rick Famuyiwa à Cannes.

Rick Famuyiwa : En quelque sorte, oui, car mes parents sont du Nigéria. Mais je pense avoir un lien de parenté avec Nollywood.

Vous avez beaucoup de musique dans le film : des chansons composées spécialement par Pharrell Williams, le score et la bande-son sélectionnée par Scott Vener (également superviseur musical sur la série Entourage, ndlr). Est-ce que c’était votre but, de caler autant de musique que possible dans Dope ?

J’utilise la musique et les chansons comme moyen de créer la bande-son de mes films. Cela a toujours été une partie de la manière dont j’aime raconter des histoires. Et je voulais que la musique ait le même ressenti que le message de mon film, qui est : il n’y a pas de limites envers ce à quoi on réagit, ce que l’on aime. Ces gamins aiment le hip-hop des années 90, et cependant ils sont connectés à un monde où ils ont de l’information de partout, et puisent leur inspiration musicale partout. Gil Scott-Heron fait partie de leur héritage musical, pas parce qu’il a fait de la musique qui a une influence, mais parce qu’il a été samplé par Kanye West et beaucoup d’autres à travers l’histoire du hip-hop. Donc je voulais vraiment démontrer ça dans la musique du film, parce qu’on a beaucoup de ces titres sur nos iPhones, nos iPads, nos smartphones… On n’écoute plus d’album en entier, on est inondés de nos propres playlists, en quelque sorte. Celle-ci, c’est la mienne.

Une chose que j’ai remarqué dans le montage, c’est l’ultraprécision avec laquelle vous choisissez vos chansons et les moments autour desquels vous construisez une scène donnée. Par exemple, il y a une parole du remix de Scenario de A Tribe Called Quest où Busta Rhymes dit « rewind » et il y a un retour en arrière. Combien de jets du scénario avez-vous écrit avec ces titres particuliers en tête, et comment cela a-t-il évolué pour finalement pouvoir utiliser tous ces classiques ?

J’ai écrit le scénario avec ces titres particuliers en tête. Et je voulais les utiliser à la fois thématiquement et comme une énergie qui propulserait la scène. Lorsque je me suis retrouvé sur le banc de montage, c’était très instinctif, je sentais que certaines choses marchaient et d’autres moins en termes de rythme, ou encore en termes de parole…

 Est-ce que vous avez monté le film vous-même ?

Non, j’avais un monteur avec moi, Lee Haugen, et j’étais très impliqué sur le montage. J’étais très méticuleux pour monter ce film comme ça, et pas forcément avoir recours à une méthode plus traditionnelle. J’essayais de m’amuser avec la manière dont on utilise le montage, et la structure en trois actes qui est tellement innée dans nos esprits. Je voulais jouer autour de ça, et autour de l’introduction de ces personnages.

Ce film a un message très particulier et original autour du parcours de vos personnages. Je m’interrogeais sur les différents genres avec lesquels vous jouez dans le film. On ne peut pas dire que c’est une comédie ou un drame, ou autre chose. En tant que scénariste est-ce que c’était difficile de tordre le cou à tous les clichés, ce qui est une réussite de Dope

Tout était question d’équilibre. Je savais qu’il y avait plusieurs messages et plusieurs choses que je voulais faire passer à travers ce film. Je me suis inspiré de réalisateurs comme Quentin Tarantino, Steven Soderbergh, Paul Thomas Anderson, les frères Hughes… Je sentais que les films New Line et Miramax qui sont sortis dans les années 90 ont joué en grande partie dans la modélisation de mes idées, parce que j’étais en fac de cinéma à l’époque. On ne fait plus beaucoup de ce genre de films, hormis Paul Thomas Anderson. Tous les autres doivent trouver un moyen de se faire une place. Donc c’était mon hommage aux films de cette époque.

Est-ce que vous pensez que votre film est à l’image de votre personnage : il refuse les catégories ?

Je pense que le film et les personnages ne veulent pas être définis. Chacun d’entre eux veut être vu en tant qu’être unique avec des intérêts variés, pas juste une poignée de choses. On essaie de faire rentrer les gens dans des cases, en tant qu’êtres humains, et quelque fois c’est approprié, d’autres fois moins. J’aime vivre dans un endroit qui n’a pas d’étiquette, un peu en fatras. Un équilibre entre comédie et tragédie, ce qui est moral ou pas.

Au début de ce film, je pense que Malcolm se soucie trop d’être défini par sa propre communauté, et à la fin il comprend les aspects, bons et mauvais, de là où il a grandi. Son altruisme est ce qui le définit, et il apprend à incarner et assumer cette complexité.

Alors que Dope établit un univers qui lui est propre, seriez-vous intéressé pour vous atteler à la construction d’univers plus grands ? Je demande car votre nom était sur la liste de gens qui pourraient réaliser Black Panther. 

Je ne suis pas pressenti pour Black Panther. Je veux faire beaucoup de choses, et ce que je voulais accomplir avec Dope, c’était remettre en question ce que l’on considère comme mainstream. Que ce soit l’univers des comicbooks Marvel ou ailleurs, je pense que des films à gros budget peuvent être montés avec une identité très différente de ce que l’on voit. On vit à une époque où on doit avoir un Miles Morales comme Spider-Man sur grand écran, pas une autre version de Peter Parker. On vit à une époque où on est prêt à penser comme tel, et où toute une génération est prête à l’accueillir favorablement. Je veux en faire partie, d’une manière ou d’une autre.

Propos recueillis à Cannes le 23 mai en présence d’un journaliste de Séance Radio. Dope sort aujourd’hui en salles aux États-Unis, et les droits français ont été acquis par Sony Pictures. Première partie ici. 

What can you tell us about Diggy?

Kiersey Clemons (Diggy) : I have to find a way to understand the characters, and that’s what makes the human experience. That’s what makes a film interesting : everyone is living, not just acting. Diggy’s very different in some ways [than me], but also very alike. Me and Tony, there’s a lot of things that we don’t have in common. But I try to find the things that we have in common so we can relate. And that’s what I did with Diggy.

Tony Revolori : You think that in a movie like, say, 12 Years a Slave, Michael Fassbender feels like that. It’s a very hard character to relate to, but you do your best as an actor. No matter what the character is, you find a way, an experience to connect.

Kiersey Clemons : You may not have the same intent as the person you’re playing.

Tony Revolori : You may have things like intensity or power. Acting is making sure you make it believable. Kiersey kills it in this movie as Diggy. A$AP Rocky was the most professional guy I’ve ever seen, better than some actors that have been doing it for 20 years. Our director, Rick, was amazing and it’s great to be surrounded by that type of cast.

How did the role of Jib come along?

Tony Revolori : Regular auditions, cast directors saying “let’s audition”. I came back 10 times for Jib. I auditioned with quite a lot of Diggys and Malcolms before they came, and that was a great choice.

What do you think about the philosophy of the movie?

Tony Revolori : It doesn’t really have one. It sheds enough light on issues we have in America and other places, about racism and other things like that. It’s about how the Black community is being perceived, in a way, as one type of people. There is no way to categorize It into one box. It’s about opening people’s minds to that thought, and then, they can either change or not. If not, they can at least think about it.

What’s your favorite moment from the shoot?

Kiersey Clemons : That moment in the shooting is overlooked a little bit. At one point, Blake Anderson’s character Will pauses mid-sentence to take a hit with a vaporizer. We were trying not to laugh….

Tony Revolori : … because he made it so real. It’s a lot of great memories, but at the same time, it’s difficult because it’s an independent movie, and you never know how that’s gonna turn out. You try to shoot the scene as fast as you can, you only have so much time. But when a movie like that works, it’s all the better because it was really tough on set, everybody had to work really, really hard. Late night shooting, overtime…

Kiersey Clemons : If this movie doesn’t change people’s minds, at least we have this platform. Because of Dope and its amazing script, and all the curiosity that arises from it, we have this opportunity to answer all sorts of questions.

Do you think you’re a product of Nollywood?

Rick Famuyiwa : I guess, in some ways, preferentially, because my parents are from Nigeria. But I feel a kinship to it.

You have a lot of music, you have the score, original songs, Scott Vener (music supervisor for Entourage) the soundtrack. Did you set out to cram as much music as possible?

Rick Famuyiwa : I use music and songs as a way to create the score for my movie. That’s always been a part of the way I like to tell stories. And I wanted the music to feel like the message I’m trying to get through the movie, and that’s : there are no boundaries in terms of what you respond to, what you love. You have these characters of this generation that love 90s hip-hop, yet they are connected to a world where they gather information from everywhere, and musical inspiration from everywhere. Gil Scott-Heron would be part of their musical heritage, not because he made influential music, but because he’s been sampled by Kanye West and many people throughout the history of hip-hop. So I wanted to break down a lot of that stuff in the music of the film, because we have a lot of that music on iPhones, iPads, phones… We don’t listen to full albums anymore, we have a sort awash with our own personal soundtracks. That is mine.

One thing I noticed about the editing is the laser precision of the songs you choose and the specific moments you build a scene around. At one point, there is a line from A Tribe Called Quest “Scenario” (remix) where Busta Rhymes says “rewind” and the scene rewinds. How many drafts of the script did you write with those specific cues in mind, and how did it evolve do get all this access to classic songs?  

Rick Famuyiwa : I wrote the script with very specific cues in mind. And I wanted to use that both thematically and both in terms of energy to be the propulsion of the film. When I came to the cut, and working on that, it was very instinctive, feeling that some things work and some don’t because of rhythms or because of lyrics…

Did you edit the film yourself, by the way?

R.F. : I had an editor, Lee Haugen, and I’m very hands-on with the cut. I was very specific about how I wanted this cut put together and not necessarily putting it together in a traditional way. I was trying to have fun about how we use the edit, and the three-act structure that is so ingrained in one’s mind. I wanted to play around that a little bit, and introduce characters.

The movie has very specific, original message about your characters journey. I was wondering about all the different genres you incorporate. You can’t say it’s a comedy or drama or anything like that, as a screenwriter was it difficult to subvert all these tropes, which is what Dope achieves?

Rick Famuyiwa : It was a balancing act. I knew that there were several messages and several points I wanted to bring to the movie. I took inspiration from filmmakers like Quentin Tarantino, Steven Soderbergh, Paul Thomas Anderson, the Hughes brothers. I felt like the New Line/Miramax films like Boogie Nights that was coming out in the 90s were a big part of what shaped my ideas, because I was in film school at the time. They don’t get made that often, except by Paul Thomas Anderson. Everyone else has to figure their way in. So that was my homage to the films of that period.

Do you feel like your movie is like your character? It doesn’t have any box to be put in…

Rick Famuyiwa : I feel like the film and the characters don’t want to be defined. Each of them wants to be seen as an individual with varied interests, not one thing or the next. We try to categorize things naturally as human beings, and sometimes, that’s clean, often that’s not. I like to live in a place that’s messy and uncategorized, and do a balance between comedy and drama, what’s moral or not.

At the beginning of the movie, Malcolm is, I think, a little too concerned about being defined by its community, and by the end he understands all aspects, both good and bad, of where’s he’s from. His own interests in others is what makes him who he is, and he sort of embraces that complexity.

As Dope establishes a universe of its own, would you be interested for your next projects to tackle bigger-scale universes? I’m asking because of you being potentially attached to Black Panther.

I’m not attached to Black Panther. I’m looking to do a lot of different things, and what I wanted to do with Dope is redefine what we consider mainstream. Whether it’s the Marvel comic universe or anywhere else, I think there are big movies that can be made that look and feel different than what we’ve seen. We’re at a time where we need to see Miles Moraleses as Spider-Man on screen, not a reiteration of Peter Parker. We’re at a point where we’re ready to think that way, and a generation of people ready to embrace it. I want to be part of that, in some way.

First part can be read here.

 

 

 

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