
INTERVIEW : Frédéric Josué, créateur de FRAT : « Seul CanalPlay pouvait valider un projet aussi fou »
Attention, expérience à haut risque ! Aujourd’hui, CanalPlay, le portail de vidéo à la demande par abonnement de Canal Plus, propose sur ses tuyaux la « série digitale » FRAT : 10 épisodes de cinq minutes, visionnables d’une traite mais écrits dans une logique sérialisée par ses co-créateurs Frédéric Josué et Shaun Severi, épaulés par quatre autres scénaristes. Au fil d’un récit tendu et inconfortable, FRAT (acronyme de Français Radicalisés Terroristes) suit la course contre la montre d’une poignée d’experts pour arracher les aveux d’un suspect de terrorisme djihadiste. Sujet O combien sensible pour une ambitieuse stratégie de création originale au format court, initiée l’an passé par CanalPlay. Selon son co-créateur Frédéric Josué (scénariste au profil atypique, issu de la pub et maître de conférences à Sciences Po), FRAT est aussi une série qui appuie là où le bât blesse : l’inexistante réactivité de la fiction française à une actualité brûlante. Le terrorisme islamiste en l’occurence, même si une foule de précautions ont été prises par les scénaristes pour éviter les amalgames.
DAILY MARS : Pouvez vous rappeler le pitch de FRAT ?
Frédéric Josué : Le titre original du projet était “Français Radicalisés Terroristes”, il a été changé en “Force de Frappe Anti-Terroriste”. FRAT raconte la mission d’une cellule secrète composée de quatre experts, tous policiers, chargés de déradicaliser un jeune prisonnier de droit commun, radicalisé en prison et soupçonné d’être complice d’un futur attentat majeur. Ils ont neuf jours pour déprogrammer ce terroriste afin d’éviter l’attentat. Dans le groupe : Frank, le patron de la Frat, un expert des réseaux terroristes en Europe ; Pierre, militaire expert de terrain adepte de la méthode forte voire de la torture ; Lone, psychiatre spécialiste de la manipulation mentale et qui voit ce djihadiste comme un patient ; et enfin Hakim, un universitaire spécialiste des religions et qui a lu les 14 versions du Coran. Leur but est d’obtenir de leur prisonnier une information capitale pour éviter un drame, à aucun moment de le sauver lui.
Ce type de cellule de “déradicalisation” existe-t-il dans la réalité ?
F.J : Non pas encore officiellement, à ma connaissance elles en restent au stade expérimental. On a commencé à en entendre parler seulement depuis le début de cette année. L’objectif de ces cellules est de désamorcer des individus potentiellement dangereux, sachant que la déradicalisation n’a aucun résultat définitif prouvé. C’est ce que montre par exemple le documentaire israélien The Green Prince.
Au-delà du suspense, quel est le sujet de fond de FRAT ?
F.J : Avec Shaun Severi, le co-auteur et réalisateur, on a voulu faire de cette cellule une représentation d’une société française fragile, faible qui doute et qui s’interroge sur un mal et une production intérieure. La FRAT c’est comme l’équipe médicale de Dr House, qui fonctionne aussi comme une représentation de la société : Cuddy représente la loi, Hudson la morale, Cameron la sensibilité, Foreman la science qui respecte la loi et Chase la peur. Dans FRAT, Sébastien, le jeune djihadiste, est une production de la France. Dans la série, Frank c’est la représentation de la société face à la montée du FN. Pierre, c’est le FN, l’adepte de la torture physique. Lone, c’est la frange de la droite dure qui serait prête à voter FN mais qui reste une droite républicaine. Enfin, Hakim incarne la droite modérée, sûre de ses valeurs, humaniste mais affirmée, partisan d’une approche plus douce et humaine. Frank va s’interroger entre tous ces courants avant d’etre convaincu par Hakim que la seule solution à ces problèmes, c’est la réhumanisation. Le radicalisme c’est la déshumanisation de la relation à Dieu. Hors, Hakim, universitaire et croyant, est pour une réhumanisation de cette relation. Son but est de percer la faiblesse de ce terroriste, l’utiliser contre lui pour se rapprocher de lui et le retourner. Ce qu’on montre, c’est que toutes les techniques utilisées et notamment la torture ne fonctionnent pas forcément…. Même la CIA a convoqué les scénaristes de 24 pour leur expliquer que la torture ne servait à rien.
Le message de FRAT, c’est que la société est l’entière responsable des dérives djihadistes ?
F.J : Non ! Il n’y a pas de message, pas de stigmatisation, juste du doute. On est là pour faire douter, comme au théâtre. Il y a autant de réalité que d’individus qui regardent et chacun se fera son avis. Si je veux faire passer un message, j’envoie une carte postale, comme disait Scorsese je crois.
Avez vous eu peur d’aborder le terrorisme islamiste au moment de l’écriture, et les acteurs ont-ils eu peur aussi du sujet ?
F.J : C’était hyper chaud et tendu oui. Mais nous refusons de stigmatiser l’Islam, qui reste une religion de paix avant d’être pervertie par les radicaux. On a minimisé l’utilisation des symboles de cette religion à l’écran.
« A la télé française, l’actu chaude n’est JAMAIS traitée » – Frédéric Josué
Concrètement, quelle fut la genèse de FRAT ?
F.J : J’enseigne depuis 8 ans à Science Po un cours sur les séries et la narration. L’angle de mon cours, c’est la question sociale et la télé comme outil de médiation sociale. Ce sont des questions qui m’ont toujours passionné et j’ai toujours été fasciné par la longue histoire des séries américaines en matière de réactivité sur les questions sociales. Dés les années 50, les avocats héros de The Defenders avaient pour clients des néo nazis, des objecteurs de conscience, un auteur accusé de pornographie…. Les décennies suivante ne cesseront de confirmer. Plusieurs séries des sixties/seventies comme Men from Uncle, Star Trek, Mission : impossible, Marcus Welby abordent frontalement les questions raciales, la guerre froide, la conquête spatiale, la toxicomanie. Dés 1982, St Elsewhere parle du Sida. Plus près de nous, Law and order, Dr House et Glee sont des exemples typiques où l’actualité est au coeur de la narration.
Glee, qui est vraiment un exemple typique, les scénarios ont abordé le handicap, l’obésité, les jeune filles mères, l’homo-parentalité, etc… Mais à la télé française, l’actualité chaude n’est JAMAIS traitée. Quand elle l’est, c’est plusieurs années après. Je mets Plus belle la vie à part parce qu’elle ne s’adresse selon moi qu’à une cible précise, elle n’est pas universelle. La France ne comprend toujours pas que 57% des 14/25 ans regardent les séries sur l’ordinateur, l’ipad et le téléphone mobile. Les gosses contournent totalement la télévision pour regarder de la séries et aujourd’hui, ce qui les intéresse, ce sont des séries sur l’actu chaude et tournées vers les nouveaux formats.
Je trainais l’idée de FRAT depuis déjà quelques mois et l’opportunité s’est présentée en septembre 2014, suite à une discussion avec Patrick Holzman (directeur SVOD International au sein du pôle OTT et ex-directeur de CanalPlay – ndlr) qui était très en attente de créations pour le web et les devices mobiles. Il était en recherche de nouveaux formats de fiction et je lui ai dit que LE sujet d’actu CHAUDE du moment, idéal pour une fiction réactive sur un format innovant, c’était Daesh.
Le Bureau des légendes sur Canal+, ça ne vous parait pas être une série en prise avec le réel et l’actualité ?
F.J : Il a fallu cinq ans pour monter ce projet ! C’est superbe Le Bureau des légendes, c’est magistral et Eric Rochant est mon maitre. Mais cinq ans…. Avec FRAT on parle d’un projet dont le budget est plus de 300 fois inférieur à celui d’un 12×50 minutes sur HBO, 500 fois inférieur au budget d’un Marco Polo sur Netflix. C’est une échelle de production qui autorise une souplesse d’écriture incomparable. Mais en échange, il faut vraiment avoir une foi messianique pour bosser un projet comme celui là, qu’il s’agisse des acteurs, de Shaun, des techniciens ou de Save Ferris qui a réalisé l’impossible avec ce budget.
Les gens sont-ils payés avec une enveloppe aussi dérisoire ?
F.J : Oui, tout le monde a été payé sur FRAT, même si c’était au tarif d’un court métrage.
L’objectif de Canal Play reste plus industriel que messianique non ? On parle surtout là de gagner des abonnés face à Netflix avec un nouveau format de création originale…
F.J : Netflix, c’est de la vieille télé ! Seul le canal de distribution a changé. C’est juste France 2 poussé sur le web. Il n’y a aucune logique d’interaction sociale, aucune réflexion transmedia. Ce que CanalPlay veut faire, c’est vraiment de la télé 2.0, tournée vers de nouveaux formats. Netflix, Amazon etc… ca reste de la vieille télé en terme de structure de narration/format. Aujourd’hui, en France, seuls les nouveaux formats peuvent traiter d’un sujet comme celui de FRAT. Quand Canal Play traite de terrorisme dans une fiction, ils le font 3 mois après les attentats de janvier, pas cinq ans.
Justement, vous étiez en pleine écriture de FRAT lorsqu’ont eu lieu les attentats des 7, 8 et 9 janvier. Quel impact ont-ils eu exactement sur la production ?
F.J : Ils ont surtout accéléré le processus. Patrick Holzman avait donné le feu vert à la production le 24 décembre, mais sans deadline précise. Après le 7 janvier, il a demandé à la production de fournir du prêt à diffuser en 3 mois. On n’avait aucun modèle pour ça et nous avons dû réécrire en partie le projet. A l’origine, nous exposions davantage l’histoire personnelle du terroriste et des autres personnages. L’émotion ressentie après les attentats a poussé Holzman à nous suggérer de planter l’action en 2017 et d’intégrer le thème d’une radicalisation de la société française suite à d’autres attentats. Bon, il se passe d’autres choses dans le scénario, mais impossible d’en dire plus sans spoiler vos lecteurs.
En combien de jours a été tournée FRAT ?
F.J : Cinq jours, à raison parfois de 16 heures par jour. On a débuté le tournage alors que les trois derniers épisodes n’avaient pas encore été réécrits. On a réécrit ces trois derniers épisodes durant les deux jours qui ont précédé leur tournage, un mercredi, où les acteurs ont découvert leurs textes. Tout cela au prix de très, très peu d’heures de sommeil. A l’évidence on ne pourra pas reproduire ce modèle impossible si nous faisons une saison 2.
A ce sujet, votre saison 1 se termine sur un twist majeur qui appelle forcément une suite. Y en aura-t-il une ?
F.J : Shaun et moi avons déjà écrit une saison 2 et 3, et Patrick Holzman a promis qu’il y aurait une saison 2 sur Canal Play. Mais pour que la suite marche, il faudra qu’on soit à des durées de 10/12 minutes par épisode plutôt qu’à cinq minutes. On se battra pour ça. La production de FRAT fut intenable. Avec ce budget Save Ferris a réalisé un miracle. Nos électros et notre chef op’ Nicolas Loir ont fait des miracles. Dans l’idéal, Canal Play pourrait diffuser la saison 2 en novembre prochain mais on va quand même attendre de voir si ça plait au public.
Honnêtement, FRAT c’est une expérience a priori sans lendemain ou qui selon vous a vraiment un avenir ? Y compris son format ?
F.J : Encore une fois, je pense que le format qui fera école fera sera entre 8 à 12 minutes. Celui-là a un avenir, j’en suis convaincu. Et en France aujourd’hui, je ne vois que Patrick Holzman à CanalPlay pour valider un projet aussi fou que FRAT.
FRAT : une série digitale de 10 épisodes (durée totale : 53 minutes). Production : Save Ferris/CanalPlay. Scénario et dialogues : Frédéric Josué, Shaun Severi, Jean-Charles Felli, Erwan Le Goff, Simon Rocheman, Estelle Koening. D’après une idée originale de Frédéric Josué en collaboration avec Patrick Holzman.
Avec : Olivier Chantreau (Sébastien), Moussa Maaskri (Hakim), Jeanne Bournaud (Lone), Jean-Pierre Martins (Frank), Eric Boucher (Pierre).
Episodes disponibles en streaming sur le site CanalPlay
BANDE-ANNONCE