#Interview John Howe

#Interview John Howe

Il se présente à vous calmement, avec sa barbe grisâtre et sa silhouette filiforme, rappelant à votre esprit Gandalf du Seigneur des anneaux. Belle évidence quand on sait que John Howe est l’un des principaux artistes à avoir mis en image l’univers de J.R.R. Tolkien et de la Terre du Milieu. Ses illustrations ont, depuis des décennies maintenant, mis traits, ombres et couleurs sur les figures mythiques, les événements et les contours de cet univers foisonnant, inspirant génération après génération, et fixant entre autre le cap visuel des adaptations cinématographiques cultes de Peter Jackson.

Après avoir passé plus de 10 ans à travailler en Nouvelle-Zélande, John Howe revient au sel de son art avec une exposition parisienne qui lui est consacrée à la galerie Arludik. Des œuvres inédites, dans un cadre d’exception, pour lesquelles on a pu discuter avec la légende en personne…

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Daily Mars : C’est votre première exposition en solo depuis 10 ans. Quelle partie de votre travail, de votre univers, avez-vous décidé de montrer dans cette exposition à la Galerie Arludik ?

John Howe : Cette fois-ci, c’est un peu différent. D’habitude, on ressort des illustrations et des travaux qui ont déjà servi à des livres ou différents projets. En l’occurrence, j’ai fait tous les dessins en noir et blanc spécialement pour cette exposition, et les six peintures en couleurs qui les accompagnent ont été réalisées sans but précis, et incorporées telles quelles.

On retrouve le motif récurrent du corbeau dans ces nouvelles œuvres…

J. H. : Apparemment oui ! Je les aime bien ces créatures… Ils revenaient souvent dans mes dessins, du coup ça fait une thématique, sans que ça soit fait exprès. Après, peut-être que c’est une sorte d’identification… Je ne m’habille pas beaucoup en blanc il est vrai ! Mais je crois plutôt que c’est un hasard, c’est fait sans but précis, c’est comme une sorte de promenade sans suivre un chemin.

Après vos inspirations premières comme Frank Frazetta, Barry Smith, ou les frères Hildebrandt dans votre jeunesse, quels sont les artistes, ou les choses qui vous inspirent aujourd’hui ?

J. H. : Je pense que mes inspirations ont un peu quitté la peinture, pour aller vers la vie en général. Au début, quand on est jeune, c’est la période des obsessions, c’est normal d’avoir des passions exclusives. Puis petit à petit, on élargit le propos, et on est touché par des choses beaucoup plus variées, beaucoup plus différentes… Mais c’est vrai que j’ai une affection particulière pour les symbolistes, comme Arnold Böcklin par exemple. Ça tient purement au visuel, et beaucoup à ce qu’ils voulaient exprimer par rapport à un monde en pleine transmutation. C’étaient des gens qui s’éloignaient du monde dans lequel ils vivaient pour aller vers le monde invisible qui nous entoure, spirituel, émotionnel, mythologique… Je trouve ça admirable.

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Comment vous, Canadien de Vancouver, êtes-vous tombé amoureux de l’Europe médiévale ? Grâce à l’heroic fantasy ? Ou était-ce plutôt l’inverse ? 

J. H. : J’ai commencé avec l’heroic fantasy car je ne connaissais que ça, parce qu’au Canada les traces du Moyen Âge sont peu nombreuses. Et autant j’adore le Canada, autant la densité humaine de l’Europe me nourrit beaucoup plus.

Le choc des cultures en particulier ?

J. H. : Je crois plutôt que c’est l’expérience humaine accumulée. Finalement, il faut bien chercher en Europe pour trouver un paysage encore vierge du passage de l’homme, et je trouve ça souvent touchant à constater.

Vous avez beaucoup voyagé pour votre travail, retournant aux sources de Tolkien, vivant comme un capitaine en armure… C’est important pour vous de vivre des choses comme ça pour pouvoir créer ?

J. H. : Oui, je crois que c’est bien de vivre les choses, pour mieux s’effacer ensuite. Bien sûr, c’est important de voyager, de se dépayser, de se déclasser, pour que ça vous apporte quelque chose, mais il faut surtout rester attentif à tout : à la lumière, au temps, à ces changements permanents… Puis il faut s’enlever de tout ça, et restituer avec ce décalage, ce recul qui apporte le regard de celui qui participe, mais qui est aussi à l’extérieur. C’est le vrai travail de l’artiste.

Quels sujets de l’univers de Tolkien aimez-vous en particulier, et mériteraient d’être plus connus selon vous ?

J. H. : J’adore ces mondes imaginaires où l’auteur n’a pas eu le temps de faire le tour de façon exhaustive, et où l’on reste un accompagnateur de quelqu’un qui s’y est promené un moment, mais qui n’a pas eu le temps de tout voir… Lorsqu’on travaillait sur la trilogie du Seigneur des anneaux, puis celle du Hobbit, comme on avait une approche géographique des choses et qu’on suivait le parcours des personnages sur leurs chemins, c’était un peu comme un voyage pour nous aussi, et on avait l’impression d’être sur un terrain qu’on avait créé, d’arriver aux limites du récit, et de se dire qu’au-delà, il y avait encore tellement de choses à raconter.

Plus spécifiquement, j’adorerais voir la fameuse guerre entres les Nains et les Dragons. C’est merveilleux à imaginer, à mettre ça en images. J’aimerais aussi beaucoup vous parler des mages bleus par exemple [ndlr Alatar et Pallando, semblables de Gandalf dans l’univers de Tolkien]. C’est tellement riche, rien qu’avec “Le Silmarillion”, il y a de la matière.

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Vous avez donc travaillé en tant que concepteur artistique sur la trilogie du Seigneur des anneaux, puis celle du Hobbit. Y avait-t-il une grosse différence de travail entre les deux productions ? La cohabitation avec Alan Lee [l’autre concept artist] a-t-elle changé ?

J. H. : Le numérique a tellement évolué entre les deux productions que l’on s’est retrouvé avec de nouvelles exigences par rapport à la première trilogie, qui était moins gourmande en numérique. Mais dans le fond, ça ne change pas beaucoup. Le résultat entre les deux productions est bien sûr différent. Distiller mille pages en un script, c’est une autre affaire que d’augmenter, de retravailler un livre assez mince comme Le Hobbit. En plus, la Terre du Milieu du Hobbit n’est pas aussi aboutie que celle du Seigneur des anneaux. Je suis complètement d’accord avec la décision d’intégrer les deux dans le même univers.

Vous avez dû par exemple créer entièrement la ville de Dale à partir de rien pour Le Hobbit. C’était votre plus gros défi sur ces projets ?

J. H. : Recréer la ville de Dale n’était pas compliqué du tout, c’était même une partie de plaisir de faire ça. On a beaucoup bossé sur la ville de Dale, alors qu’on la voit finalement très peu dans les films. Ils ont fait un décor énorme, assez grand pour se promener dedans. Tous les gens qui ont été sur le décor nous ont dit que ça leur rappelait quelque chose : Katmandou, le sud de la France, une ville italienne… Ce n’était jamais deux fois la même chose. Du coup, on s’est dit que c’était quand même réussi, puisqu’on voulait quelque chose de dépaysant, mais qui n’appartient pas à une culture précise.

C’est aussi là que ça devient intéressant et compliqué. On avait élaboré une sorte de vocabulaire architectural, avec des éléments et motifs récurrents sur lesquels extrapoler. D’abord on travaille dans le vide, c’est l’idéal, on peut faire ce qu’on veut. Ensuite vient le décor où vont être construit nos dessins, puis les contraintes qui viennent avec. Mais comme on a acquis ce vocabulaire d’architecture, on se retrouve comme les architectes de l’époque en quelque sorte, et on arrive à s’adapter.

Quelle est justement la partie de ce processus créatif que vous préférez ?

J. H. : Tout. C’est clair qu’il y a une période au départ qui est un peu le grand luxe, puisqu’on est très en amont de la production qui est une espèce de machine infernale qui bouffe tout au fur et à mesure de son avancée. Et en postproduction, on se retrouve dos au mur face aux impératifs. Mais au départ, il y a une période de liberté qui est très chouette, puisqu’on travaille un peu comme on veut. Puis on doit rapidement se mettre au service d’une chose qui nous échappe complètement, ce film en train d’être fait…

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Qu’est-ce que ces gros projets cinéma, différents du cœur de votre métier, vous ont apporté ?

J. H. : J’ai beaucoup appris à laisser l’égo au vestiaire. Il faut partager son travail sans imposer ses vues…

Ça se passait plutôt bien avec Alan Lee, non ?

J. H. : Oui c’était très chouette ! On est né avec 10 ans et un jour d’écart, donc ils ont mis deux Lions dans le même bureau, ça aurait pu exploser aussi… Mais on s’entend bien, parce que j’ai un grand respect pour son travail. Lui est quelqu’un d’adorable, d’appliqué, d’une grande culture. Quand je travaillais, il m’arrivait de me retourner et de voir qu’il faisait un truc complètement extraordinaire, donc ça vous stimule beaucoup.

De votre côté, vous n’êtes pas non plus en reste au niveau du talent !

J. H. : [rires] J’espère ! Je touche du bois !

Après avoir passé plus de 10 ans sur ces grosses productions cinématographiques, vous avez envie d’y retourner ?

J. H. : Je reviens justement de Nouvelle-Zélande, où je viens de travailler neuf semaines sur un projet [ndlr Mortal Engines, le prochain Peter Jackson], mais après ça, on ne sait pas vraiment ce qui nous attend… Après, la Nouvelle-Zélande c’est un peu loin ! C’est l’autre bout du monde, il faut quand même y aller. J’aurais peut-être envie de choses un peu plus proches, à Londres, ou au Canada pour un petit retour au pays. Comme ça, je n’aurais enfin pas besoin d’un permis de travail !

Hors commande, comment se passe votre processus de création ? Qu’est-ce qui allume la mèche ?

J. H. : C’est compliqué à dire. Des fois, on arrive devant la table à dessins avec des choses en tête, et c’est facile, et on s’assoit pour explorer… Des fois, on s’assoit sans rien, et là il faut un peu se vider l’esprit. C’est un peu laisser l’imaginaire travailler et éteindre le cerveau. Ensuite, on va commencer à chercher, et finalement le dessin il est là, il est dans la feuille déjà, quelque part, il faut juste le trouver. Si on réfléchit trop, on ne trouve rien, parce qu’on est en train de se poser les mauvaises questions.

Il faut laisser parler son instinct ?

J. H. : C’est à dire qu’on emmagasine tellement de choses en passant notre temps dehors, à explorer, à découvrir. On s’est baladé hier dans le Marais par exemple, j’ai vu tellement de trucs qui m’ont inspiré : des portes, la maçonnerie, tout. Ces choses-là rentrent gentiment, et puis ça ressort quand c’est prêt. Comme une éponge.

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Vous avez défini l’univers visuel du Seigneur des anneaux et de nombreuses œuvres d’heroic fantasy. Quels sont les nouveaux territoires artistiques qui vous restent à explorer ?

J. H. : Je n’en ai pas encore marre de Tolkien, y a encore de la place, y a encore des trucs à voir. Et il y a d’autres auteurs que j’admire beaucoup, et sur lesquels j’aimerais bien travailler. Beaucoup, beaucoup d’autres. J’ai une affection particulière pour la littérature fantastique de la fin du 19e, début 20e, où il y a des auteurs extraordinaires comme Arthur Machen, Walter Mehring, Erckmann-Chatrian, tous ces gens-là que j’aimerais explorer… Lovecraft aussi. Mais aussi des auteurs contemporains comme Robin Hobb et d’autres.

J’aimerais également explorer ces choses par l’écriture, je ne sais pas encore si j’en suis capable. J’ai fait un roman à partir d’un tableau que j’ai peint, mais c’est encore dans un tiroir, reste à voir si un jour j’arrive à le sortir. Et puis à la limite, la peinture toute simple également. Les paysages, qui n’ont pas forcément une narration imbriquée dedans… Il y a tellement de choses à faire, on n’aura jamais le temps de tout faire, ce n’est pas possible !

La toute première fois qu’on participe à un gros projet, on se demande comment on va poursuivre après, puisqu’on s’est tellement laissé emporter dans quelque chose qui ne nous appartient pas. Donc, quand on est de nouveau tout seul, on se sent un peu démuni par rapport à ce qu’on était avant, puisqu’on a perdu les habitudes qu’on avait, le temps de partir dans une production comme Le Seigneur des anneaux par exemple. Puis on s’habitue à faire ça, cette transition. De passer de ces gros projets à des choses plus personnelles. C’est agréable aussi de ne pas tout le temps courir après les gros machins, pour espérer trouver une place. C’est important d’avoir des ressources soi-même sur lesquelles on peut compter en dehors de tout ça.

Ou de participer à un autre niveau à des productions… On avait fait ce documentaire À la recherche du Hobbit, et on a un autre projet avec Arte, où j’aurais un rôle un peu similaire. Donc tout ça c’est chouette, puisque ça participe de cette envie de partager ce qu’on a pu acquérir, de partager l’enthousiasme, l’intérêt, les anecdotes… Ça a plein de sens toutes ces choses-là. Ça ne finit pas.

Propos recueillis par Thibaud Gomès-Léal.

 

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Galerie Arludik
12 rue Saint-Louis en l’Île
75004 Paris

Du 11 mai au 8 juillet 2017

 

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