
Lucky McKee : “Je ne hais pas les cheerleaders !”
Le réalisateur de May et The Woman présentait hors compétition son nouveau film, All Cheerleaders Die, lors de la 6e édition du FEFFS, le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg. Entretien avec un cinéaste qui n’a ni montre ni téléphone portable. Un mec cool, quoi.
Le film All Cheerleaders Die
Après la mort accidentelle – et plutôt stupide – de la plus populaire des cheerleaders de Blackfoot High, une place est à prendre dans le traditionnel troupeau de pintades qui agitent des pompons pour encourager l’équipe de football du lycée, tout en espérant finir la nuit à l’arrière du pickup du capitaine. Au grand étonnement de tous, la rebelle et asociale Maddy décide de prendre la place de la défunte pom pom girl. Leena, l’ex-girlfriend de Maddy, vit assez mal le changement d’attitude de celle dont elle est toujours amoureuse. Et il paraît que Leena pratique la magie noire…
L’entretien avec Lucky McKee
Pourquoi avoir choisi de faire un remake de votre premier film, qui s’intitulait déjà All Cheerleaders Die ?
Après The Woman, qui était un film très dur et une expérience éprouvante, j’ai eu envie d’aller vers quelque chose de plus léger. Pourquoi pas une comédie horrifique ? Personne n’avait vu la première version de All Cheerleaders Die que j’avais réalisée en 2001 avec mon vieux pote Chris Sivertson. Retravailler avec Chris et reprendre ce sujet collait bien avec mon besoin de légèreté. Et puis, quitte à refaire un film, autant que ce soit un film qui n’a pas été vu ! Cela dit All Cheerleaders Die, celui de 2013, n’est pas vraiment un remake, c’est plutôt une relecture de la version de 2001. On a conservé l’idée de départ, la guerre des sexes entre l’équipe de foot et les cheerleaders, les “pom pom girls” (en français dans le texte, ndr) pour créer de nouveaux personnages et emmener l’histoire dans une direction très différente.
En voyant All Cheerleaders Die, on a l’impression que vous prenez un certain plaisir à faire souffrir les cheerleaders et les joueurs de foot. Avez-vous eu de mauvaises expériences avec des cheerleaders qui pourraient nous éclairer sur l’origine de votre film ?
Dans mes premières années de lycée, j’étais le nerd à lunettes qui passait son temps à la bibliothèque. Par la suite, comme j’avais de l’humour, j’ai quand même réussi à me faire des amis. Même des cheerleaders et des joueurs de foot ! Je vous assure que je ne hais pas les cheerleaders.
Dans vos films vous faites souvent preuve d’une réelle affection pour les personnages féminins un peu sombres et rejetés par les garçons, des jeunes femmes qui vivent des relations amoureuses entre elles de manière beaucoup plus épanouissantes qu’avec l’autre sexe. Qu’est-ce qui vous attire chez ces personnages ?
Ça vient essentiellement du fait que je travaille mieux avec les actrices qu’avec les acteurs, c’est pour ça qu’assez naturellement je tourne des films sur des personnages féminins. J’ai des connections plus intenses avec les femmes qu’avec les hommes. J’ai été élevé par des femmes fortes avec beaucoup de personnalité, qui m’ont entouré pendant mon enfance, et en grandissant j’ai éprouvé plus de facilité à m’exprimer au travers des femmes. La fille un peu en marge, eh bien… c’est un peu moi. Je me dis parfois que je suis une sorte de réalisateur travesti. (rires)
Est-ce aussi la raison pour laquelle les personnages masculins de vos films sont en général malhonnêtes, hypocrites et lâches ?
Peut-être que j’ai cette perception des choses, je ne sais pas, je ne l’analyse pas. Cela dit je n’avais jamais travaillé avec autant de personnages masculins que pour All Cheerleaders Die et c’est une expérience que j’ai beaucoup appréciée, à tel point que le protagoniste du prochain film que je vais réaliser sera un homme. C’est nouveau pour moi, même si c’est un projet que j’ai en tête depuis une bonne quinzaine d’années. En fait j’avais déjà envie de le tourner après May mais ça ne c’était pas fait, à la fois parce que le personnage n’était pas assez abouti et parce que je ne pensais pas trouver les moyens ni la liberté artistique de le réaliser comme je le voulais.
Pourtant presque tous les personnages de votre film Red sont masculins…
Je ne considère pas Red comme mon film. Je m’étais fait virer et remplacé à la moitié du tournage. Il n’y avait plus d’argent dans les caisses, la production a tranché dans le vif du scénario et ils ont monté ça n’importe comment. J’ai gardé un souvenir amer de ce tournage, c’est peut-être aussi à cause de cette expérience que j’ai des réticences à tourner avec des acteurs masculins.
Il y a toujours une part d’humour dans vos films, particulièrement dans Sick Girl qui est une véritable comédie romantique. Mais avec All Cheerleaders Die vous allez beaucoup plus loin, avec des gags et des situations de comédie débridée. Avez-vous l’intention de poursuivre dans cette veine comique ?
Peu de gens ont perçu Sick Girl comme une comédie romantique, et je le regrette parce que je suis un très grand amateur de ce genre. All Cheerleaders Die est différent car ce n’est pas de la pure comédie, il y a de permanents changements de ton, de l’ombre à la lumière, du sombre à la légèreté. Oui, j’aimerais aller plus loin dans la comédie. D’ailleurs le scénario sur lequel je travaille actuellement est une comédie romantique qui s’intitule Love Strangle. Je l’écris pour Kevin Ford, un ami réalisateur.
All Cheerleaders Die est également plus débridé que vos précédents films sur le plan visuel. Par exemple la caméra est souvent portée et très mobile. Cette évolution est-elle liée à votre coréalisation avec Chris Sivertson ?
Pas particulièrement. Ça nous a semblé adapté au sujet. Nous avons voulu faire une sorte de popcorn movie, dynamique, fun et sexy. Un film ludique qui apporterait avant tout du divertissement.
Le film prend à revers toute une tradition du teen movie, celle des American Pie, Mean Girls (Lolita malgré moi, en VF) ou The Hot Chick (Une nana au poil, en VF), ce dernier exploitant d’ailleurs le thème de l’échange de personnalité que vous abordez dans le film. Aviez-vous envie de secouer un peu ce genre souvent tarte ?
Je n’ai rien contre les films que vous citez. Et j’aime beaucoup Mean Girls, c’est un très bon film ! Mais oui, j’essaie de ne pas reprendre la formule toute faite de la trame narrative hollywoodienne. Au départ All Cheerleaders Die pose les bases typiques d’une intrigue de teen movie mais évolue ensuite de manière très sinueuse. Par exemple le personnage de Leena entre en scène assez tard dans le film et finit par occuper beaucoup d’espace narratif tandis que les autres personnages vont et viennent du premier au dernier plan du récit. Ça génère un effet de surprise et c’est le côté amusant du film. C’est d’ailleurs ce que font avec génie Tarantino et Woody Allen. Et si nous apportons les réponses nécessaires pour que All Cheerleaders Die soit satisfaisant pour le spectateur et qu’il puisse prendre plaisir à l’intrigue, nous avons délibérément laissé des pistes narratives ouvertes. Car c’est censé être le premier film d’une série, c’est pourquoi il se clôt par la mention “All Chearleaders Die, chapter 1”.
A quoi ressembleront les chapitres suivants ? Avec Sick Girl vous avez contribué à l’anthologie Masters of Horror, envisageriez-vous de donner suite à All Cheerleaders Die sous forme de série télé ?
Si nous constatons que la télé ou la webserie est mieux adaptée en tant que plateformes accessibles aux ados, car All Cheerleaders Die leur est en grande partie destiné, ça ne nous pose aucun problème. Et si ça devenait une série, ce serait à condition de la produire Chris et moi, et d’avoir le contrôle des scénarios. Nous sommes très ouverts sur la forme que la suite d’All Cheerleaders Die pourrait prendre. Pourquoi pas même continuer en comics ? Regardez Buffy, la série télé s’est arrêtée et continue en bande dessinée. Ce serait cool de faire All Cheerleaders Die en comics !
Propos recueillis par Ray Fernandez lors de la 6e édition du Festival Européen du Film fantastique de Strasbourg. Merci à Louise pour la traduction, et à Alexandre pour le téléphone.
La filmo (réalisation)
All Cheerleaders Die (2013), The Woman (2011), Blue Like You (CM, 2008), Red (coréal. 2008), The Woods (2006), Sick Girl (aka Liaison bestiale, Masters of Horror S01E10, 2006), May (2002), All Cheerleaders Die (coréal. 2001).