#Interview Martin Koolhoven

#Interview Martin Koolhoven

Note de l'auteur

Signé Martin Koolhoven, Brimstone est un western viscéral, barbare, insoutenable. Un très grand film dans lequel une jeune femme tente d’échapper pendant des années à un pasteur largement psychopathe. Au programme, meurtres d’enfants, mutilations, incestes, carnages, viols, tortures… Ce western cruel situé au 19e siècle se double d’une charge très contemporaine contre le fanatisme religieux et d’un constat dramatique sur les violences faites aux femmes depuis des siècles.

Fan de Stanley Kubrick et de David Lean, Martin Koolhoven mixe les temporalités, les influences comme La Nuit du chasseur, Les Dents de la mer, La Leçon de piano ou Le Grand Silence pour un des films les plus éprouvants vus sur grand écran depuis des années. Financé par des Européens, interprétés par des acteurs américains, hollandais et australiens, Brimstone est le premier film international de Koolhoven et devrait lui apporter, enfin, une reconnaissance mondiale. Rencontre avec le nouvel « Hollandais violent ».

 

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Daily Mars : Pourquoi réaliser un western en 2017 ?

Martin Koolhoven : Les westerns sont le meilleur véhicule, genre, si vous voulez, pour parler du présent. Si vous regardez tous les westerns qui ont été réalisé auparavant, vous avez le « zeitgeist » (l’esprit du temps) de l’époque.

 

Est-ce le premier western hollandais ?

M. K. : Oui. Il y a eu un film auparavant, financé avec des capitaux américains, mais il est sorti directement en DVD. On peut qualifier Brimstone de western protestant. Les Italiens faisaient des westerns-spaghettis qui étaient très italiens. Je me devais de faire quelque chose de très hollandais. La doctrine calviniste est très hollandaise et j’ai été élevé dans le protestantisme. Donc, oui, c’est un western protestant. Je suis protestant, j’ai été élevé dans la religion, mais je vous rassure, cela n’avait rien à voir avec ce que l’on voit dans mon film !

 

Brimstone Tournage 3Quelle a été votre enfance ?

M. K. : Je viens d’une famille ouvrière, religieuse. Nous n’habitions pas Amsterdam, mais une petite ville. J’ai étudié dans une école religieuse. J’ai grandi en sachant que j’habiterais un jour à Amsterdam. J’ai toujours aimé le cinéma. J’ai réalisé un jour qu’il y avait quelqu’un derrière la caméra qui faisait qu’un film était bon ou pas. Quand j’ai compris cela, je me suis dit : « OK, c’est ça que je veux faire ».

 

Et votre formation ?

M. K. : J’ai fait une école d’art, la Dutch Film Academy et d’autres également. Mais la Dutch Film Academy fut la première école vraiment sérieuse. Et depuis cette école, je n’ai jamais cessé de travailler. J’ai commencé à écrire et à réaliser. Mes premiers films étaient très arty, comme Suzy Q, récompensé en France. Puis, mon cinéma est devenu plus mainstream… Mon plus gros succès, commercialement et artistiquement, est Winter in Wartime, film de guerre nominé aux Oscars. Comme j’ai eu du succès, les producteurs ont commencé à me faire passer des scenarii. J’en ai réalisé certains, mais à un moment, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive à nouveau mes histoires. Le résultat, c’est Brimstone.

 

Y a-t-il des points communs entre vos films ?

M. K. : Il y a évidemment des préoccupations, des idées communes entre mes films, dans le fond et la forme. Je trouve de plus en plus ma voie. Je me suis beaucoup cherché, car j’étais un gros fan de cinéma. Puis, j’ai compris qui j’étais. Mais je n’ai pas à m’expliquer, c’est plutôt aux journalistes de le faire.

 

Brimstone2Pour Brimstone, avez-vous été influencé par des personnages de psychopathes comme ceux de Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur et Robert De Niro dans Cape Fear (Les Nerfs à vif) ?

M. K. : Oui, oui, bien sûr. La Nuit du chasseur et Cape Fear ont été de grosses influences. Je voulais un méchant iconique. Et si vous faites un film sur un révérend violent et sadique, c’est très dur de ne pas penser à La Nuit du chasseur. Je ne veux pas faire des films hommages. Mais dans le cas de La Nuit du chasseur, je sentais que c’était OK de faire des références.

 

Tortures, mutilations, incestes : vous n’avez pas eu peur de perdre votre public pendant 2h30 très intenses, parfois insoutenables ?

M. K. : Je sais très bien que je suis sur une ligne étroite et je sais parfaitement ce qui peut être toléré par le public. C’est une histoire sur la violence, je me devais d’être intègre. La violence fait partie intégrante de l’histoire, je devais la montrer.

 

Il y a une grosse controverse sur la violence dans votre film. Certains critiques ont été écœurés par cette violence qualifiée de « barbare ».

M. K. : Quand le film est passé au festival de Venise, il y a eu une belle controverse. Puis le film est sorti en Hollande, où il a obtenu 100% de bonnes critiques. Je n’ai pas compris les critiques qui pensent que je suis un sadique. Mon film est féministe, mon film est différent de ce qu’ils croient. Je montre combien les femmes étaient maltraitées. Il faut être honnête, montrer la vérité, éviter le politiquement correct… Il y a des films beaucoup plus violents, et la réaction du public est de rire ! Je mets en scène un film violent, mais cette violence est difficile, pénible à regarder. C’est, je pense, une attitude beaucoup plus morale.

 

Je pensais au traitement de la violence dans Les Huit Salopards de Quentin Tarantino, où une femme se fait massacrer pendant trois heures, avant d’être pendue…

M. K. : Dans un blockbuster hollywoodien classique, on montre la violence de façon beaucoup plus graphique et les spectateurs rient. C’est atroce ! Moi, quand je montre la violence, c’est par le regard d’un autre personnage, c’est hors champ et cette violence suggérée vous rend mal à l’aise. Mais qu’est-ce qui est plus moral ? Je pense que c’est la seconde option. Sérieusement, vous ne pouvez pas dire que je suis un sadique !

 

Brimstone12Sur la violence faite aux femmes ou la religion, Brimstone entretient des correspondances troublantes avec notre monde contemporain.

M. K. : Pourquoi faire un film s’il n’a pas de rapport avec ce qu’il se passe de nos jours ? Il faut faire attention au côté allégorique car il faut être fidèle envers les personnages. Ce sont eux qui doivent vous emporter.

 

Film européen, est-ce que Brimstone aurait pu être financé à Hollywood ?

M. K. : Non, jamais de la vie. Hollywood n’aurait jamais osé toucher à Brimstone. C’est l’histoire d’un homme qui a des idées perverses et qui justifie sa perversion et sa violence par sa religion. Hollywood ne m’aurait jamais permis d’être aussi sauvage, non je ne pense pas.

Des producteurs hollywoodiens me font passer des scripts. Pourquoi pas si on m’offre quelque chose comme Drive, avec Ryan Gosling ? Mais je ne veux pas aller à Hollywood pour faire n’importe quoi alors que je peux réaliser de bons films en Europe.

 

Votre casting est international. Était-ce obligatoire pour obtenir un financement conséquent ?

M. K. : Non. Mes producteurs m’ont dit « Tu prends les acteurs que tu veux et on te trouvera le financement. Si tu as de stars, ça ira plus vite, mais on financera ton film. » Je voulais vraiment Guy Pearce et j’ai assemblé ma distribution. Kit Harington, c’est une star. Mais je n’ai pas fait un coup. Il me fallait un acteur avec une vraie présence, une qualité de star, car le film devient plus léger à ce moment.

 

C’est un film dur, extraordinaire, impossible à oublier.

M. K. : En Hollande, le film est devenu un très gros succès, bien plus que je ne l’espérais. C’est sympa quand les gens aiment vos films. C’est extrêmement positif, je n’ai jamais connu un tel enthousiasme. Vous ne pouvez qu’aimer ou détester Brimstone. On dit cela très souvent, mais c’est vrai. Il est impossible de regarder ce film sans être affecté. Soit vous êtes en colère car vous êtes choqué, soit vous voyez la beauté. C’est très profond, c’est un film qui vous reste, vous y pensez pendant des jours. Un film qui reste en vous pour toujours, c’est ce qui peut arriver de mieux !

 

Brimstone-Affiche

Brimstone
Réalisé par Martin Koolhoven
Avec Dakota Fanning, Guy Pearce
En salles depuis le 22 mars 2017

 

 

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