
INTERVIEW : Romain Nigita : « Leonard Nimoy était une icône absolue de la SF »

Leonard Nimoy
« Star Trek » Los Angeles Premiere,
Grauman’s Chinese Theatre
© Gregg DeGuire / AFF-USA.COM
Journaliste à l’agence 8 Art Global et fin connaisseur réputé de l’univers Star Trek, Romain Nigita n’est bien entendu pas resté insensible à la disparition, vendredi, de Leonard Nimoy. On en a profité pour lui demander de nous aider à décrypter les raisons pour lesquelles, selon lui, l’acteur avait réussi à marquer à ce point les coeurs et les esprits. Comme en témoigne le torrent de réactions mondiales suscitées depuis ce week-end par la triste nouvelle.
Daily Mars : Comment as tu réagi en apprenant la mort de Leonard Nimoy ?
Romain Nigita : Ce n’était malheureusement pas une grande surprise. Il venait d’être hospitalisé et cela faisait quasiment un an qu’il avait de sérieux soucis respiratoires, qu’il confiait sur Twitter où il était assez actif. Il avait d’ailleurs encouragé ses followers à de pas fumer ou s’arrêter au plus vite. A la dernière convention officielle Star Trek de Londres, il n’avait pu se déplacer et avait participé à l’événement via skype, c’était sa dernière grande apparition publique. Donc l’annonce de son décès ne fut pas une grande surprise, mais j’ai tout de même ressenti une vraie tristesse.
As-tu déjà eu l’occasion de le rencontrer ?
R.N : Non, ça restera mon grand regret : de ne jamais avoir pu l’interviewer. Si il y avait une personne que j’aurais voulu rencontrer par dessus tout c’est bien lui. Le mieux que j’aie pu faire, c’est de l’avoir vu, à cinq mètres de moi, au Comic Con de San Diego en 2009, où il faisait une séance de dédicace dans le hall principal avec une foule immense autour de lui. Alain Carrazé a déjà pu l’interviewer.
Comment as tu découvert Spock ?
R.N : D’abord par la série Star Trek classique, à l’époque de sa diffusion sur La Cinq (après TF1). Mais surtout, en découvrant les films diffusés sur Canal+ quasiment au même moment, dont le 4e et le 6e volet (réalisé par Nicholas Meyer) où Spock est très important. Comme tout le monde, je fus surtout intéressé par Spock et ce personnage va bien plus loin que le gars en pyjama bleu avec des oreilles pointues. Spock, c’est l’archétype du personnage secondaire qui vole la vedette au héros, un peu comme Han Solo dans Star Wars a volé la vedette à Luke Skywalker. William Shatner est d’ailleurs sans doute le seul à n’avoir jamais compris que le vrai héros de Star Trek, c’était Leonard Nimoy. Spock est le seul des personnages de la série qui était dejà là dans le tout premier pilote de Star Trek. Et quand NBC, indécise, a demandé à Gene Roddenberry de faire un second pilote, la chaîne lui avait demandé de se débarasser au choix d’une actrice ou de Spock. Roddenberry, comme il le dit lui-même, a préféré garder l’alien et épouser l’actrice.
« Contrairement à Shatner, Nimoy ne s’est jamais « prostitué », lui »
Ca ne dit pas pourquoi Spock a-t-il eu un tel impact sur les téléspectateurs, hormis son côté exotique…
R.N : A l’époque, on n’avait jamais vu un tel personnage en télé, mi-humain par sa mère, mi-vulcain par son père. Spock a du mal à comprendre l’humanité parce qu’il a été élevé comme un vulcain et la fonction de ce personnage, sa force, c’est d’offrir un regard extérieur sur les Hommes. Spock, c’est le pas de coté pour comprendre l’Humanité, ça le rend forcément intéressant. Il y a aussi le fait de ne fait de ne pas exprimer ses émotions, du moins d’essayer de pas le faire, mais forcément parfois il ne peut les réfreiner. Le talent de Nimoy fut de le jouer à l’économie, en usant d’un simple haussement de sourcil pour balancer l’équivalent d’une réplique dévastatrice. Il a su imposer un maximum de charisme avec un jeu minimum. Aucun autre acteur incarnant un vulcain dans la franchise n’a su approcher la subtilité du jeu de Nimoy, même si Zachary Quinto s’en sort pas mal chez JJ Abrams. Spock est à ce titre devenu un sex symbol pour ce coté glacé, charismatique et capable de légères pointes d’humour. Et puis, il y avait cette voix !
Comment expliques tu que l’acteur ait suscité autant d’admiration que le personnage ?
R.N : Si on regarde toute sa carrière, aussi bien en tant qu’acteur que réalisateur ou producteur, il n’y a quasiment aucune faute de goût dans son parcours. Nimoy ne s’est jamais prostitué, contrairement à Shatner qui a toujours été prêt à faire n’importe quoi pour toucher un chèque, y compris faire des émissions de télé réalité monstrueuses. Nimoy, à une ou deux casseroles près comme sa chanson sur Bilbo , c’est l’inverse total. Après Star Trek, il a joué dans deux saisons de Mission : impossible où il était formidable en remplaçant de Martin Landau. Il a joué dans des dizaines de film, les deux films Star Trek qu’il a réalisé restent parmi les meilleurs de la franchise, il a réalisé Trois hommes et un bébé, le remake US de Trois hommes et un couffin qui n’a rien de honteux. Spock reste LA plus grande réussite de sa carrière, mais c’est dommage quand on le réduit à ça dans les nécros. Les choix raisonnables de Nimoy ont fait de lui une icone préservée, jusqu’à son magnifique rôle dans Fringe. Son charisme de vieux sage a fait le reste.
Mais comment expliquer que sa mort semble avoir suscité un tel impact émotionnel, y compris jusqu’à Obama ?
R.N : C’est à la fois lié à l’influence de Star Trek – je te rappelle que la première navette spatiale de la NASA a été baptisée Enterprise, en présence des comédiens, et que la plupart des ingénieurs de la Nasa affirment avoir voulu faire ce boulot grâce à Star Trek. Et au sein de Star Trek, Spock était une icône absolue de la SF. Après, il faut savoir relativiser la dimension toujours excessive de l’emballement des réseaux sociaux, mais peut être aussi que Leonard Nimoy et Spock incarnaient aussi une valeur chère aux yeux du public : la loyauté. Une valeur par ailleurs commune aux deux autres piliers de Star Trek, Kirk et le Dr McCoy. Malgré les différences très nettes entre ces trois personnages, ils étaient liés par une amitié et une loyauté indéfectibles, comme si Spock, McCoy et Kirk étaient les trois facettes d’une même personne. C’est ce lien qui a donné à la série et aux films leurs rebondissements les plus passionnants et leurs scènes les plus émouvantes. L’an prochain, c’est le 50e anniversaire de la série avec la sortie planifiée d’un nouveau film et malheureusement, Leonard Nimoy va louper ça. Il nous manquera beaucoup.