
INTERVIEW Sacha Gervasi : « Sans la love story, aucun studio n’aurait voulu d’Hitchcock »
Rencontre avec Sacha Gervasi, réalisateur de l’excellente (mais en partie décriée par la critique) comédie dramatique Hitchcock, dont l’action suit les péripéties du couple Hitchcock pendant le tournage de Psychose. Est ce qu’on recommande le film ? Oui ! Est ce qu’on aime Sacha Gervasi ? Carrément !
Réalisateur britannique comme son modèle, Sacha Gervasi a ébloui 100% des spectateurs qui ont eu la chance de voir sa précédente réalisation : Anvil, magnifique et bouleversant documentaire sur les galères et la rédemption des deux fondateurs d’un groupe de heavy metal canadien.
Avec Hitchcock, librement adapté d’un ouvrage de Stephen Rebello (Alfred Hitchcock and the making of Psycho, 1990 – jamais traduit en France), Gervasi se penche sur un autre couple infernal. Celui formé par le maître du suspense et son épouse Alma Reville, avec pour toile de fond le tournage problématique du mythique Psychose, film sur lequel Hitchcock pris tous les risques en 1959 et qui changea le cours du cinéma à tout jamais.
Comédie légère effleurant seulement les névroses d’un Hitchcock incarné par Anthony Hopkins, le second long métrage de Gervasi a fait grincer quelques dents chez les cinéphiles qui attendaient sans doute un pensum plus torturé sur les affres de la création hitchcockienne. Gervasi répond point par point à ces griefs sur lesquels je suis personnellement en désaccord. Hitchcock est un film bulle de champagne, superbement photographié par Jeff « The Social Facebook » Cronenweth et totalement divertissant. Sacha Gervasi répond malgré tout franco aux critiques adressées à son film, dont on devine entre les lignes des coulisses de production visiblement délicates.
DAILY MARS : Comment avez-vous été amené à travailler sur Hitchcock ?
SACHA GERVASI : Je devais d’abord réaliser un film sur la vie de Hervé Villechaize, d’après une interview que j’avais faite de lui, et je voulais Peter Dinklage dans le rôle. C’est toujours un projet que j’ai en tête d’ailleurs. Mais soudain ce script de Hitchcock a surgi de nulle part, on parlait déjà de Hopkins dans le rôle et, en tant que fan des deux, je me suis mis sur les rangs. Dans le pitch, qui portait sur les coulisses du tournage de Psychose, il y avait un petit bout sur la relation entre Alma et Hitch’ qui m’intéressait particulièrement, parce que j’ignorais tout de cette histoire-là. Je ne savais pas non plus que Hitchcock avait risqué son propre argent pour faire Psychose… Bref j’ai passé une audition auprès des producteurs, ils avaient vu et adoré Anvil mais j’avais quand même très peu de chances de l’emporter. Pourtant j’ai pu les convaincre par mon amour pour Hitchcock et mon envie de tirer le film sur l’intrigue amoureuse entre Hitchcock et sa femme. Ils m’ont dit : “Si vous pouvez convaincre Anthony Hopkins aussi, le job est pour vous”.
Et ce rendez-vous avec Hopkins alors ?
Je l’ai rencontré dans un restau à Los Angeles, The Grill, un établissement de Beverly Hills. J’étais super nerveux mais il m’a très vite détendu. Le premier truc qu’il m’a dit m’a fait halluciner : “J’ai vu Anvil trois fois, et j’ai adoré”. On partait donc sur de bonnes bases. Il m’a aussi demandé comment allait le groupe, et du coup j’ai appelé le chanteur, Lips, et lui ai passé au téléphone , ils se sont parlé au moins dix bonnes minutes comme deux vieux amis.
Vous avez dû ensuite convaincre aussi Helen Mirren ?
Oui. Hopkins était intéresé depuis plusieurs années sur ce projet sans vraiment s’engager, puis Helen Mirren avait deja dit non deux fois, parce qu’elle ne voulait surtout pas être la petite femme effacée qui attend Hitch à la maison. L’approche que je lui ai proposé, celle d’une Alma plus affirmée, l’a donc évidemment séduite.
Les cinéphiles vous reprochent justement cet angle d’attaque : pourquoi avoir finalement décidé de raconter davantage une love story contrariée que de vraiment plonger dans les coulisses de tournage de Psychose, qui sont un peu reléguées au second plan ?
Les producteurs ont essayé de faire un film pendant des années sur les coulisses du tournage de Psychose, une histoire plus axée sur le processus de création, mais aucun studio n’en voulait. Une version précédente du scénario était davantage basée sur le livre de Stephen Rebello et le mécanisme du tournage de Psychose. Mais le studio pensait que le grand public n’aurait aucune connection émotionnelle avec le sujet. Cette approche convenait mieux selon eux pour un documentaire. Nous avons donc inventé une version d’Alma sur ce qu’on en savait mais aussi en intégrant l’interprétation d’Helen Mirren. Et la psychologie de son personnage dans notre film lui allait très bien parque lorsqu’Helen a débarqué à Hollywood dans les années 90, elle était mariée au réalisateur Taylor Hackford. Et à l’époque, personne ne savait qui elle était à Hollywood. Elle a connu des soirées où les gens la poussaient littéralement du coude pour parler à son mari. La scène de son monologue à Hitch dans leur chambre à coucher est en partie inspirée de ses propres souvenirs, c’est ce qui la rend si attachante. C’est là aussi le sujet du film : à quoi cela ressemblait de vivre au quotidien avec Hitchcock.
Comment vous-êtes vous documenté, votre film est-il oui ou non fidèle à la réalité ?
Rebello était avec nous sur le plateau, il s’est vraiment impliqué, il nous a donné tous les documents dont il s’était servi pour son livre. Il a parlé avec tous ceux qui étaient vivants à l’époque de Psychose et en ramené une mine d’informations que nous avons exploité – notamment sur la bataille d’Hitchcock contre les censeurs. J’ai lu aussi Hitchcock, une vie d’ombre et de lumière de McGilligan (Actes Sud) et nous avons eu aussi accès à des documents personnels d’Hitchcock prêtés par l’Académie des arts et des sciences. On a découvert ainsi ses factures d’épicerie fine et son immense appétit pour le foie gras, qu’il importait par avion de Maxims. La marchandise était transportée par avion de Paris à Los Angeles via Londres et New York ! Trois jours de voyage à 900 dollars de l’expédition, toutes les deux semaines. Neuf cent dollars de 1959, hein…
Où en était Hitchcock lui-même au moment du tournage de Psychose ?
Il avait 60 ans et se sentait prisonnier de son succès après La Mort aux trousses, coincé dans ce qu’il appelait des “tranches de gâteau” toujours plus luxueuses qu’on lui demandait de réaliser encore et encore. Il se sentait vieillir, devenir un dinosaure et il a eu envie d’un projet radical, de tout parier sur ce film fou qu’était Psychose. Personne ne croyais dans ce film, même pas sa femme ! J’adore ce courage, ce côté magnifiquement désespéré qu’il renferme.
On a du mal à croire qu’Hitchcock le tout puissant ait eu tant de mal à faire ce qu’il voulait en 1959.
Tout est raconté dans le livre de Stephen Rebello. Aucun studio ne voulait de ce film et Lew Wasserman, l’agent de Hitchcock, a tout de même arraché un deal avec Paramount : Hitchcock finançait lui-même le film, à hauteur de 800 000 dollars, il n’était pas payé mais gardait 60% des recettes au box office. Psychose a couté 800000 dollars, il en a rapporé 32 millions de l’époque. Hitchcock s’est fait une fortune grâce à Psychose !
Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez vu Psychose ?
Je m’occupais du ciné-club de mon lycée et nous avons débuté par des projections en 16 mm de Don’t look now, Easy Rider et Psychose. Je n’oublierai jamais la projo de Psychose et de son effet sur les jeunes garçons en plein développement que nous étions. On avait tous des problèmes avec nos mères et découvrir Norman Bates et ce film était une expérience fascinant. Quand vous êtes cinéphile et que vous avez grandit en Grande Bretagne, vous savez forcément sur Hitchcock et Stanley Kubrick, il a toujours fait partie de ma vie. Absolument tous les cinéastes sont forcément influencés par lui, consciemment ou pas. Le plus fascinant chez lui réside pour moi dans l’étendue de ce qu’il savait faire. Il pouvait toucher à tous les genres, tout expérimenter. Il pouvait passer d’un film comme Life Boat à un huis clos expérimental en plan séquences comme The Rope, puis à La Mort aux trousses, considéré aujourd’hui comme l’ancêtre des James Bond. Hitchcock a inventé un nouveau langage pour faire des thrillers, comme les plans en vue subjective pour exprimer les émotions des personnages. Tout le monde a appris de lui.
N’était-ce du coup pas trop intimidant de faire un film sur une telle icône ?
Pour moi, je faisais avant tout un film sur l’histoire d’une relation entre Hitchcock et sa femme. Si je m’étais dis que je faisais la bio definitive de Htichocck, ca m’aurait complètement écrasé.
Au fond, vous racontiez une histoire similaire dans Anvil : deux personnages qui s’adorent mais passent leur temps à s’engueuler.
Vous avez tout à fait raison ! C’est aussi ce qui m’a plu dans Hitchcock : comment deux êtres unis par une relation de travail de plus de trente ans se déchirent sans arrêt mais sont inséparables. Anvil et Hitchcock sont deux histoires d’amour chacun à leur façon.
Pourquoi Anthony Hopkins ressemble-t-il autant à… Anthony Hopkins dans le film ? C’est lui qui a exigé qu’on le reconnaisse ?
Ha non, rien à voir ! Dans une première version du maquillage, il ressemblait totalement à Hitch, mais on perdait complètement son visage et je trouvais ça dommage. Notre film n’a pas une prétention documentaire comme le Nixon d’Oliver Stone où Anthony jouait le rôle titre. Notre Hitchcock est une version du personnage parmi d’autres possibles et j’estime que 50% du fun de l’expérience était de pouvoir reconnaitre Hopkins. Ca nous amusait de faire aussi un Hitchcock tres différent de celui que le public croit connaitre.
C’est un autre reproche qui a été fait à votre film : montrer un Hitchcock sous un jour un peu bouffon, fun.
J’adore que le film en dérange certains ! Pendant si longtemps, le public s’est créé une image mythologique de Hitchcock comme d’un auteur sacré alors qu’il faisait des films avant tout pour le public, pas pour être étudié dans les facs ! D’ailleurs la critique américaine ne l’a jamais vraiment pris au sérieux jusqu’à ce que Truffaut et les Cahiers du cinéma ne se penchent sur lui. Il était incroyablement flatté de l’attention des Français mais il n’était pas conscient du tout qu’il faisait des chef-d’oeuvre. Il se considérait comme un homme de divertissement populaire. Je suis conscient que mon film provoque un débat : qui était Hitchcock, un monstre, un dieu ? Est ce qu’un film sur Hitchcock ne peut-il pas lui aussi être divertissant ? C’est amusant que des gens nous reprochent d’avoir voulu faire un film léger et divertissant alors que c’est précisément “ce qu’Hitchcock a voulu faire toute sa vie.
Pensez vous que Hitchcock aurait aimé votre film ?
Il l’aurait vu pour ce qu’il est : un divertissement fun !
Le tournage du tournage de la scène de la douche dans Psychose a-t-il représenté un challenge particulier pour vous ?
Oui ce fut la scène la plus compliquée, parce qu’on avait très peu de temps. On l’a emballée en une demi-journée, sur un tournage de 35 jours au total.

Sacha Gervasi, réalisateur de Hitchcock.
Trente-cinq jours, C’est tout ?
Oui, c’est tout ce dont on dispose aujourd’hui pour des films adultes à budget moyen comme Hitchcock. C’est beaucoup de pression, la fatigue des acteurs à gérer, pas de temps pour répéter les scènes. La scène de la douche s’est tournée en une prise et environ cinq heures de préparation sur le plateau. Mais comme on tournait avec huit caméras, tous les angles étaient couverts et ça permet de limiter les prises. Nous avons tourné avec des caméras numériques Red Epic qui se révèlent particulièrement efficaces pour les tournages courts.
Votre film montre aussi toutes les difficultés créatives rencontrées par Hitchcock pour faire le film qu’il voulait faire sur Psychose. Avez-vous rencontré la même expérience sur Hitchcock ?
N’importe quel artiste qui essaie de monter son film doit se battre, il faut toujours persuader quelqu’un et maîtriser l’art de se faire entendre. Le film a aussi un propos universel pour cela. Et je ne peux pas rentrer dans les détails, mais oui j’ai dû me battre sur beaucoup de choses pour Hitchcock. Non je ne vous dirai rien !
Hitchcock, de Sacha Gervasi. Sortie le 6 février.
Très bonne interview fort intéressante et sans langue de bois.
Vu que tu as beaucoup aimé cet Hitchcock, je te conseille vivement de regarder le téléfilm The Girl diffusé en décembre par BBC2. Il s’attarde sur la relation compliquée entre Hitchcock et Tippi Hedren lors du tournage des Oiseaux. Et ce téléfilm accorde aussi une place au couple Hitch/Alma. Un ton pas vraiment gai, mais une tension psychologique maîtrisée.