
Interview Xavier Gens : « Le Fantastique est très malade »
Interviewé dans la foulée de Nicolas Boukhrief, le 24 novembre dernier au Paris International Fantastic Film Festival, Xavier Gens était lui aussi membre du jury de la section longs métrages. Réalisateur à la fois viscéralement amoureux du genre et très lucide sur les défauts de ses propres films (une humilité rare et rafraichissante), Xavier Gens se montre, comme Boukhrief, plutôt pessimiste sur l’état actuel du cinéma fantastique. Pour la France, il propose par ailleurs une solution particulièrement intrigante (d’aucuns diront peut-être farfelue) pour favoriser l’impulsion d’un vrai mouvement de fond…
On va te reposer la même question qu’à Nicolas Boukhrief avant toi : qu’as tu songé de la sélection du PIFFF 2012 ?
XAVIER GENS : J’ai adoré The Cleaner de Adrian Saba : voilà une vraie belle proposition de cinéma qui m’a beaucoup ému. A ce jour, c’est le film pour lequel on va voter à l’unanimité (tout comme pour Nicolas Boukhrief, cette interview a été réalisée juste avant la projection de The Body, qui a manifestement retourné le jury puisqu’il a été sacré Meilleur Film de la compétition, devant The Cleaner – NDLR). Pour le reste si cette sélection est censée refléter l’état du cinéma fantastique/épouvante aujourd’hui, ca fait un peu peur… Avec les autres jurés, on a trouvé que beaucoup des films vus s’apparentaient à des entreprises assez cyniques et quelque part ça effraie un peu sur l’avenir du cinéma de genre. Si il n’y a plus que des faiseurs, ce cinéma va vraiment mourir à petit feu et se retrouver dans les bas fonds des video clubs.
C’est un diagnostic bien pessimiste…
Le fantastique est très malade, pour moi le genre n’est plus que l’ombre de ce qu’il était dans les années 70. On a tous essayé de retrouver cet esprit, moi y compris, et pour la France, je pense que le seul qui y soit arrivé c’est Pascal (Laugier – ndlr) avec Martyrs. Moi, avec Frontières, j’ai juste fait une sorte de remake de Massacre à la tronconneuse 2, dont j’assume totalement la gaudriole et le fun mais Martyr est une proposition beaucoup plus sérieuse. Pascal est plus mature que moi
Tu évoques régulièrement un problème de production pour ces “french frayeurs”.
Oui, ils coûtent trop cher et il y a trop de pression ! Ca n’a pas de sens de faire un film de genre à deux millions d’euros chez nous. Quand je vois le ciné US, les films de genre sont faits généralement pour entre 500 000 et un million d’euros. Le risque est minime et du coup certains films sont de vrais labos. Tous les “french frayeurs” récents ont fait entre 50 000 et 100 000 entrées – de Martyrs à La Horde en passant par A l’intérieur – pour des budgets allant de un à deux millions d‘euros, ce qui à mon avis est trop cher. Si on avait fait les mêmes films pour un peu moins d’argent, ils auraient été considéré comme des succès, et peut-être alimenté une tendance. Tout est un problème de perception lié aux sommes investies. On est au final dans une situation où chaque année en France sortent cinq purs films de genre pour 200 comédies. Mais plus le temps passe, plus on se souviendra davantage d’un Martyrs ou d’un Convoyeur, qui sont déjà considérés comme des classiques auprès d’une certaine frange de cinéphiles. Ce cinéma-là peut exister durablement en France, il faut juste penser chaque budget de façon cohérente avec chaque projet. Il faudrait produire ces films pour des enveloppes entre 500 et 1 million d’euros, avec un distributeur qui organiserait une petite tournée nationale, un peu comme une pièce de théâtre Organiser des projections-évènements dans une vingtaine de villes plutôt que de sortir le film dans 100 salles en même temps et attendre que les gens viennent (ou pas).
On ne prend pas le risque de ghettoïser un peu plus le genre avec ta solution ?
Je ne pense pas, on essaie plutôt de réamorcer la pompe. Retournons à l’essence même du genre, en amenant le public au genre comme il irait au cirque : on arrive dans une ville, on monte la tente et on montre le film. Il faut absolument rééduquer le public au cinéma de genre et je me dis que ça passe peut être par l’événementialisation des projections, la création d’un vrai rendez-vous, comme ici au PIFFF, qui fait salle comble tous les soirs. Parce que sinon, le petit film de genre, comment tu veux qu’il se fasse entendre dans le cadre d’une sortie salle normale ? Entre trois blockbusters et une comédie francaise, personne n’ira le voir….
Tu ne regrettes pas justement que The Divide n’ait pas bénéficié d’une sortie salles en France ?
Bah, le vendeur international est très content, le film a cartonné en salles au Japon, où il a fait des scores à la Transformers. Mais bon ils sont un peu pervers au Japon c’est bien connu (rires) ! En France, le piratage a hélas tué l’exploitation du film en DVD, il était dispo sur le web deux mois avant sa sortie vidéo… Si on avait organisé un système de présentation comme celui dont je te parle, ca aurait peut-être sauvé sa carrière.
Où en est ton vieux projet Vanikoro ? Tu pourrais enfin le concrétiser après la réalisation des Authentiques ? (toutes les infos à lire sur Vanikoro sont dans un passionnant article sur le site Capture Mag)
Non, on en est loin ! Il faudrait vraiment que j’arrive à faire deux/trois autres films avant et qu’il marchent. Je l’ai budgeté à environ 60 millions de dollars et il faudrait de gros acteurs pour porter le film – et pour l’instant, je ne suis pas un réal’ avec qui les gros acteurs ont envie de tourner ! Pas question de ne pas le réaliser moi-même, ca fait six ans que je porte ce projet, j’en ai une vision très claire qui évolue un peu chaque année, à mesure que je récupère de plus en plus d’informations sur les protagnistes de l’histoire. Vanikoro sera plus proche d’un grand film historique que d’un survival sur une ile comme initialement envisagé.
Chaleureux remerciements à Blanche-Aurore Duault, Nathalie Iund et toute l’équipe organisatrice du Paris International Fantastic Film Festival.