
Iron Maiden, Somewhere Back in Time (3ème Partie)
Pour célébrer les 35 ans de la sortie de l’album Iron Maiden et les 40 ans de la création du groupe, le Daily Mars vous propose, cet été, ce petit cahier de vacances pour réviser vos classiques avant la sortie de leur seizième album, The Book of Souls, le 4 septembre prochain.
Au début des années 1990, le hard-rock et tous ses dérivés (Heavy, Speed, Thrash ou Power Metal) sont victimes de ce qu’un biologiste appellerait un « faux positif ». La faute à trois arbres en fleur à l’été 1991 qui cachent une forêt moribonde : l’album Metallica, du groupe éponyme (aussi connu sous le nom de Black Album) et les deux volets du diptyque Use Your Illusion des Guns N’ Roses. Les ventes sont astronomiques. Deux heures après leur sortie, il s’est déjà écoulé un demi-million d’exemplaires des deux Use Your Illusion. De juillet à octobre 1992, une tournée nord-américaine de vingt-cinq dates rassemblant les deux mastodontes sur la même affiche (avec Faith No More en première partie) attirera plus d’un million de spectateurs.
Après ce tour de force, ces deux navires amiraux sombreront, chacun à leur manière, et emporteront toute la flotte avec eux. Aujourd’hui, les fans en sont encore à se demander si le Black Album doit être considéré comme la fin du début ou le début de la fin pour les Four Horsemen ; d’autres prétendent avoir vu un mauvais sosie obèse d’Axl Rose en tournée solo au tournant des années 2010 ainsi que de grossières imitations « made in China » d’un nouvel album des Guns à la même époque. Personne ne fut assez clairvoyant pour voir arriver les deux vagues qui enverraient par le fond l’un des mouvements musicaux les plus populaires du monde anglo-saxon dans les années 80 : d’une part, venu de la région de Seattle à l’ouest, le Grunge et, d’autre part, le Death Metal, émergé des côtes de Floride.
Pendant ce temps, en Europe, les jeunes sont, eux aussi, tout à la fois neurasthéniques et fascinés par la violence gratuite. Bref, ils sont jeunes. Ils écoutent de l’eurodance et commencent à s’intéresser à un nouveau style musical venu du froid : le Black Metal (ou « pourquoi les scandinaves sont-ils fâchés avec Jésus ? »). Au Royaume-Uni, comme partout ailleurs dans le monde, le Heavy Metal crève doucement, tout au fond du jardin d’un pavillon de banlieue, près d’une ligne de chemin de fer. À l’été 1992, Rob Halford officialise sa rupture avec Judas Priest, laissant l’un des plus beaux fleurons du Heavy Metal britannique décapité. Dans la foulée, c’est Bruce Dickinson qui annonce son départ d’Iron Maiden, juste avant de se lancer dans ce qui sera sa « tournée d’adieu au groupe ».
Cela fait un peu plus de deux ans qu’« Ed Force One » a commencé à se désagréger. Au début de l’année 1990, lors de la préparation de l’album qui doit succéder à Seventh Son of a Seventh Son, Adrian Smith choisit de partir, après la décision de revenir à un style plus sobre et à une musique plus directe. Il est remplacé par Janick Gers, un ami de longue date de Bruce Dickinson, avec qui ce dernier a coécrit son premier album solo, Tattooed Millionaire, sorti plus tôt la même année.
No Prayer for the Dying sort donc le 1er octobre 1990 et marque le retour d’Iron Maiden à un son et des compositions plus proches de leurs deux premiers albums. Si l’intention est louable, le résultat l’est beaucoup moins. Le disque est complètement incohérent, oscillant entre des morceaux légers et pince-sans-rire (comme le single Holy Smoke, et sa critique des télévangélistes) et d’autres plus « sérieux » (notez l’importance des guillemets avant d’écouter un titre comme Mother Russia). Le groupe recycle à tour de bras : une musique composée par Smith avant qu’il ne quitte le groupe par-ci (Hooks in You), des paroles de Dickinson datant des sessions d’enregistrement de Somewhere in Time par là (Run Silent, Run Deep). Harris va même jusqu’à rapatrier de force sur l’album un titre écrit par Dickinson pour la bande originale de Freddy 5, Bring Your Daughter… to the Slaughter, offrant ainsi au groupe leur premier (et unique) n° 1 dans les charts britanniques.
Autre choix malheureux : enregistrer l’album dans la demeure de Steve Harris (plus précisément dans la grange) à l’aide du Rolling Stones Mobile Studio. Le résultat est un disque faible, au son médiocre et à l’écriture grossière (comme souvent, quand les rock stars donnent leur avis sur la vie) voire carrément vulgaire (c’est le seul album du groupe dont les paroles contiennent des obscénités) : un album qui ne ressemble à rien et surtout pas à un album d’Iron Maiden.
En 1992, avant Dickinson, c’est un autre membre « historique » de la famille Maiden qui quitte le navire : Derek Riggs, dont l’illustration n’a pas été retenue pour la pochette du disque. C’est également l’occasion d’un passage de relais derrière la console entre Martin Birch et Steve Harris, qui coproduira pour la première fois un des albums de la vierge de fer. Birch prendra officiellement sa retraite après la sortie du disque.
Toujours enregistré dans la grange de Steve Harris — cette fois-ci aménagée en studio — Fear of the Dark apparaît comme une lueur d’espoir pour les fans. Album classique mais efficace, fruit d’un réel effort collectif, il contient, outre quelques bizarreries (Wasting Love, premier essai à la « power ballad »), un certain nombre de morceaux percutants (Judas Be My Guide, Chains of Misery), deux singles calibrés (Be Quick or Be Dead, From Here to Eternity) et de futurs incontournables en live (Afraid to Shoot Strangers et Fear of the Dark).
Après la (relative) sobriété de la tournée No Prayer on the Road, la tournée Fear of the Dark voit le groupe retrouver les stades et les mises en scène extravagantes. L’apogée (ou le summum du ridicule, c’est selon) sera atteint, lorsque, pour le dernier concert de Dickinson, le groupe s’associera avec l’illusionniste Simon Drake pour donner un spectacle émaillé de tours de magie grand-guignolesques. C’est sur ce coup d’éclat que le rideau tombe sur une décennie particulièrement riche pour le groupe.
Au début de l’année 1993, après le départ de Bruce Dickinson, Iron Maiden se retrouve peu ou prou dans la même situation qu’une dizaine d’années plus tôt, après l’éviction de Di’Anno… la célébrité en plus. Après avoir écouté plusieurs centaines de chanteurs potentiels, le choix du groupe – et d’Harris – se porte finalement sur Blaze Bayley (de son vrai nom Bayley Alexander Cooke), le chanteur de Wolfsbane. Cette décision pouvait sembler étrange, les styles vocaux de Bayley et de Dickinson n’ayant pas grand-chose à voir l’un avec l’autre. Il faut dire qu’à ne pas vouloir jouer la facilité, le groupe – enfin, encore une fois, surtout son bassiste – va surtout se compliquer inutilement la vie.
The X Factor, leur dixième album, sort à l’automne 1995. Au-delà de simplement « faire tourner les effectifs », l’album marque un nouveau changement de direction artistique pour le groupe. Lorgnant à nouveau du côté d’un rock progressif cette fois-ci extrêmement sombre, The X Factor peut, a posteriori, passer pour le brouillon d’un album qui sortira plus de dix ans plus tard : A Matter of Life and Death. Entre les guerres de Yougoslavie (Blood on the World’s Hands), la guerre en général et le trouble de stress post-traumatique (Fortunes of War, The Afermath), l’inquisition médiévale, la dépression, la crise de nerfs, la crise de foi et l’exaltation des plus bas instincts de l’homme… c’est un euphémisme que de dire que The X Factor est un disque où on rit peu.
Le premier des trois principaux problèmes de l’album est qu’il marque une rupture trop abrupte dans la continuité de la discographie du groupe. The X Factor n’est pas exempt de défauts mais il est loin d’être mauvais. Écoutez, par exemple, The Edge of Darkness. De là à imaginer ces morceaux en concert au milieu des autres classiques du groupe, il y a un pas infranchissable. Autre souci : Blaze Bayley. Même s’il ne mérite pas les volées de bois vert qu’il a reçu, en concert, le pauvre homme n’est pas à la hauteur de Dickinson, ni sur le plan vocal (le répertoire n’étant pas du tout dans ses cordes) ni sur le plan de la présence scénique, au point d’en être embarrassant. Dernière chose : encore une fois, la production de l’album est quelconque et le son est plat.
Après une tournée de promotion de l’album The X Factor amputée d’une partie de ses dates américaines (officiellement) suite à des problèmes de santé de Bayley, Iron Maiden revient en 1998, avec un nouvel album, Virtual XI. Sans doute en réaction aux vives critiques suscitées par le disque précédent, Harris — qui signe presque toutes les chansons du disque — semble cette fois décidé à donner aux fans ce qu’ils veulent. Plus traditionnel et plus direct, Virtual XI est un album de Heavy Metal classique et plutôt bien ficelé.
Comme pour The X Factor, avec le recul et une fois que le temps a fait son œuvre, l’album vaut mieux que sa réputation. Il contient quelques titres accrocheurs (Lightning Strikes Twice, Como Estais Amigos), un vrai hymne des stades (The Clansman) et quelques morceaux à la construction moins « immédiate » (The Educated Fool, When Two Worlds Collide) sur lesquels apparaissent des tics d’écriture qui deviendront caractéristiques des compositions postérieures.
Les efforts déployés sur disque et des performances scéniques d’un niveau bien supérieur à celles du X Factour ne semblent pouvoir enrayer la chute de popularité du groupe. Le paysage musical de la fin des années 90 ne laisse que peu de place aux vieilles gloires du Heavy Metal britannique. Bien qu’ils constituent un « fond de roulement » que bien d’autres concurrents envieraient, les inconditionnels et les fans de longue date peinent à remplir les grandes salles.
Comme tous ses petits camarades de jeux, au premier rang desquels leurs compatriotes de Judas Priest, Maiden a souffert dans les années 90 d’un désamour d’une partie de son public historique… Après tout, en quelques années, ils avaient, coup sur coup, perdu, non seulement leur chanteur emblématique, mais également le producteur, l’un des guitaristes qui avait contribué à forger leur son et l’illustrateur qui avait aidé à imposer l’image du groupe.
Après avoir demandé à Blaze Bayley de quitter le groupe au début de l’année 1999, Harris se retrouve à nouveau à la barre d’un navire sans figure de proue. Heureusement, si l’histoire du rock est, comme les courses automobiles, faite d’abandons, de casses matérielles et de sorties de routes, le rock, est aussi comme toutes les mythologies, rempli de trahisons, de morts violentes… et de résurrections. Mais ça, c’est une autre histoire, dont je laisse à Guillaume Nicolas le soin de vous entretenir, dans la quatrième et dernière partie de cette série.
Aymeric Barbary
A lire également :
- Somewhere Back in Time, 1ère partie par Aymeric Barbary
- Somewhere Back in Time, 2ème Partie par Guillaume Nicolas