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Jaco Van Dormael (Le Tout Nouveau Testament) : « On est pas dans l’ordre du symbolique, mais d’un conte surréaliste »

Jaco Van Dormael (Le Tout Nouveau Testament) : « On est pas dans l’ordre du symbolique, mais d’un conte surréaliste »

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Crédit : Fabrizio Maltese/Le Pacte

« Dieu existe, il habite à Bruxelles ». C’est avec ce pitch improbable, placardé à travers toute la France, que débarque mercredi en salles Le Tout Nouveau Testament. Benoît Poelvoorde est un Dieu peu dans les clous. Il est même le bad guy du film, tempétueux, violent et semblant inventer des règles pour emmerder le commun des mortels. Lorsqu’Éa (Pili Groyne) sa fille, lui échappe, elle envoie aussi à toute l’humanité un des secrets les mieux gardés de Dieu : leur date de décès… En fugue, elle va tenter de réparer le monde en trouvant sept apôtres. Présenté avec un accueil chaleureux à la dernière Quinzaine des Réalisateurs, on n’est pas dans la satire lourdingue de la Bible, point de vue de nombreux films à travers l’histoire du cinéma… Non, c’est le point de départ d’un film barré et visuellement généreux à la Terry Gilliam, ni comédie sociale, ni fable, mais tout cela à la fois. L’œuvre d’un Belge qui se fait rare, et qui a beaucoup de films très différents à son actif, du Huitième Jour au plus récent Mr. Nobody : Jaco Van Dormael. On se devait de rencontrer celui qui a fait tomber Catherine Deneuve amoureuse d’un gorille de cirque… Attention : cette interview n’est pas parole d’Évangile.

Le personnage de Dieu, incarné par Benoît Poelvoorde, n’utilise pas beaucoup de pouvoirs divins, comme on le réalise au cours du film. C’est un type assez ordinaire, qui ne peut pas empêcher que sa fille parte. Est-ce que c’était une idée de faire du personnage de Dieu un quidam ?

Jaco Van Dormael : C’est cela, sauf que c’est Dieu. Il a un ordinateur et il a l’outil pour gouverner. Il a le goût du pouvoir, en tout cas. Cela aurait pu être sa femme, ou quelqu’un d’autre. C’est pas un film qui est de l’ordre du symbolique, c’est plus un conte surréaliste et la comédie. On est parti du postulat « et si Dieu existait, en chair et en os, et qu’il habitait Bruxelles ? » Moi qui n’y crois pas… Et s’il avait une femme et une fille dont on n’avait jamais entendu parler ? C’est ça qui a amené les hypothèses de comédie. On prend la storyline de la religion et on en fait autre chose.

J’ai l’impression, en voyant le film et en lisant ce qui a été dit à Cannes, que vous avez quand même fait pas mal de recherches autour de la religion. A un moment vous parlez de « conte apocryphe ». Est-ce que créer le Tout Nouveau Testament demande de replonger dans le Nouveau Testament tel qu’il existe ?

J’ai eu une éducation assez catholique. Quand j’étais ado, je lisais la Bible, même sans être croyant, c’est super beau. Et c’est après que je suis tombé sur les Évangiles apocryphes, en me disant que ça a été un peu réécrit en 300-quelque chose, pour des raisons politiques. Il fallait unifier le tout et ne pas avoir quinze schismes différents. Dans les écrits apocryphes, il y a des trucs vraiment bien pétés, et il y a beaucoup de femmes qui ont été supprimées, qui étaient dans d’autres versions. Même si c’est un super beau livre, le Nouveau Testament a été réécrit en faisant des choix : en écartant certaines versions et en en retenant d’autres.

Crédit : Fabrizio Maltese/Le Pacte

Crédit : Fabrizio Maltese/Le Pacte

Dès le moment où le Monde reçoit la date de décès, beaucoup de gens sont montrés comme étant libérés par cette information. L’idée est que Dieu a de suite moins d’emprise et la population devient plus tranquille. Vous forcez le trait avec le personnage de Kevin sur cette idée. D’où vient cette idée, de faire perdre son pouvoir à Dieu avec le savoir de la mortalité ?

Ca fait partie des autres « et si ». Il y en a qui la connaissent, et en général ça devient précieux. Il y a des personnages qui décident de ne rien changer, d’autres qui font l’inverse. Les gens arrêtent de se faire emmerder, ils prennent leur vie en main. Ils savent que ça a une fin, il faut que chaque minute leur appartienne. Ce que fait Éa, c’est de dire sans le savoir : « vous n’êtes pas immortels », et que le paradis c’est maintenant.

Le Tout Nouveau Testament est un film vachement visuel, avec beaucoup de « tableaux » comme celui du lavomatic ou encore l’appartement sordide au centre de Bruxelles dans lequel vivent Dieu et sa famille. Est-ce que vous avez pensé à des travaux artistiques en particulier avant de vous mettre à concevoir le film ?

On peut s’inspirer de la réalité pour les appartements, et pour le reste on s’est inspirés des images pieuses. On s’est dit qu’on allait faire des choses très frontales et très symétriques, un peu comme la construction des images pieuses. On va filmer une porte de garage, un parking comme ça… Les décors ne sont pas forcément ordinaires : ils sont assez dépouillés, et ils ont une certaine théâtralité, sans qu’il y ait aucun signe de religion.

Multiplier les éléments comme dans le bureau de Dieu, les casiers interminables, les machines à laver… Tout ça, c’était une idée de réalisation ?

Il y a une fiche pour chaque humain, avec sa date de naissance et la date de décès. Le bureau de Dieu est un bureau de comptable.

Éa a une omniscience, mais très spécifique : lorsqu’elle va chercher ses apôtres, elle va se concentrer sur avoir de l’empathie et leur faire trouver une personne qui leur correspond. Ce parcours, c’était de ne pas avoir une ado en rébellion contre son père, mais aussi quelqu’un qui va essayer de régler ça à travers 7 personnes ?

Elle reçoit le conseil de JC, son frère : je vais essayer avec 12, comme au hockey, ou sinon 18 comme au base-ball, le chiffre préféré de Maman. On comprendra pourquoi à la fin du film. Ces 6 personnes sont des perdants magnifiques. Mais elle fait ça du haut de ses 10 ans, d’arranger les choses comme elle peut. Mais elle ne sait pas faire des grandes vagues, juste des petites. Souvent, ça passe par des rencontres d’amour improbable, qui s’arrange tout de suite.

Dans les matériels de presse, on parle des apôtres d’Éa. Ils ont des surnoms, mais ne sont pas forcément révélés. Est-ce que Le Tout Nouveau Testament comporte pas mal de rebondissements et retournements de situation, et quelle était votre vision sur la peur des spoilers ?

Non. Si les gens vont au cinéma parce que quelqu’un leur a dit ce qu’il a vu… Quand un copain me conseille un film, je sais déjà quelque chose sur ça. Comme c’est un film épisodique, j’aimais bien les surnoms des apôtres : l’Évangile selon obsédé, selon l’assassin… Notre baromètre pendant l’écriture c’est : est-ce que ça nous fait rire ? J’essayais de faire rire Thomas [Gunzig], il essayait de me faire rire… C’était plutôt ça. Après, inconsciemment, il y a sans doute des trucs… Mais l’idée c’est d’être drôle et touchant.

Au niveau du casting, est-ce que c’était, pour la plupart des évidences, ou y a-t-il des rôles taillés sur mesure pour certains d’entre eux ?

J’ai eu beaucoup de chance d’avoir ces acteurs, à part Catherine Deneuve que je ne connaissais pas, ce sont des amis. Je connais Yolande depuis qu’elle a 20 ans, Benoît aussi, je n’avais jamais travaillé avec… Et les autres, je les connais aussi. Je me suis dit : là on vieillit, il serait temps qu’on fasse un film ensemble… Ceci dit, ce n’est pas pour moi qu’ils ont dit oui. Quand l’acteur ou l’actrice dit « oui », je réécris le costume sur mesure, qu’on se dise : impossible à penser à quelqu’un d’autre. Je réadapte chaque fois, après des lectures, et je change les mots pour que ça rentre en bouche. On ne répète pas énormément, mais je réadapte les mots pour qu’ils soient tout à fait à l’aise.

Le Tout Nouveau Testament est en salles mercredi. Propos recueillis le 8 juillet à Paris.

 

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