
JAMES ELLROY : « LA BITE DE MON PERE… »
Mi-septembre, James Ellroy était l’invité d’honneur de la Cinémathèque française, dans le cadre d’un cycle polar et d’une rétro consacrée aux 30 ans de son éditeur, Rivages/Noir. L’auteur du Dahlia noir et de L.A. Confidential présentait un de ses films noirs préférés, La Griffe du passé, et en a profité pour faire son show. Très en forme, le Dog a longuement parlé de la (grosse) bite de son père, de L.A., des adaptations de ses bouquins, de ses acteurs préférés…
Pour ceux qui ne le savent pas encore, James Ellroy est un écrivain de polars (un poil surestimé en France) comme Le Dalhia noir, L.A. Confidential ou American Tabloïd. Le géant aux chemises hawaïennes et au crâne rasé est également scénariste à ses heures et plusieurs de ses romans ont été adaptés avec plus ou moins de bonheur par Hollywood. Grande gueule en chef, mégalo (il se considère comme le plus grand écrivain de polars qui n’ait jamais vécu), cabot, le Dog, c’est son surnom, n’aime rien tant que maltraiter les journalistes et faire son numéro.
À la Cinémathèque, ça a commencé par une petite séance d’autographes. James Ellroy arrive à l’heure, jauge la foule et arbore la gueule des mauvais jours. À un photographe, il lance un « Deux minutes et puis… » et passe au ralenti son index sur sa gorge avec un air sinistre. Quand il accepte un selfie avec une admiratrice, je pense qu’Ellroy se bonifie avec le temps (il a 68 ans aux fraises), mais il me jette un regard assassin quand je tente une photo. Il me broie néanmoins la main quand je lui tends mon exemplaire défraîchi de Ma part d’ombre (mon Ellroy préféré, et de loin). Il regarde mon prénom inscrit en capitale sur un Post-It, se plante en le recopiant (il écrit Mac !) et se fend d’une virgule improbable en guise de signature ! Il me serre à nouveau la main (deux fois, donc, tu mollis, James), avec sûrement l’impression de m’avoir fait le cadeau du siècle. Bon, j’ai mon exemplaire de Ma part d’ombre zébré d’une espèce de caca à l’encre noire…
Dans la salle Henri Langlois, les choses sérieuses commencent. Avant la projection de La Griffe du passé, de Jacques Tourneur, un de ses films noirs préférés, James Ellroy doit deviser pendant une heure avec Jean-François Rauger, directeur de la programmation à la Cinémathèque et journaliste au Monde. Sur scène, François Guérif, le boss de Rivages/noir, brillera par son absence, et Rauger, pas très à l’aise, enchaînera les questions interminables et pas toujours passionnantes. Mais bon, le Dog, tel un boxeur sur le ring, est là pour faire son show. Vautré sur sa chaise, les pieds sur la table basse, l’œil sombre, James Ellroy déploie sa carcasse et va pendant plus d’une heure balancer ses punchlines, dans un tempo très lent, avec sa voix traînante, parfois chantante, assassiner Hollywood, louer le dieu Dollar ou clamer son amour éternel pour Charles Bronson ou Chuck Norris.
Morceaux choisis.
LA RÉVÉLATION DU CINÉMA
« J’ai découvert le cinéma de cette façon : ma mère m’a emmené voir le film Three Coins in the Fountain (La Fontaine des amours, Jean Negulesco, 1954) au Fox Wilshire Theatre en 1954. J’avais 6 ans. Dorothy McGuire, Maggie McNamara, à Rome, en robes d’été. Ces femmes cherchaient l’amour et j’ai aussitôt réalisé que c’était moi dont elles avaient envie ».
LE LAPD AU CINEMA
« À part l’adaptation L.A. Confidential, le meilleur film sur le LAPD est The New Centurions de Richard Fleischer (Les Flics ne dorment pas la nuit, 1972), d’après le premier roman de Joseph Wambauch, un ancien flic du LAPD. La performance de George C. Scott est épatante, c’est très malin, avec de merveilleuses plaisanteries racistes, et une description très réaliste de ce qu’est un flic à L.A. C’est un film très fidèle au bouquin ».
« À 22-23 ans, j’étais un petit merdeux. Je ne représentais aucun danger pour la société, seulement pour moi-même. Le LAPD m’a arrêté une quarantaine de fois et a botté mon putain de cul trois fois. C’est à cette époque que j’ai commencé à lire les livres de Jo Wambauch. Des livres qui prônent une société ordonnée et tout à coup, ces livres m’ont donné honte de ma vie dissolue. Comme Wambauch, je peux vous dire que les flics du LAPD sont les êtres humains les plus exceptionnels que je connaisse. Il y a deux autres films adaptés de Wambauch que je n’aime pas du tout : The Choir Boys (Bande de flics, Robert Aldrich, 1977) et The Onion Field (Tueurs de flics, Harold Becker, 1979) tourné platement comme un film télé ».
ELLROY ET L.A.
« Je suis né à L.A., en 1948, l’année du rat. Je suis né durant l’apogée du film noir, j’ai vraiment eu de la chance… »
« Mes films préférés sur L.A. sont The Prowler (Le Rôdeur) de Joseph Losey, 1951, Crime Wave (Échec au gang) d’André De Toth, 1954, Night Fall (La Griffe du passé) de Jacques Tourneur, 1956, Murder by Contract (Meurtre sous contrat) d’Irving Lerner, 1958. Kiss me Deadly (En quatrième vitesse) est un assez bon film, avec une relation perverse entre deux personnages qui m’a servi pour American Tabloïd. Mais il n’est pas au niveau des autres… »
SIDNEY LUMET
« Lumet, qui est un grand metteur en scène, habitait à New York et déclarait volontiers qu’il n’aurait jamais pu vivre à Hollywood, car c’était la ville des grands studios. C’est vraiment de la branlette ce genre de réflexion. Ça permet juste de se sentir un peu supérieur, même si tu suces la grosse bite empoisonnée d’Hollywood. Je ne comprends pas cette mentalité. J’admire néanmoins Lumet et j’espère le retrouver dans l’au-delà. »
LA BITE DE MON PÈRE
« Quand j’avais 11 ans, mon père m’a déclaré : « J’ai fourré Rita Hayworth ». Je lui ai répondu : « Fuck you, Dad, tu n’as pas baisé Rita Hayworth. Tu ne dis que des conneries, tu mens comme un serpent. » On avait une relation plutôt bizarre… Il m’a raconté qu’il avait été l’agent de Rita à la fin des années 40, au moment de ma naissance. Et qu’il avait organisé son mariage à Paris avec Ali Kahn, en 1949. En 1965, dix ans après la mort de mon père, je tombe sur une biographie de Rita Hayworth. Je regarde l’index du bouquin et je trouve le nom de mon père. Il avait vraiment été son business manager à la fin des années 40 ! Je dois ajouter que mon père était un très beau mec, avec une bite d’âne, 35 centimètres, et ce ne sont pas des conneries. Il est donc plus que plausible que mon père ait usiné Rita Hayworth. J’adore ce genre d’histoires qui s’avèrent être vraies après des années. »
LE FILM NOIR FRANÇAIS
« Mon film noir français préféré est Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville. Mon éditeur, François Guérif, m’a conseillé de regarder Le Deuxième Souffle. Lino Ventura est mon acteur français préféré. Dès que je rentre au Colorado, je le visionne. »
ELLROY AU CINEMA
« Mes romans ne sont pas conçus pour être adaptés au cinéma. L’adaptation de L.A. Confidential est miraculeuse, mais le film n’est pas vraiment profond et Brian Hegeland – qui a gagné un Oscar pour son scénario – déteste le film. C’est malin, jazzy, spirituel, mais pas profond. L’histoire reprend une intrigue subalterne de mon livre, d’une façon pas vraiment convaincante. Deux acteurs – Kevin Spacey et Russell Crowe – ne sont pas à la hauteur : ils sont au mieux impuissants dans leur jeu, au pire, incompétents. Pas un de mes dialogues ne sort correctement de leur bouche. Et je me fous de ce que disent les critiques, c’est moi l’autorité, j’ai écrit le roman ! Si j’avais été le metteur en scène, j’aurais hurlé « COUPEZ ! » à chaque fois qu’ils ouvrent la bouche et je leur aurais ordonné de refaire TOUTES leurs prises. Mais j’ai fermé ma gueule et j’ai pris l’argent. Car l’argent est le seul cadeau que l’on ne rend jamais, la couleur verte est toujours flatteuse et la taille, XL, est toujours seyante… Le Dahlia noir ? Mon dieu, c’est un désastre absolu. L’image est horrible, c’est cheap, incroyablement mauvais, misogyne ».
COP
« James B. Harris est le producteur de plusieurs Kubrick bien surestimés. C’est néanmoins un de mes bons amis. Que dire de Cop avec James Woods ? Il y a une scène au début qui résume bien ce que je pense. Lloyd Hopkins, joué par un James Woods tout en grimaces, reçoit un coup de téléphone en provenance de West Hollywood. L’adresse en question s’avère être la cour d’un immeuble avec 150 appartements. Il sait seulement que le coup de fil vient de cette adresse, pas de quel appart. Mais dès qu’il arrive dans la cour, Woods sort son flingue, sans savoir où se situe le suspect qu’il traque. Pensez à cette image trois secondes ! »
SCÉNARIOS ORIGINAUX
« L’argent est le seul cadeau que l’on ne rend jamais, la couleur verte est toujours flatteuse et la taille, XL, est toujours seyante (la salle explose de rire). J’ai été marié et j’ai divorcé plusieurs fois et ça coûte de l’argent. J’aime les voitures de sport, et ça coûte de l’argent. J’aime les beaux apparts à L.A. et partout aux États-Unis, et cela coûte de l’argent. Je paie et paie encore des impôts et ça coûte de l’argent. Quand j’ai l’opportunité de pitcher un film à un grand studio et que j’ai la possibilité de leur soutirer du fric, je le fais. N’oubliez pas : l’argent est le seul cadeau que l’on ne rend jamais ! Il n’y a pas une ligne de mon dialogue dans Street Kings que j’avais écrite pour Nick Nolte. C’est un truc raciste, une compil’ de rap maléfique, avec des dialogues atroces comme « Crève, sale nègre, fils de pute blanc ». Néanmoins, j’ai été payé une belle somme et Keanu Reeves a remplacé mon copain Nick Nolte. L’argent est le seul cadeau que l’on ne rend jamais ! Dark Blue, comme Rampart, avec le nullissime Woody Harrelson, sont des films incroyablement mauvais. L’argent est le seul cadeau que l’on ne rend jamais ! »
OUT OF THE PAST
« J’adore La Griffe du passé, car c’est l’essence du film noir. Il y a une grande histoire d’amour obsessionnelle, un triangle amoureux pervers, une action qui se déroule en 1947, au moment du meurtre du Dahlia noir, avec des extérieurs incroyables : Acapulco, Mexico, Bridgeport, L.A., San Francisco… Si vous ne l’avez jamais vu, vous allez décoller ».
CHARLES BRONSON
« Bronson était un putain de mec, mon héros ! Comme Lino Ventura. Mes trois héros machos sont Charles Bronson, Chuck Norris et Clint Eastwood tout en bas de ma liste. Mon préféré, c’est Bronson, un vrai mec, une putain de star. Dans Un justicier dans la ville 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 19, il a 97 ans et descend des putain de punks dans la rue. J’adore également Murphy’s Law (La Loi de Murphy, 1986), Mister Majestik (1974, d’après Elmore Leonard) ou The Mechanic (Le Flingueur, Michael Winner, 1972), le plus grand film de tueur à gages. Bronson était le roi ! »
J’avoue j’ai cliqué en voyant le titre, mais le reste était marrant aussi.
Merci !
C’est sûr, c’est un marrant, ce cher James.
Merci à vous.
Entendre les délire d’Ellroy (ou les lire), c’est toujours un plaisir 🙂