
Japan Expo 2015 : Interview de Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre (1/2)
Alors qu’ils viennent tout juste de terminer leur titre City Hall, les deux auteurs français étaient à la Japan Expo cette année et se sont prêtés au jeu des questions/réponses. En attendant leur spin-off intitulé City Hall – Icons, qui reviendra plus en détail sur certains de leurs personnages et leur nouvelle série Booksters, voici la première partie du compte-rendu de notre petite conversation.
Bonjour ! Tout d’abord, je voulais savoir comment vous vous étiez rencontrés ?
Guillaume Lapeyre : Sur le forum «Adopteunscénariste.com». (Rire)
Rémi Guérin : A l’occasion d’un festival BD à Montpellier, d’abord. Puis à Palavas, la même année, il y a environ 7 ans. Il est venu me voir habillé en guenilles et mal rasé, en me disant désespéré : « J’ai besoin d’un scénariste ». Non, plus sérieusement, on s’était déjà croisés sur un salon de dédicaces et on s’est dit pourquoi ne pas travailler ensemble, juste pour voir ce que ça pouvait donner et il m’a donné un super argument. Il m’a dit: « Est-ce que t’as un truc ? » et moi qui n’avais rien, je lui ai répondu : « Ouais, bien sûr ! ». (Rire). A ce moment-là, j’ai essayé de lui donner le change et lui ai demandé ce qu’il savait faire. Il m’a répondu : « Je peux tout faire, sauf les chevaux et les voitures ! ».
GL : Pour ma part, j’étais sur une fin de série avec un autre scénariste, donc voilà…
Donc pas de western ou de courses automobiles, du coup ?
RG : Si, mais des westerns à pied…
Pourquoi avoir choisi ce format manga, plus qu’un autre ?
GL : Pour plusieurs raisons… Déjà, parce que j’ai découvert la BD avec le format manga et je voulais en faire un depuis toujours. J’ai signé mon premier contrat à 19 ans avec une première publication en 2001, si ma mémoire est bonne et les éditeurs n’étaient pas du tout prêts à ce moment-là. Donc pour trouver du taf, il a fallu rentrer dans le sacro-saint format du 46 pages couleur. Quand j’ai rencontré Rémi, on a fait trois BD franco-belges, éditées chez Soleil, qui s’appelaient Explorers. C’était une sorte de brouillon de City Hall. Ça s’est arrêté assez vite car on n’a pas rencontré notre public. On a fini à 900 exemplaires. Bref, la catastrophe intégrale. Quand on a recherché du job, parce qu’il le fallait bien, dans le dossier qu’on avait préparé chacun de son côté, il y avait City Hall et j’ai senti qu’avec ce titre, il fallait faire un format feuilletonnant. Rémi est plutôt comics. Donc, c’était soit comics, soit manga.
RG : Le comics, ça n’aurait pas collé. En terme de format global, il n’y a pas vraiment de limite. La BD traditionnelle, c’est 46 pages et c’est un format très contraignant et qui est très long à faire. Avec le manga, il y a une vraie rapidité et j’avais de la place pour m’exprimer, développer les intrigues secondaires et les personnages, ce que je n’avais pas pu faire jusqu’à présent. Je me rends compte aujourd’hui que j’en avais besoin. L’argument de plus, c’est le prix. Parce que 20€ pour 46 pages lues en trente minutes, je ne peux pas m’empêcher de me dire que ce n’est pas là que le public va se trouver. De l’autre côté, 8€ pour cent soixante pages, là, il y a quelque chose à faire. Il y avait l’envie de faire plaisir à un maximum de gens et de pouvoir se faire plaisir en racontant le maximum de choses dans le maximum de place. Ça permettait également à Guillaume d’accomplir un rêve de gosse, donc voilà…
GL : En gros, la BD c’est le film, et le manga c’est la série TV. Nous, on est plus séries TV.
Est-ce compliqué en France de proposer un manga ?
RG : Plus trop maintenant, mais à l’époque, oui, c’est sûr. A l’époque, quand on a présenté City Hall, on a eu 100% de refus. Non pas sur le graphisme, ni même l’histoire mais bien, sur le format. Cependant, un éditeur, Ankama, même s’il nous dit non d’abord, restait hésitant. Après des discussions, on est parvenus à trouver un accord mais qui était purement financier. C’est une économie bien particulière le manga. Il faut qu’on puisse vivre en le faisant et en même temps, le seul moyen pour que ça puisse se faire, c’est d’avoir un rythme de mangaka. C’est à dire que Guillaume doit être capable de fournir environ deux pages par jour, tout seul. Là où, pour rappel, un auteur de BD franco-belge, qui bosse bien, va faire cinq pages par mois. Guillaume m’a dit, je peux le faire, il y est arrivé et Ankama a été le seul éditeur à jouer le jeu et on les en remercie. Finalement, le succès de City Hall a ouvert la porte à d’autres titres. On est ravis ! Aujourd’hui, il y a de très belles choses qui sortent mais qui auraient peut-être rencontré plus de difficultés à voir le jour.
Pensez-vous que l’on puisse définir le «manga français» ?
GL : Le mangaka en France, c’est un mec qui dessine cent soixante pages en noir et blanc, dans le sens qu’il veut, qui est français et qui ne mange pas du riz et des sushis. (Rire).
RG : Pour nous, ce format est le même que celui du manga. La seule différence, c’est que pour plein de raisons, on a choisi de le faire dans le sens de lecture européen, qui est le nôtre. L’idée, c’était avant tout de faire quelque chose d’accessible au plus grand nombre et manga veut juste dire bande-dessinée, au final…
GL : Tant que l’histoire est bien, peu importe le format. Ça pourrait être édité sur un rouleau de PQ… Tant que c’est intéressant…
RG : C’est vrai ! Par contre, tu passes plus de temps aux toilettes, du coup… Et puis faut tout réenrouler…
D’où vous est venue l’idée d’origine de cette histoire ?
RG : En fait, je n’ai pas eu envie de faire une histoire à la base. J’ai surtout eu envie de réunir un groupe de personnages. Je voulais créer ma propre Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Par contre, je ne voulais pas de personnages fictifs, je ne voulais pas refaire quelque chose qui a déjà été fait et je me suis dis que ce serait cool que ce soit des personnages ayant déjà existé. J’ai donc pris le contre-pied de La Ligue, tout en essayant d’approcher Alan Moore, qui est un vrai maître dans son art. Du coup, je me dis : faisons une liste des personnages qu’il serait intéressant d’avoir : un inventeur, un aventurier, un enquêteur, un leader et un magicien. Le magicien sert toujours. A ce moment-là, je n’ai pas d’histoire mais le premier qui me vient, c’est Jules Verne. De son côté, Guillaume a envie de faire quelque chose dans un univers « steampunk » et Jules Verne peut-être considéré comme le père du genre. En tout cas, on peut lui trouver des accointances évidentes. Là, on se dit : OK, lui ce sera notre inventeur. Après, on a pensé à Sherlock Holmes évidemment. Mais voilà, il n’existe pas. Oui, je sais, c’est dur de s’en remettre. (Rires). Me voilà complètement bloqué, car je n’ai personne d’autre en tête en termes d’enquêteur. J’ai pensé à Vidocq mais ça ne me plaisait pas et là, je me suis dit, Arthur Conan Doyle. C’est de ces deux écrivains qu’a découlé toute l’histoire autour du papier. Après, ça a été une sorte de ping-pong entre Guillaume et moi. Ce sont ces deux personnages qui ont construit l’histoire. Il y a même certains chapitres qui ont été écrits par eux, je crois… (Rires).
On sent que vous aimez vos personnages. Parmi eux, quels sont ceux qui vous parlent le plus ?
GL : Moi, je ne lis pas de roman, donc voilà… (Rires). Il faut que ce soit visuel.
RG : Pour ma part, oui, ce sont tous des auteurs que j’adore. En dehors de ceux-là, il y a beaucoup d’autres auteurs contemporains que j’affectionne beaucoup, comme Stephen King par exemple. Mais ça semblait compliqué de l’inclure dans City Hall. Il y a des auteurs dont la vie me passionne autant que leurs œuvres, comme Jules Verne, et d’autres dont seules les histoires qu’ils ont écrits m’intéresse comme le Frankenstein de Mary Shelley.
Certains personnages du Club de 10 ne sont pas exploités, à l’instar de Tolkien et Agatha Christie. Pour quelle raison ?
GL : C’est avant tout un manque de place. Mais les spin-off (City Hall – Icons) qui vont suivre sont aussi là pour ça. Chaque tome sera consacré à un personnage. Parce qu’effectivement, par exemple Mary Shelley est carrément sous-exploitée dans le second cycle.
RG : Il y a aussi un manque d’intérêt pour l’histoire. Alors, je m’explique, les personnages sont passionnants mais à un moment donné, le risque d’avoir trop de personnages à développer, c’est que tu dilues tout. Il fallait avant tout se concentrer sur notre trio, déjà bien entouré. En créant le Club de 10, on savait qu’on pourrait potentiellement développer certains protagonistes plus tard. Donc, il faut voir ça comme une bande-annonce.
Si vous deviez incarner l’un de vos personnages, ce serait qui ?
RG : Wahoo… Heu… C’est une très bonne question !
GL : Tremblez brave gens ! Lovecraft… ! Non, c’est pour la blague.
RG : T’es un grand malade, toi !
GL : Non, en fait, Conan Doyle parce qu’il est handicapé sentimental et j’aime bien.
RG : Jules Verne. C’est vrai que c’est un jeu entre nous. Depuis le début, on a chacun son petit préféré. Mais si je devais choisir un personnage qui n’est pas l’un des héros, je choisirais sans hésiter, Harry Houdini.
Pour la suite de l’interview, rendez-vous ce week-end et pour les critiques de City Hall, c’est ici et là.