Japan Expo 2015 : Interview de Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre (2/2)

Japan Expo 2015 : Interview de Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre (2/2)

9782359104615_pgAlors qu’ils viennent tout juste de terminer leur titre City Hall, les deux auteurs français étaient à la Japan Expo cette année et se sont prêtés au jeu des questions/réponses. En attendant leur spin-off intitulé City Hall – Icons, qui reviendra plus en détail sur certains de leurs personnages et leur nouvelle série Booksters, voici la seconde partie du compte-rendu de notre petite conversation.

La première partie, c’est par ici.

 

Parlez-moi un peu de vos influences graphiques…

GL : Alors moi, j’ai un top 3 des mangakas que je préfère. Takeshi Obata (Death Note) en premier, vraiment ! En deuxième, Takeshi Obata et en troisième, je pense que je mettrais Takeshi Obata. (Rire). Quand on dit que les dessinateurs sont autistes monomaniaques…

 

Le thème de l’écriture prend une place très importante dans l’histoire, vous lui attribuez un grand pouvoir de création, comment vous est venue cette idée ?

RG : C’est le rêve de tout auteur qui se respecte, de voir ce qu’il écrit prendre littéralement vie. On a poussé le délire jusqu’au bout en donnant un tel pouvoir au papier mais je suis intiment convaincu qu’à un autre niveau, beaucoup plus réaliste, le pouvoir des mots va largement au-delà de ce qu’il se passe dans City Hall. Je pense que tu peux déclencher une guerre avec, blesser quelqu’un avec, que tu peux faire pleurer quelqu’un avec, je pense même que tu peux réellement tuer quelqu’un avec. On a juste donné une dimension fantastique mais c’est en fait, une mise en abyme de la réalité. Aujourd’hui, on peut faire autant de mal que de bien avec un stylo et une feuille de papier. J’en suis convaincu.

GL : Ça faisait écho à la révolution numérique. Nous, on pense que l’un ne chassera pas l’autre. Il peut y avoir une parfaite coexistence. Si on analyse en profondeur le truc, City Hall, c’est l’histoire d’un monde qui change, qui évolue. Ce qui est rigolo, c’est qu’eux, ils partent du numérique pour aller vers le papier.

RG : On a eu une vraie réflexion sur ce qu’allait devenir la communication et quelle valeur allait-t-on donner aux mots.

 

Alors, bien évidemment, il y en a un qui dessine et l’autre qui écrit mais comment fonctionne réellement votre collaboration ? Où commence et où finit le travail de chacun ?

GL : Il m’obéit au doit et à l’œil ! (Rire).

RG : Pour les idées, on en discute forcément ensemble. Pour l’écriture, c’est uniquement moi. Certaines idées se retrouvent aujourd’hui dans City Hall parce qu’on en a discuté ensemble ou sont carrément des idées de Guillaume. Il va avoir de l’influence sur mon écriture, être le premier critique sur les dialogues par exemple, ou des choses qui ne lui paraissent pas pertinentes ou incompréhensibles. Inversement, quand il livre un storyboard derrière, je ne vais pas hésiter à lui donner mon avis. Ça marche bien parce qu’il y a un vrai respect mutuel.

GL : Comme on partage une relation amicale et professionnelle, la première réaction, c’est toujours : « Oh, tu fais chier ! ». (Rire). Mais, on finit par se dire qu’effectivement, pour telle ou telle scène, ça a du sens. C’est toujours pour le bien du bouquin.

 

9782359104752_cgGuillaume, parle-moi un peu de l’étape du chara-design…

GL : Alors, deux anecdotes. La première, qui est vraie et je le revendique. Je dois dessiner Arthur et Jules. Je reviens de chez Auchan et j’ai acheté le premier tome de Bakuman au rayon mangas. C’est aussi l’histoire de deux auteurs… Je rentre chez moi, le tome est là, ma feuille est ici et voilà… Concernant la seconde anecdote, pour les autres personnages, premier réflexe, comme ils ont existé, je vais sur Google. Là, je tombe sur Mary Shelley et comment dire… Aïe, aïe, aïe… Elle écrivait bien mais elle était à l’image de ses personnages, fantomatique. Mary, si tu m’entends, du fond de ta tombe… ! Du coup, faut les rendre un peu attrayant. Il y a Malcolm X pour lequel j’ai pas changé grand chose. Mais j’ai dû m’éloigner de cette image réelle pas très glamour pour un manga et au fur et à mesure, c’est devenu un jeu. Est-ce qu’on va pas prendre à contre-pied carrément l’image de personnages ?! Dans le dernier tome, j’ai dû faire Jean Valjean… Alors pour moi, Jean Valjean, c’est Jean Gabin qui soulève une brouette… Là, on en a fait un mastodonte façon Gears of War avec un gros sniper et voilà…

 

Quel est votre rythme de travail ? Votre rendement par rapport à un mangaka japonais ?

GL : Environ deux à trois pages par jour. Pour ma prochaine série, j’ai un assistant décor, que je garderai jalousement jusqu’à ma mort. (Rires). Je lui mets les fers aux pieds et il reste avec moi. Du coup, je fais trois à cinq pages par jour. Ça va beaucoup plus vite. J’ai essayé d’avoir le vrai rythme d’un mangaka japonais, en respectant un planning trouvé sur le net. J’ai tenu à peu près deux semaines et après je suis tombé malade. Trois heures de sommeil par nuit, c’est juste pas possible. C’est un truc de malade. Au final, pour City Hall, on a fait sept tomes en trois ans.

RG : Au niveau de l’écriture, c’est plus compliqué. En temps effectif de rédaction pure, je vais mettre une journée pour écrire un chapitre, voir une demi-journée. Mais avant que cette journée n’arrive, il s’est passé quelques semaines, voir quelques mois, parfois.

 

Le final a quelque chose d’assez cruel. L’avez-vous toujours pensé de la sorte ?

GL : Oui, depuis la première page.

RG : L’épilogue, non. Il a été rajouté pour adoucir la fin. Mais sinon, oui, ça a toujours été ça. Ça fait trois, quatre ans qu’on grandit avec ces personnages, alors on n’aurait pas pu laisser le titre se finir de la sorte, d’où l’épilogue. Néanmoins, cette fin telle que tu l’as lu, était validée avant même que j’écrive les premières lignes. Le destin de tous les personnages était écrit à l’avance et ils ont tous embrassé le destin qu’ils devaient avoir.

City-Hall-02

Pouvez-vous nous parler un peu plus de City Hall – Icons ?

RG : Le premier tome se concentrera sur Houdini et Mary Shelley puisque dans le tome 3 de City Hall, on comprend qu’ils se sont déjà rencontrés mais sans savoir où. City Hall – Icons, en fait, c’est pas juste pour se faire plaisir, même si c’est le cas. Mais c’est avant tout une manière de répondre à des questions restées en suspens, même si elles ne nuisent pas à la compréhension de l’histoire dans la série principale. L’idée, c’est de faire deux tomes par an.

 

Guillaume, pour quelles raisons ne seras-tu pas sur ce projet de spin-off ?

GL : Parce que j’ai d’autres séries en cours, par ailleurs. Aussi parce que ce final que tu trouves cruel se suffit à lui-même. Il y a trop de mangas qui durent inutilement et je n’ai pas envie de me réveiller un matin en me disant : « Merde, on fait un Death Note, partie 2… ». C’est une décision douloureuse. Ce qui est bien avec City Hall – Icons, c’est que l’on va pouvoir aider de jeunes auteurs, comme on a pu le faire pour nous à nos débuts. Parce que bon, il faut bien l’admettre, on commence à sentir le sapin… (Rires).

RG : Il y aura un dessinateur différent pour chaque tome. Et il n’est pas exclu que Guillaume s’en réserve un.

 

Pour finir, vous parliez d’une nouvelle collaboration… ?

GL : C’est un titre qui va être édité chez Kana. Un shônen dans la veine de City Hall mais plus orienté action. Par contre, ce sera toujours en rapport avec la littérature. Ça s’appellera Booksters et ce sera des combats de personnages littéraires.

RG : Ne manquez pas le combat de Frankenstein face au Petit Chaperon Rouge ! C’est moi qui vous le dis ! (Rires). Ça sortira le premier trimestre 2016.

Merci beaucoup à vous deux !

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