Japan Expo 2015 : Interview de Tony Valente

Japan Expo 2015 : Interview de Tony Valente

FullSizeRenderLors de la convention qui a eu lieu le mois dernier, j’ai eu la chance de poser quelques questions à Tony Valente. Il est l’auteur du manga français, Radiant, publié chez l’éditeur Ankama. Une conversation fort intéressante avec un jeune artiste de talent. Suivez le guide !

 

Bonjour ! Alors pour commencer, je souhaitais savoir comment tu en étais venu à la bande-dessinée, au départ…

Parce que j’aimais ça et que je dessine depuis que je suis tout petit. Je pense que c’était avant tout pour raconter des histoires. Je ne m’en rendais pas compte au début mais au final, j’aime surtout raconter. Et puis, je me suis mis à dessiner pour illustrer mes histoires. C’est comme ça que ça a pris forme. Au début, c’était surtout les dessins-animés qui m’intéressaient mais quand j’ai découvert tout l’aspect technique qui se trouvait derrière, ça m’a moins botté alors que la BD semblait plus accessible. Je m’y suis donc mis, tout seul, car ça me semblait bien pour raconter des histoires.

 

Pourquoi avoir choisi le format manga par rapport aux autres ?

J’ai fait des BD « traditionnelles » avant mais je reste très influencé manga, vu que c’est ce que je lis le plus. J’ai essayé de faire une BD type manga au format classique mais j’ai vite été frustré car je n’avais pas de place. De plus, la mise en couleur prenant beaucoup de temps, je râlais constamment car je voulais que ça aille plus vite. Je trouvais ça con. Du coup, je me suis lancé dans un projet purement manga, pour pouvoir me faire vraiment plaisir, en pensant que ça ne marcherait pas vraiment. Je me suis dis que si c’était ma dernière BD, je voulais que ce soit un manga pour me faire plaisir et me lâcher. Et finalement, en me parlant à moi-même, j’ai réussi à parler à un public et là, ça s’est mis à fonctionner.

 

De plus en plus d’auteurs français s’essaient au manga, selon toi comment peut-on définir le manga à la française ?

J’imagine que beaucoup d’auteurs utilisent le manga avant tout pour le format, plus que pour ses codes et je trouve ça chouette ! Par exemple, Dreamland est à fond dans un trip japonais, City Hall, beaucoup moins et pourtant ça marche tout autant. Pour moi, ça fait presque série TV ou un truc du style et ils ont bien fait de choisir ce format-là. Comme ça, ils peuvent encore plus explorer l’histoire et les personnages. Et pourtant, je vois bien que je ne lis pas un manga japonais. C’est peut-être ce qui caractérise le manga français, d’emprunter le format mais pas nécessairement tous les codes. Pour ma part, je ne cherche pas la sérialisation, ni même à faire un truc japonais. J’aime beaucoup, ceux qui font des trucs à fond dans ce style et j’ai autant d’admiration pour le travail d’un dessinateur comme Shônen, que pour celui de Guillaume Lapeyre qui est très différent. Peut-être que ce format apporte une certaine liberté.

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Quels sont les auteurs qui t’ont nourri et tes principales sources d’inspiration ?

Il y en a plein ! Ça a commencé avec Dragon Ball. Ça, c’est resté. Et ensuite, tous les shônens qui en ont découlé, One Piece, NarutoOne Piece est mon manga préféré donc ça doit ressortir dans beaucoup d’aspects de mon travail. J’aime beaucoup de genres différents. Je trouve le titre Silver Spoon, qui n’a rien à voir, fantastique. Ça fait partie des trucs qui me font vibrer quand je lis alors qu’à priori, comme ça, sur le papier, ce sont des titres qui n’ont rien à voir entre eux. Mais au final, l’univers de Radiant, même s’il s’inspire du manga, puise plus son inspiration dans les romans et les jeux vidéo. Ils ont une description plus littéraire de leurs univers, dans le jeu vidéo. Dans le manga, ça fait souvent plus ancré dans le contemporain, même si on parle de Naruto, par exemple, qui se passe dans un univers imaginaire. Mais n’empêche, il y a pas mal de parallèles avec notre réalité. Ils sont presque en survêt, ils ont des télévisions, bref, c’est assez contemporain. Moi, ce n’était pas ma base, je voulais partir sur de la fantasy, tout en essayant de trouver une petite originalité dedans… Je ne suis pas sûr de l’avoir trouver, mais bon… Voilà, c’est de la fantasy pur et dur, inspiré du jeu vidéo.

 

En dehors des mangas, lis-tu des BD franco-belges ou des comics ?

Des comics, pas du tout ! J’en ai lu très peu et j’en ai pas trouvé qui m’aient donné envie de continuer. Par contre des BD franco-belges, j’en lis plein, beaucoup moins maintenant car j’y ai moins accès. Je pense d’ailleurs que dans ma manière de retranscrire mon univers, c’est Lanfeust de Troy qui m’a le plus inspiré. Quand je le lisais, j’étais fasciné par le récit et les dessins, un peu comme si les auteurs étaient allés à Troy et nous racontaient comment ça c’était passé. Ça, c’est vraiment un truc dans la fantasy que j’adore et qui est plutôt occidental. Les japonnais font ça différemment. En occident, dans la fantasy, il y a ce côté très immersif, voir encyclopédique, dans le savoir d’un univers. C’est ce que j’essaie peu à peu de faire avec le mien.

 

Personnellement, j’ai vraiment retrouvé l’influence de Lanfeust de Troy. Par contre, curieusement, tu m’as dit ne pas lire de comics mais j’ai trouvé que Radiant avait une très lointaine parenté avec X-Men, sur les sujets de l’exclusion et de la peur de l’autre…

Oui, c’est vrai mais ce n’est pas franchement volontaire. De X-Men, je n’ai vu que les films mais c’est vrai que lorsque j’ai présenté le titre, Radiant, aux éditeurs, je leur parlais de X-Men pour présenter le concept de gars infectés et qui traînent un boulet. Je n’aime pas trop les super héros en fait, même si je peux me régaler devant un film. Par exemple, j’ai adoré la première trilogie Spiderman mais j’ai un peu de mal avec le concept de super héros. Je ne voulais pas faire un truc avec des mecs en combinaison même si j’aime bien rigoler avec. Quand j’ai fait Radiant, je me suis dis, les personnages traînent un boulet, ils ont un pouvoir mais au lieu d’avoir de grandes responsabilités, ils doivent gérer leur fardeau, ce qui les implique d’autant plus dans l’histoire. Seth a des cornes, son mentor Alma souffre d’atroces maux de tête, bref ils traînent leur boulet. Toutes les infections mises en place pour chaque personnage résultent de l’exagération d’un trait de caractère ou de la manifestation de quelque chose d’enfoui en nous.

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Je sais que tu travailles tout seul. Est-ce une volonté de ta part pour garder le contrôle total de ton œuvre ?

Je ne suis pas contre l’idée d’avoir des assistants mais en France, c’est difficile parce qu’il faut mettre en place tout un système économique par rapport à ça. Ça signifie former une personne afin qu’elle-même puisse former des assistants et ça devient compliqué. J’ai essayé avec une personne qui m’aidait un peu, sur des tâches juste techniques et je perdais finalement du temps car je travaillais plus vite tout seul. Avoir un dessinateur spécialement pour les décors, ça m’intéresserait vraiment mais réquisitionner un dessinateur accompli comme assistant, ce n’est pas vraiment dans la culture française, c’est assez difficile.

 

Quelle est la partie que tu préfères dans la création de ta BD ?

Imaginer et écrire l’histoire, vraiment pour moi, c’est le plus gros kiffe. Au-delà de ça, c’est vraiment faire vivre mes personnages, en fait. Quand je crée mes personnages, j’essaie de leur attribuer une manière de parler, de se tenir, quelque chose qui les rend uniques. Quand je les mets en scène, j’ai l’impression qu’ils m’ont déjà échappé… Comme un sculpteur qui, au fur et à mesure, n’a plus l’impression de sculpter mais de faire ressortir quelque chose qui était déjà là, à la base. Il ne fait qu’enlever les débris autour. C’est un bon parallèle avec la manière dont je crée mes personnages. Je dégrossis, je dégrossis mais au final, je me rend compte qu’ils ont toujours été là.

 

En parlant de personnages, Seth, le héros, fait penser à Luffy, Naruto ou Goku. Penses-tu qu’il y ait un archétype du héros de shônen ?

C’est Akira Toriyama qui a inventé avec Goku, le personnage un peu bête et tête brûlée. Mais sur le papier, Goku n’est pas Luffy alors que si l’on devait les décrire, on le ferait de la même manière pour les deux. Quand j’ai créé Seth, au début, je pensais que ça allait être juste un débile mais comme je me suis rendu compte que, moi-même j’étais un peu bête mais pas que, j’ai enrichi mon personnage en utilisant certains de mes traits de caractère. Au fur et à mesure des tomes, on peut l’éloigner de plus en plus des héros classiques et fonceurs du shônen.

 

J’ai trouvé qu’à partir du second tome, le propos devenait plus social, voir presque humaniste. Est-ce une idée d’origine ou est-ce arrivé en cours d’écriture ?

En fait, c’est arrivé un peu inconsciemment au début, bien que ce soit le thème de Radiant de parler de la différence. Et quand tu fais le parallèle avec les X-Men, c’est très juste puisque je parle d’une caste de personnes qui sont différentes. En fait, le thème était déjà là ! Ça m’amène d’épisode en épisode à approfondir ce thème sur l’acceptation de la différence. J’ai vraiment fait un parallèle avec la situation qu’il y a en France.

 

Radiant_2_centreJustement, le commandant Conrad, l’un des personnages du titre, tient des propos carrément extrémistes et haineux et je me disais que ça faisait bien écho à ce que l’on peut parfois entendre dans notre société actuelle…

Alors, si tu veux savoir la vérité sur tout ce qui sort de la bouche de Conrad, aucune phrase n’a été inventée. Ce sont beaucoup de phrases que j’ai emprunté, en grosse partie, à Manuel Valls et en petite partie à des journalistes. Des trucs qui sont des fois, passés complètement inaperçus. Moi-même, quand j’écrivais, je me disais que c’était un peu rude. Toutes ces phrases ne viennent pas de la même bouche, mon personnage n’est pas Manuel Valls, mais je les ai retranscrit tel quel, mot pour mot et oui, clairement c’est chaud… Plein de lecteurs m’ont fait remarquer que ce perso était hyper raciste et je leur ai répondu que c’est ce qu’il se passait en ce moment. Je voulais déjà parler de ça dans ma précédente série, Rumble Town, et là, je me suis dit, c’est parfait. J’entends des trucs qui me choquent donc plutôt que d’inventer des dialogues pour ce personnage là, je m’en suis servi. D’autant que Conrad a vraiment existé, c’est un inquisiteur européen, l’un des premiers à avoir inventer une mythologie autour des sorcières pour justifier qu’on les chasse.

 

Parfaite transition, puisque j’allais en venir aux références historiques vis-à-vis de l’inquisition et de la chasse aux sorcières, avec notamment le Malleus Maleficarum (un célèbre traité de lutte contre la sorcellerie et le démonisme)… As-tu effectué beaucoup de recherches à ce niveau-là ?

Je n’ai pas fait de la recherche historique à proprement parlé mais j’ai lu plein de trucs. J’ai lu en diagonal le Malleus Maleficarum et ce livre est juste incroyable. J’ai d’ailleurs utilisé un passage du bouquin dans le tome 3, concernant la légende selon laquelle les sorcières kidnappaient les pénis des hommes, les mettaient dans des nids et leur donnaient de l’avoine, ça m’a fait mourir de rire quand j’ai vu ça, du coup, je n’ai rien changé. Sérieusement, c’est quand même fantastique qu’un mec écrive ça, en 1480 et quelques. Ça m’a fasciné ! Quelques-uns de mes personnages sont inspirés de figures célèbres de l’inquisition.

 

J’ai appris que Radiant allait débarquer sur le marché japonais. Est-ce une forme de consécration? Était-ce un but, quelque part ?

Non, ce n’était pas un but. A vrai dire, quand c’est arrivé, c’était plutôt la grosse surprise ! Le lendemain de l’annonce, j’ai cru que j’avais rêvé et puis après réflexion, j’ai réalisé que ça allait vraiment se faire. Je n’en attends rien du tout car le marché japonais est assez compliqué, mais si ça marche, ce serait trop fort.

 

Comment ça s’est passé ?

C’est un éditeur japonais dirigé par un français qui vit là-bas, qui s’est intéressé au titre. On a échangé par mails et j’ai appris qu’il avait donc acheté la licence pour l’éditer au Japon, donc grosse surprise.

 

Aimerais-tu voir Radiant adapté en anime?

J’adorerais mais pas à n’importe quelles conditions. Par exemple, si c’était TF1 qui se disait, « tiens on va faire un dessin-animé Radiant, » je pense que je dirai non d’emblée puisqu’il faudrait tout enlever dedans. Ce n’est pas contre eux mais ils enlèveraient le propos autour de l’exclusion par exemple, parce que c’est un sujet anxiogène et ce qui est anxiogène passe mal à la TV. Donc, certainement que je refuserai dans ces conditions.

 

Deux dernières questions : tout d’abord, quand sortira le tome 4 ?

Vers la fin de l’année.

 

Et sais-tu combien de tomes comptera Radiant?

Tout va dépendre du public et des lecteurs mais mon objectif serait de dépasser la dizaine, aller vers la quinzaine parce que j’ai beaucoup de choses à raconter et il me semble impossible d’y arriver avant. Si ça termine plus tôt, ce sera certainement pour d’autres raisons. Jusqu’ici, j’ai le début, la fin et des nœuds scénaristiques au milieu, donc ça peut prendre pas mal de temps.

 

Merci à toi, Tony !

Merci à toi, Mathieu !

 

Pour retrouver ma critique des trois premiers tomes de Radiant, c’est par ici!

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