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[Japan Expo 2016] Interview de Guillaume Lapeyre et Sylvain Dos Santos
Cette année, la Japan Expo mettait à l’honneur le manga français. L’occasion de (re)découvrir la richesse de la bande-dessinée française dans toute sa diversité. Même si ce qu’on appelle le Global Manga n’en est qu’à ses balbutiements, il n’en reste pas moins un terrain fertile pour de plus en plus d’auteurs aventureux. Parmi ceux-là, les auteurs du nouveau shônen édité chez Kana, tout du moins deux d’entre eux, Guillaume Lapeyre et Sylvain Dos Santos ont bien voulu répondre à nos questions. Live from Mars!
Bonjour ! Pour commencer, pouvez-vous nous présenter les différents acteurs de ce projet.
Guillaume Lapeyre : Là, nous sommes que deux mais en fait on est quatre à faire Booksterz. Moi, je suis Guillaume Lapeyre, je suis dessinateur et je bosse avec Alexandre Desmassias qui s’occupe de tous les décors.
Sylvain Dos Santos : Et moi, je suis Sylvain Dos Santos, je suis scénariste et je travaille avec Rémi Guérin.
OK, justement Sylvain, comment t’es-tu retrouvé sur ce projet qu’est Booksterz ?
SDS : Je suis un gros consommateur de mangas et de shônen en particulier. Je lis pas grand-chose d’autre, à vrai dire ! (rires) À la base je travaille comme créateur de séries d’animation et Booksterz est un projet transmédias, dont une série d’animation. L’idée m’est venue en lisant un magazine, en tombant sur des illustrations d’Alice au pays des merveilles. Je me suis dis que ça ferait des personnages de jeu de baston, géniaux ! D’ailleurs, c’est le cas de tous les personnages de la littérature, à condition qu’ils soient bien désignés. Suite à ça, j’ai commencé à imaginer deux ou trois trucs et j’ai rencontré Guillaume et Rémi, parce que j’étais fan de City Hall, tout simplement. Et puis, nous avons discuté et ça leur a plu. Donc on s’est lancés tous les trois là-dedans et puis maintenant avec Alexandre également.
C’est une nouvelle collaboration entre Rémi et Guillaume qui, à mon sens, est dans la droite lignée de City Hall. Après vous être attaqués aux auteurs, vous vous attaquez aux œuvres, qu’est-ce qui vous fascine autant dans la littérature ?
GL : Pour Rémi, je ne saurais pas répondre, bien qu’il soit un gros lecteur depuis longtemps donc il a un fort attachement à la littérature. Moi, quand on en a parlé, je me suis dis : « qui ne rêve pas d’avoir son personnage favori, en vrai, le rencontrer et lui parler ?! » Là, on s’en sert pour faire des combats mais c’est un rêve de gosse, quoi ! C’est l’imaginaire poussé à l’extrême. Je rêvais d’avoir Han Solo dans ma chambre, pour de vrai… Bon, là on est sur un autre registre mais le principe, c’est ça. Et puis, c’était mon premier shônen, donc un nouveau défi et je suis un mec de défis Sinon, je n’aurai pas choisi le manga, j’aurai choisi les strips dans un journal (rires). J’aime bien mais c’est autre chose. Moi, je voulais faire un shônen.
SDS : Ce qui me fascine dans la littérature, c’est le réservoir de personnages, la manière dont on peut les réutiliser, les recycler. Pour ma part, je ne suis pas un gros lecteur mais ça m’intéresse de m’attaquer à des œuvres plus ou moins connus, afin de me les réapproprier.
GL : Dans cette masse d’histoires connues, de contes, de héros, on tente d’apporter un angle de vue nouveau. On fait arriver Dorothy dans une tornade façon Storm dans X-Men. Barbe Bleue, il fait quatre-vingt-douze mètres de haut. Bref, c’est n’importe quoi… (rires) Mais c’est super fun à faire !
En tout cas, on le ressent plutôt bien à la lecture. Guillaume, par rapport au dessin, as-tu pu constater une progression ou une évolution dans ta manière de l’aborder depuis City Hall ?
GL : D’un point de vue technique, oui. De toute manière, plus je ferai de pages, plus je m’améliorerai. En tout cas, je l’espère. Après, ce que je pense aussi, c’est que j’étais dans une zone de confort en faisant City Hall. Et tant mieux, les dernières pages étaient certainement meilleures que les premières. Je n’aime pas trop les longues séries. Je ne serais pas capable de faire du One Piece, par exemple. J’aime bien changer, me lancer des défis et me mettre en position de danger parce que ça me fait évoluer. Là, je m’attaque à quelque chose que je n’avais pas trop l’habitude de faire. J’ai une grosse bibliothèque avec plein de mangas de styles différents que j’adore et le shônen représente une certaine facette de mon travail. Pour le moment, je vais plus dans cette direction.
Pour quelle raison avoir fait appel à Alexandre Desmassias pour les décors ?
GL : Il y a plusieurs raisons à cela… C’est un gars qui me suivait sur City Hall, il est CGI-artist de formation. D’ailleurs, vous avez dû voir plein de fois son travail sans le savoir. Dans des spots publicitaires pour des voitures notamment et des jingles animés pour une marque de saucisson qu’on ne citera pas. Je lui ai demandé un coup de main en catastrophe sur la dernière séquence du septième tome de City Hall. Je lui ai demandé de me faire le bureau d’Arthur Conan Doyle, et il a fait ça dans la nuit. Il a tout modélisé grâce à un logiciel 3D, pièce par pièce, mobilier par mobilier et quand il m’a envoyé le résultat le lendemain matin, il m’a dit « je suis allé chercher dans les archives de la BBC, je t’ai fait les dimensions du bureau de Sherlock, la série, à l’identique, au mètre près ». Je me suis dit : « ce mec-là, je pense que je vais bosser avec lui. (rires) Je l’épouse ! » Et je trouve ça même mieux que ce que je faisais tout seul, donc pourquoi s’en priver ?! Quand il y a quelqu’un avec un aussi grand talent, on le garde.
Cette année, à la Japan Expo, le manga français est mis à l’honneur, est-ce pour vous une forme de consécration, de reconnaissance ?
GL : C’est le début de quelque chose… On n’y est pas encore, il reste beaucoup de chemin à faire. Il faut imaginer le manga français comme une grande et belle porte en métal et Reno Lemaire avec Dreamland, a été l’un des premiers à essayer de la pousser, à la force de ses deux petits bras. Il était seul mais a commencé à l’ouvrir et on a vu un peu de lumière derrière. Modestement, nous avec City Hall, Elsa Brants avec Save my Pythie ou encore Tony Valente avec Radiant, on s’est mis derrière lui, on a aussi poussé, et de plus en plus d’auteurs français de qualité sont en train de nous aider à ouvrir cette porte. C’est bien que les éditeurs aient compris qu’il y avait beaucoup de gens talentueux.
SDS : J’ai vécu ça en tant que lecteur mais grâce à tous ces auteurs-là, il y a eu un déclic. À la base, ce n’est pas que je ne voulais pas en entendre parler, mais je n’étais pas convaincu par tout un tas d’expériences. Et puis, City Hall a réussi à me convaincre qu’il y avait vraiment des gens, aujourd’hui, capables d’aller taquiner des productions japonaises. On est rentrés dans une ère où les auteurs français commencent à exister. Et ce qui est intéressant, c’est qu’en plus de la qualité, il y a de la variété. On ne se contente pas de rester dans un genre, on multiplie les expériences et il faut qu’il y ait de plus en plus de jeunes auteurs qui s’y mettent.
GL : En espérant que l’on n’entendra plus « tu ne peux pas faire du manga parce que tu es français ! ».
Lors de la drawing battle entre Hiro Mashima et Reno Lemaire, Mashima a dit que le système japonais était loin d’être parfait mais qu’il y avait certaines choses dont le manga français pouvait s’inspirer. Selon vous, qu’est-ce qu’elles pourraient vous apporter ?
GL : D’un point de vue strictement personnel, je pense que la prépublication est quelque chose qui pourrait marcher en France. Les systèmes éditoriaux français et japonais sont à mille lieux l’un de l’autre. Le principal problème du manga français, c’est que l’on est seul. Là, j’ai de la chance, j’ai une personne qui bosse avec moi. La cadence de production est un gros enjeu. En fait, on a tellement pris de retard sur la publication japonaise que l’on a été habitué à avoir son tome tous les deux, trois mois alors qu’au Japon, c’est comme nous, tous les cinq, six mois, suivant les séries. Et là, on arrive à épuisement. Par ailleurs, le statut de l’auteur au Japon n’est vraiment pas le même qu’en France. Eux, ils touchent une avance sur chaque page mais c’est presque du fixe et ensuite ils touchent des droits sur la prépublication, en fonction de leur classement. Oda, par exemple, c’est celui qui touche le plus. Ils encouragent donc les auteurs à se dépasser : plus tu es bien placé dans le classement, meilleur est le pourcentage. Et enfin, ils touchent leur part sur les bouquins reliés, et plus s’ils négocient bien. En France, on en est encore au système de l’avance sur droits, c’est à dire que c’est l’éditeur qui prend ta part d’auteur et à partir du moment où il s’est remboursé, tu peux avoir ta part de droit d’auteur qui est autour de 8%, divisée par le nombre d’auteurs qu’il y a. Maintenant, ce qui n’est pas bon non plus dans le manga, c’est le rythme effréné. Même si tu es bardé d’assistants – moi, je le vois en tant qu’auteur, il y a quand même un temps incompressible pour faire le story-board et ne serait-ce que les personnages et c’est chaud. Vingt pages par semaine, c’est très chaud.
SDS : En plus, Booksterz est un projet transmédias, puisque qu’il y a la partie animée. Et là encore, il y a de grandes différences entre le France et le Japon. Ici, on présente le projet à une chaîne, elle l’achète ou pas. L’aspect éditorial est au main de la chaîne qui est parfois loin des considérations de contraintes, voire même du public. Là-bas, le producteur achète un espace sur la chaîne, du coup ce n’est pas elle qui lui donne de l’argent mais lui qui donne de l’argent à la chaîne pour être diffusé. Mais au préalable, il aura passé des deals avec Bandaï, Namco ou encore Mc Do. Au Japon comme aux États-Unis, le manga et la japanimation sont considérés comme des biens de consommation et c’est parfaitement assumé. En France subsiste encore ce fantôme culturel qui est de dire que ce n’est pas bien de faire ça pour gagner de l’argent et ça se sent. Au Japon, ils sont obligés d’en faire des caisses en termes de produits dérivés pour rentabiliser la série et peut-être gagner de l’argent. Il y a plein de bonnes choses dans notre système, mais ce que personnellement j’envierai aux japonais, c’est cette franchise de dire : « on fait du business ».
En termes d’éditeur, vous êtes passés d’Ankama pour City Hall, à Kana pour Booksterz. Comment cela s’est-il passé ? Pourquoi cet éditeur ?
GL : Les ressources chez Ankama sont à 100% pour Dofus, ce qui est normal, c’est leur bébé. Et le manque de disponibilité par rapport à Booksterz, qui est un projet transmédias, fait qu’on aurait souffert du manque de moyens. Du coup, Kana était partant pour accueillir ce type de licence, donc on ne s’est pas posés de question. C’est une grande maison.
SDS : Kana n’est que la partie émergée de l’iceberg puisque l’éditeur fait partie d’un grand groupe dans lequel on retrouve Dargaud, Lombard, Dupuis. Bref, c’est un gros truc. Donc c’est un peu l’endroit idéal pour lancer une licence transmédias comme celle-ci.
Pourquoi avoir choisi un tel méchant pour votre récit ?
SDS : C’est tout simplement le personnage machiavélique par excellence, le renard du Roman de Renard. Pour moi, c’est vraiment un génie du mal, un personnage 100% négatif. Dans le contexte, il nous fallait vraiment un personnage qui refuse de se laisser domestiquer par un bookmaster. Du coup, il est venu assez naturellement. C’est vraiment le gros méchant de notre premier arc et je crois d’ailleurs que c’est le personnage que Guillaume a eu le plus de mal à faire.
GL : Il est passé par beaucoup de formes. J’avais pensé à un mec en armure, visuellement imposant et puis en fait, c’est un des personnages les plus discrets, graphiquement parlant.
Pour City Hall, vous connaissiez la fin dès le départ, est-ce la même chose pour ce titre ?
GL : Je l’ai appris hier.
SDS : Les trois premiers tomes sont écrits. Du coup, la fin du premier arc, oui. En ce qui concerne la fin de l’histoire, à vrai dire, non. On connaît l’objectif de Soul qui est de gagner le tournoi pour retrouver ses parents et ce sera développé dans le second arc. Maintenant, on ne sait pas comment il va l’atteindre.
Dernière question bonus ! Si vous pouviez posséder un Codex, lequel serait-ce ?
GL : La biographie de Metallica (rires). Pour invoquer James !
SDS : Pour moi, ce serait Le Magicien d’Oz.
GL : Bon, en vrai, ce serait L’Île aux trésors, pour avoir un bateau plein à ras bord de pirates.
Pour ma part, ce serait Le Seigneur des anneaux.
SDS : Oui, mais le problème avec Booksterz, c’est que l’on ne se concentre que sur les ouvrages libres de droit. Donc la vie de Rika Zaraï, non, et la biographie de Metallica, pas encore (rires).
GL : Et heureusement, Twilight, non plus (rires).
Merci beaucoup à vous deux !