Je suis Stan Lee : démons et Marvel

Je suis Stan Lee : démons et Marvel

Note de l'auteur

Omniprésent, omnipotent, demi-dieu, bâtisseur d’univers, scénariste pourvu de ses zones d’ombre : on ne présente plus Stan Lee. Mais on peut (re)découvrir ses grandes créations historiques, et quelques récits moins connus, grâce à cette anthologie parue chez nous peu de temps après sa mort.

Le livre : Stan Lee, cœur battant de Marvel, parrain des comics de la Maison des idées, lui-même producteur d’idées en bataille : sa maison d’édition revisite ici ses grands récits et ses créations séminales, des Quatre Fantastiques à Thor, en passant par sa rencontre avec Spidey lui-même. Panini Comics émaille ces récits de petites introductions souvent bien vues (parfois plus anecdotiques) sur la vie et l’œuvre de “Stan the Man”.

Mon avis : En quelques années au début des Sixties, Stan Lee a transfiguré Marvel. Son idée maîtresse ? Allier le fantastique des voyages spatio-temporels au drame urbain du combat contre le crime, en faisant cohabiter l’émoi du soap-opera avec l’action des confrontations entre héros et criminels, répond la préface de ce beau volume de 320 pages.

En 1961 débute l’ère des Quatre Fantastiques et, avec eux, des premiers super-héros avec des failles, des problèmes du “quotidien” (ceux d’une famille dysfonctionnelle). Lee y mélange les genres dans une même histoire (romance, humour, aventure, fantastique) et développe une façon de s’adresser directement au lecteur, de le flatter… Il noue un dialogue avec le lecteur, ouvre les portes de la “cuisine interne” de Marvel, donne des surnoms à ses collaborateurs et créera même le club des fans de Marvel. Dès 1962, Lee impose de mentionner les noms des dessinateurs, encreurs, lettreurs, etc., sur la première page, à une époque où le dessinateur n’était pratiquement jamais nommé (au mieux, il glissait sa signature ici ou là).

Spider-Man incarnera le premier super-héros adolescent. Le caractère hautement introspectif du dessinateur, Steve Ditko, ajoutera une vraie dimension au récit, mêlant un aspect souvent émouvant à de vraies angoisses (adolescentes).

Les X-Men, quant à eux, voient leurs pouvoirs découler d’un hasard génétique (lié au début à la peur du nucléaire). Les mutations interviennent à l’adolescence (encore elle). Tout le débat, interne au récit même, sur la façon d’envisager la différence, s’incarne dans l’opposition entre Xavier et Magneto, avec un parallèle évident qui se crée avec les vues divergentes d’un Martin Luther King et d’un Malcolm X. Cette série donne par ailleurs l’occasion à Jack Kirby de s’offrir quelques cases absolument magnifiques, telle la case ci-dessus, où un Angel emprisonné dans des morceaux de métal devient une œuvre d’art abstraite. Ou encore celle où l’on voit un Captain America en plein réveil lutter contre les Avengers (ci-dessous).

Avec Thor, Stan Lee franchit une nouvelle étape. Comment renouveler son approche des super-héros, un univers déjà bien encombré ? Comme aller plus loin quand on a déjà révolutionné le genre avec des super-héros très humains ? En créant un super-dieu… tout en lui adjoignant une faiblesse capitale. En effet, Thor doit partager son existence corporelle avec le Dr Blake (qui boîte et doit se servir d’une canne), ainsi qu’un même amour impossible pour l’infirmière Jane Foster.

Chez Lee, le tragique côtoie souvent le comique. Prenez la Chose, le seul Fantastique des Quatre dont le corps ait été affecté (et déformé) de façon permanente et irrémédiable par les rayons cosmiques. Voici un personnage pleinement tragique, un homme qui a perdu toute humanité dans son apparence physique, mais ni ses émotions ni son esprit. Ni son humour ni sa verve, d’ailleurs, ce qui donne souvent lieu à des dialogues des plus savoureux. Les 4F sont à nouveau l’occasion, pour Kirby, de faire exploser son talent, comme dans ce moment où Mr Fantastic, la Torche et la Chose emprunte le passage vers la zone négative (ci-dessous).

Bien entendu, les scénarios de Lee ne seraient rien sans le talent de ses dessinateurs. Une question souvent chahutée, comme pour Alan Moore, autre immense scénariste dans l’Éternel. Ceci étant dit, celui-ci regrette que l’on parle trop souvent des « comics d’Alan Moore », alors que Stan Lee a toujours assumé sa propre vision des choses : c’est celui qui a l’idée (en l’occurrence, lui) qui a la paternité de la création des personnages. À l’inverse, Steve Ditko défendait l’idée selon laquelle une idée de BD n’ayant pas d’existence tant qu’elle n’est pas concrétisée par un dessinateur (et un encreur, un coloriste, etc.), le dessinateur et le scénariste ont de facto une position de cocréateurs. Un débat non tranché.

Le propos de ce recueil n’est évidemment pas d’entrer dans l’arène des conflits qui entourent Marvel, les contrats avec les artistes, les ruptures éventuelles… Il y aurait beaucoup à en dire – et la biographie d’Alan Moore récemment publiée par Hachette Heroes aborde très largement cette problématique. On y découvre au passage les propos peu amènes de Moore à propos de Lee, et sur l’effet finalement délétère que la longévité de celui-ci a eu sur les comics publiés par Marvel (et sur l’industrie en général, vu le poids économique de la Maison des idées).

En accompagnement : Pour un soupçon de nostalgie, et en mémoire d’un Stan Lee décédé le 12 novembre 2018, on réécoutera la BO de Hulk, la série télé iconique avec Bill Bixby, dont le thème déprimant a été composé par Joe Harnell.

Si vous aimez : Les anthos qui jettent de façon transversale un œil dans le rétro. Comme, tout récemment encore, le recueil Les Grandes Batailles, mais aussi le X-Men: Grand design d’Ed Piskor, qui revisite dans un style très “Daniel Clowes” toute l’histoire des X-Men.

Je suis Stan Lee
Récits écrits par
Stan Lee
Dessinés par Jack Kirby, Steve Ditko, Gene Colan, John Buscema, etc.
Introductions par Marco M. Lupoi, Giuseppe Guidi, Carlos del Grande, Simon Bisi, etc.
Édité par Panini Comics

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