
Marvel’s Jessica Jones – (Critique de 1.01 à 1.07)
En avril 2015, Netflix marquait un grand coup en adaptant les aventures de l’homme sans peur, Daredevil. Et si le justicier de Hell’s Kitchen bénéficiait déjà d’une attente palpable, c’est surtout que ce dernier était déjà auréolé d’une connaissance certaine du grand public. Alors, quand le network programme son deuxième volet urbain avec une quasi-inconnue comme Jessica Jones, forcément, le choix intrigue. Sans compter qu’après le tour de force accompli pour Matt Murdock et son avatar, nous ne pouvions qu’être forcément très curieux du traitement qu’allait subir la demoiselle.
Mais d’emblée, coupons court à toute comparaison entre les deux personnages. Jessica Jones ne doit surtout pas être considérée comme un Daredevil conjugué au féminin, ce serait faire fausse route sur son héroïne et sur ce qui la caractérise. Si on y conserve toutefois une noirceur proportionnelle, voire plus intense car plus anxiogène, son approche est résolument différente, pour ne pas dire complètement opposée. Là où Matt Murdock sait être sociable tout en sachant s’entourer, Jessica, par la force des choses et par son caractère bien trempé, évite au maximum le contact d’autrui. Là où la violence du diable rouge explose régulièrement à l’écran, celle qui gravite autour de la jeune femme tient plus du sadisme psychologique que de la cruauté physique. De même, il ne s’agit plus, tout du moins pour l’instant, de défendre le quartier de Hell’s Kitchen de la criminalité qui la gangrène mais tout simplement pour Jessica, de survivre après un traumatisme important qui l’oppresse en permanence. Et si ce sont les désirs de justice qui nourrissent les motivations de Daredevil, ce ne sont que la douleur et la vengeance qui régissent avant tout la vie de cette dernière.
Tiré de l’excellent comics intitulé Alias de Brian M. Bendis et Michael Gaydos, Jessica Jones dépeint une jeune femme perturbée, qui peine à lutter contre un passé qui ne cesse de se manifester à elle. Alcoolique, écorchée vive, et sarcastique dans ses meilleurs moments, Jessica rassemble en son sein un nombre d’éléments qui n’inspire pas la sympathie de prime abord mais dont la souffrance, teintée d’un humour grinçant et bienvenu, nous engage paradoxalement à une empathie certaine à son égard. Dirigeant seule l’agence Alias Investigations, Jessica est une détective privée qui porte un regard cynique et désabusé sur la nature humaine. Traînant une très courte carrière de super-héroïne qui s’est aussi vite éteinte qu’elle n’a commencé, la jeune femme n’en reste pas moins pugnace et d’une grande détermination malgré ce qui l’accable. Voix off de circonstance, Jessica transporte en elle une figure féminine anti-héroïque puissante, associée à celle d’une femme angoissée et meurtrie. Le personnage est magnifiquement porté par l’incroyable justesse de Krysten Ritter. Oscillant entre sa désinvolture pleine d’ironie ou totalement désarmante dans sa détresse, la comédienne porte sur ses frêles épaules une sensibilité à fleur de peau. Détenant une force physique très supérieure à la moyenne, cet excédent de puissance est d’ailleurs rarement porté de manière trop visible à l’écran. Il s’agit plutôt de marquer un peu plus une retenue que Jessica arbore déjà en tant que personnage, dans le sens où elle ne s’expose que peu ou pas du tout aux autres. Et elle n’est pas la seule dans ce cas…
Jessica Jones ne nous propose donc pas vraiment une série super-héroïque de plus, et à peine héroïque tout court pour le moment. Comme dit précédemment, elle n’est pas, n’est plus, une justicière, même si sa volonté de faire le bien continue de demeurer en elle. D’une certaine manière, la série de Melissa Rosenberg cherche à être abordable pour quiconque, au travers d’une identification immédiate au vu des ennuis et des défauts qui composent la vie rapiécée de la détective.
Tapie derrière son héroïne, la série mixe les personnages secondaires entre le chaud et le froid. Elle demande de la patience, souvent récompensée, pour comprendre mieux l’intérêt de certains d’entre eux, même si on continue à s’interroger sur l’apport de la froide Jeryn Hogarth (Carrie-Anne Moss) qui ne dévoile que très peu d’amplitude scénaristique avec un rôle ici presque accessoire. A contrario, Trish Walker (Rachael Taylor) contraste magnifiquement, tel un pendant lumineux face à une Jessica Jones plus austère, et amie d’enfance de surcroit. Jouant plusieurs casquettes et tonalités diverses au gré du récit, elle développe un pan important à leur amitié difficile et à leur passé respectif. Les lecteurs de comics plus pointus découvriront au travers de Trish plus qu’une simple sidekick en devenir, astucieusement camouflée par la production jusqu’à un certain épisode qui en mettra certains d’entre vous sur la voie…
Mais le morceau de choix revient presque comme une évidence à Mike Colter. Incarnant un Luke Cage absolument saisissant, ses premiers pas tumultueux (et sulfureux !) aux côtés de la détective, bénéficie déjà d’une gravité certaine. Indubitablement, le personnage en impose. Par sa force tranquille et sa colère sous-jacente, le futur defender se marie parfaitement à l’univers de celui de Jessica Jones. Bien loin de ne présenter que la prochaine itération urbaine de Netflix, la contribution à sa présence dans la série procure une plus-value indéniable, ne laissant présager que du meilleur pour son traitement futur.
Par contre, esquisser la prestation de David Tennant, attendu comme le Messie des vilains marveliens, relève d’une gageure. Endossant la peau du terrifiant Kilgrave, et responsable de la vie détruite de Jessica, l’acteur s’approprie une composition angoissante aux allures de légende urbaine. Si sa prestation ne se dévoile que par truchements durant cette première demi-saison, elle sait en tirer parti avec beaucoup d’intelligence pour y nourrir la terreur qu’inspire le personnage due à sa capacité à contrôler les esprits. Chaque fois plus intrusive et plus menaçante, toute divulgation qu’on laisse planer à son sujet intronise encore et toujours son omniprésence, que ce soit dans l’âme tourmentée de sa victime ou que celle-ci soit bien ancrée dans le monde réel. On s’arrêtera là pour vous laisser seul juge. Mais indéniablement, le comédien justifie, en une poignée d’épisodes, toute l’attente qu’il génère depuis que sa participation au projet a été annoncée.
Concernant l’aspect formel, Jessica Jones propose avec finesse et ingéniosité une vision très tranchée de son univers. Si sa vie se déroule régulièrement en plein jour, son monde intérieur lui, embrasse l’obscurité et ses démons qui s’y reflètent. La série adopte dès lors une alternance entre séquences claustrophobiques et scènes plus posées, dans laquelle la paranoïa n’est jamais bien loin de ressurgir. Qui plus est, si l’univers urbain de Marvel se pare de sa noirceur usuelle, Melissa Rosenberg crée avec Jessica Jones une nuance dans cette obscurité. Plus intimiste, plus psychologique, plus… privée en fin de compte. A l’image de son métier et de la mise à nue perpétuelle de cette héroïne par son pire ennemi, nous découvrons un peu plus chaque facette de ce diamant brut(e) qu’est la jeune femme. D’ailleurs, les déambulations de cette dernière nous laissent admirer une plus grande richesse dans les extérieurs, nous laissant entrevoir New York avec plus d’appétence que ne le faisait Daredevil, et surtout, avec plus de vie en son sein. Les notes jazzy aux relents dignes d’un polar de Raymond Chandler, couplés aux transitions sonores plus abruptes de peur-panique de Jessica, provoque un melting-pot musical fort réussi, à l’image de son agréable générique renvoyant à la tonalité voyeuriste de la série.
En revanche, l’action dans la série est minimaliste au possible, mais surtout, laisse circonspect dans son traitement. Que la série narre avant tout un récit, où la paranoïa et le tragique en soient les fers de lance, ne doit pas l’empêcher pour autant de soigner ses effets quand des rebondissements plus physiques sont nécessaires. Et avec la personnalité opiniâtre et un brin badass comme celle de Jessica, on aurait apprécié, même brièvement, un semblant d’audace graphique lorsqu’elle se jette dans la bagarre. Même si Krysten Ritter occupe l’espace comme personne par sa présence, elle en devient presque famélique quand il s’agit de s’y débattre. A la moitié de la saison, le petit frisson épique que l’on attend un tant soi peu pointe donc presque toujours aux abonnés absents. Mais bien heureusement, ce que perd Jessica Jones en action, elle le gagne ostensiblement dans l’épaisseur de son récit, qui est avant tout un drame psychologique très adulte.
C’est d’ailleurs la force première de cette seconde série Marvel chez Netflix. Elle réside avant tout dans la maturité de son écriture et de son ambiance. Si sa formidable anti-héroïne brisée en est sa meilleure représentation, la cruauté qui l’entoure en est son meilleur compagnon. Reprenant la codification du genre noir et hardboiled dans lequel le genre du détective privé y est parfaitement représenté, Jessica Jones dévoile une brutalité d’une autre nature. Plus vile. Plus sourde. Plus désespérée. La narration de la série arbore une dramaturgie érigée sous l’autel du suspens, façonnée par une psychose régulière où le danger pour autrui peut surgir à n’importe quel moment. Ici, contraintes et sévices psychologiques jouent donc un rôle déterminant dans cet aspect aux allures de paranoïa grandissante. Installant une claustrophobie partielle mais toujours prégnante, l’univers de Jessica Jones exploite une maturité au travers d’une violence différente et surprenante dans son traitement.
Un autre aspect chez Marvel Studios, inconnu depuis son existence et qui mérite voix au chapitre dans cette série est la sexualité des personnages. Pas d’ambiguïté à ce sujet, ces derniers apprécient les joies de la chair et nous le font savoir. Leurs relations y sont plus qu’explicites, leurs positions aussi, et ils savent même apporter une touche amusante dans leurs ébats, au vu de leurs pouvoirs respectifs. De même, si Agents of Shield ouvrait le bal cette saison avec un homosexuel ouvertement assumé, Jessica Jones emploie de son côté un couple lesbien à l’entreprise. Bien que peu utile à l’intrigue pour le moment, on ne pourra qu’apprécier la démarche du studio à franchir doucement mais sûrement une étape supplémentaire à écarter les oreilles de Mickey qui leur servent d’œillères.
Notons que les lecteurs apprécieront à ne pas en douter la transposition du comics qui a gardé, avec le plus de fidélité possible, son essence. Si nombre de super-héros gravitent dans l’œuvre originelle, Jessica s’étant spécialisée dans les enquêtes concernant ces derniers, ceux-ci sont bien évidemment absents dans la série. Nous n’en perdons pas pour autant le propos caustique et traumatisé du personnage, qui se (dé)bat comme il peut pour retrouver un sens à son existence brisée. La différence résidant surtout sur l’intronisation de Kilgrave, présentant la problématique pour l’héroïne dès le pilote, alors qu’il en est absolument tout autre dans le comics. Et quant à la nature de ses pouvoirs, elle semble différente là aussi…
Dans un tout autre sujet, on appréciera aussi la franche connexion à l’univers partagé de Marvel. Bien plus assumée et établie que dans la série Daredevil, qui semblait éludée la question avec des airs de faux-fuyants, Jessica Jones interpelle en fondant avec subtilité son propre monde dans lequel les super-héros gravitent. La série rappelle aussi clairement que des gens dotés de pouvoirs existent sur la planète, solidifiant un peu plus cet aspect, et qu’ils ne sont pas forcément pour autant bien considérés depuis la destruction de New York. Peut-être une direction implicite à peine voilée menant à Captain America Civil War ? On en conviendra sans problèmes. En tout cas, voilà une imbrication qui ne dessert en rien l’univers urbain de Marvel mais qui lui donne au contraire plus de corps, plus de continuité globale dans un monde sans cesse grandissant.
Là où les derniers films Marvel tels que Ant-Man et Avengers l’Ere d’Ultron s’enlisaient dans une standardisation saumâtre, les séries télévisuelles, elles, de leur côté, gagnent une ambition et une maturité absolument indéniable. Jessica Jones le prouve ici une fois encore, grâce à son univers foncièrement captivant, malgré quelques écueils dans l’action ou des personnages qui tardent à montrer une certaine consistance. Il n’empêche, Krysten Ritter étreint l’écran avec une telle force, que l’on retiendra surtout sa prestation de femme tourmentée mais jamais abattue, portée avec maestria par une Melissa Rosenberg à son meilleur niveau. Le reste de la saison nous confirmera, ou non, si Jessica Jones tiendra la cadence et pour l’instant, on a très envie d’y croire…
Excellente chronique.
Trés impatient de voir ça, tu m’as mis l’eau à la bouche, notamment en évoquant la bande son…En espérant que l’action se débride sur la seconde moitié, avec pourquoi pas un finish épique (pour rattraper DD^^)
Pour « Trish » Walker, il semble que le spoil ait fait son bonhomme de chemin sur le web…
Merci Piotr ! Je n’étais pas au courant que le spoil avait autant coulé pour Trish, mais au moins, la référence ne sera pas évidente pour les lecteurs occasionnels, c’est le principal.
J’ai vu les 5 premiers épisodes et comment le dire sans passer pour un troll des cavernes… Je m’emmerde garve.
Le premier épisode était jusque-là le plus intéressant. Il y avait une vraie tension psychologique. Rien d’étouffant non plus. La sexualité frontale non esthétisée apportait à la série un traitement non adolescent du sujet. Disonsque le traitement plus adulte et la caractérisation psychologique de l’héroïne permettait de mettre de côté les faiblesses du reste; les super pouvoirs mis en scènes n’importe comment et les scénes d’action aussi courtes que ridicules.
Mais bon, dés le second épisode, Kilgrave débarque et l’ennui avec lui. A la base je ne suis pas un fan de David Tennant, ni en tant que Docteur Qui, ni dans Broadchurch, ni en tant que Kilgrave. Je ne le trouve pas charismatique pour un sous. Kilgrave est censé représenter une menace de tous les instants et une forme de terreur pour Jessica Jones. Je trouve que ça ne fonctionne plus dés que le méchant est à l’image. Alors que dans les flshbacks de l’héroïne dans le premier épisode, si. Je pense qu’il aurait pu être en toile de fond pendant une bonne partie de la série ce qui aurait été bien plus efficace.
La relation Luke Cage/Jessica Jones est digne d’un soap et sans enjeu vu que si on connait le comic book ou qu’on cherche sur le Web, on sait qu’ils vont être ensemble. A moins que le traitement de la relation soit différent dans cette adaptation, ce qui serait vraiment surprenant du coup.
Pour le reste, j’ai trouvé la photo passe-partout, la mise en scène série télé – sans personnalité – les scènes d’action mal filmées, mal montées et très courte. A côté, dans la série The player les fights sont épiques.
Et, pour moi, Krysten Ritter ne convient pas. Ce n’est pas en tant qu’actrice qu’il y a un problème, c’est ce qu’en ont fait les auteurs de la série. Qu’elle soit alcoolique, très bien, mais qu’au moins ça serve à quelque chose dans l’histoire. Elle porte toujours les mêmes fringues et ne se lave pratiquement pas. Très bien, le personnage semble être une sorte de représentation anti-féminine. Mais au contraire là non plus ça ne semble pas avoir d’intérêt dans l’histoire. Elle devrait ressembler à une fille pas propre sur elle mais ce n’est pas le cas. Pourquoi la représenter de cette façon dans ce cas ?
Pour finir, les super pouvoirs…
Comment dire ?
C’est pathétique. Du coup on ne comprend pas bien quelles sont ses capacités vu que dans la moindre série d’action le moindre héros ‘normal’ semble avoir plus de capacités qu’elle. On ne la voit pas sauter, on la voit décoller et atterrir. Elle pousse un mec, défonce des portes, décolle l’arrière d’une voiture, c’est non spectaculaire au possible. Je ne comprends pas bien le but.
Jessica Jones aurait pu être une série sur une femme détective ‘normale’ maîtrisant un art martial de type boxe de rue, traumatisée par un viol, solitaire, alcoolique et mysanthrope au style de vie pas très safe. Ça aurait été plus intéressant, pas la peine d’y ajouter des pouvoirs, une mythologie Marvelienne en décor de fond et des ramifications avec les Avengers.
Je vais continuer à regarder par curiosité, comme Daredevil que j’ai trouvé aussi ennuyeux, pour voir comment Jessica Jones va se connecter avec les Defenders.
Jessica Jones est une jolie réussite d’héroïsme urbain , loin d’AoS et des super heros. J’ai bien apprécié l’ensemble mis à part quelques raccourcis (sevrage en 1 jour, …) mais c’est surtout le jeu de chat et la souris entre Jones et kilgrave qui m’a le plus tenu en haleine tout au long. Apres j’ai aussi apprécié le fait que chaque personnage n’est ni blanc ou noir mais gris , les faces cachées, les secrets qui se dévoilent et qui sont capables contraster l’ensemble. En fin de compte la serie ne mise pas tout sur Jessica Jones mais sur les sidekicks , même si leurs motivations restent toujours un peu un mystère voire carrément un obstacle au dénouement attendu.
J’ai pu lire que certains regrettaient le côté épique des combats, mais dans un sens je trouve au contraire qu’ils soulignent une certaine normalité. On est pas dans l’univers de super hero, mais des humains améliorés. La ou AOS montre une surenchère de pouvoir, on est plus dans la discrétion , l’intimité et définition du hero que du super hero.