
#Critique Johnny Thunders – I Think I Got This Covered
Il y a vingt cinq ans s’éteignait Johnny Thunders dans une chambre d’hôtel pourrie de la Nouvelle-Orléans. Overdose qu’ils ont dit, alors que le bonhomme était désintoxiqué depuis un bail… Mais que voulez-vous, on ne va quand même pas se fouler pour enquêter sur la mort d’un vieux punk new-yorkais. Oui madame, un punk ! Même que sans ce genre de racaille, cette musique de sauvages n’aurait sans doute jamais vu le jour ! Pauvre Johnny… Alors que paraît cette petite collection de reprises sous le titre I Think I Got This Covered, il était grand temps de rendre hommage à l’un des héros les plus méconnus du rock’n’roll. Tout simplement.
En règle générale, lorsqu’on balance le mot punk dans une conversation, l’image qui s’y attache est souvent la même… Une crête d’iroquois sur la tête, des fringues déchirées, souvent crades, une épingle à nourrice en guise de boucle d’oreille, des Doc Martens aux pieds, mesdames et messieurs, laissez-moi vous présenter le punk anglais de la fin des années 70 ! Pas encore affublé d’un chien et d’un fond de cannette de Kro découpé pour faire la manche comme dans sa déclinaison française, le punk en général est une sorte d’épouvantail à personnes âgées, caricature du marginal qui rejette la société de consommation parce que c’est caca (ou ça demande trop d’efforts) mais par contre, « t’as pas cent balles ? »

Johnny Rotten et Malcolm McLaren
Rendons à César ce qui appartient à Jules, cette image du punk n’est pas apparue d’elle-même au coin de Carnaby Street ou de King’s Road, elle est née en partie du cerveau génial et retors de Malcolm McLaren, resté dans l’histoire, entre autres, pour avoir créé de toutes pièces les Sex Pistols. Il serait exagéré de dire que le groupe de Johnny Rotten fut inventé dans le seul but de faire vendre des fringues dans la boutique du sieur McLaren (incidemment nommée SEX), car ce dernier croyait sincèrement qu’il était temps de donner un bon coup de pied à la culture hippie désormais à des kilomètres des aspirations de la jeunesse. De là à prévoir que Never Mind The Bollocks, seul véritable album des Sex Pistols se révélerait être l’un des dix meilleurs albums de rock’n’roll de tous les temps…
Et du coup, raccourci facile, le punk c’est anglais et ça commence à Londres en 1977 lorsque paraît le fameux disque à la couverture jaune poussin (ou verte et rose fluo selon les éditions de l’époque). Sauf que rien n’est moins vrai. Car avant de réunir son boy’s band déviant, Malcolm McLaren vivait à New York où il s’était occupé dès 1974 de la carrière d’une autre bande de repoussoirs à grands-mères, les New York Dolls, dont faisait partie un guitariste au charisme très particulier, Johnny Thunders. Nous y sommes.

New York Dolls avec Johnny Thunders
Car en effet, le punk rock, c’est au départ une affaire américaine… Des Ramones à Television en passant par les pionniers du garage rock qu’étaient le MC5 et les Stooges, les premiers à avoir lancé le truc sont des enfants de l’Oncle Sam. Et au sein de la meute, Johnny Thunders occupe une place particulière. Par ses qualités de musicien pour commencer, aux antipodes des icônes du genre comme Sid Vicious par exemple, incapable de tenir une ligne de basse correcte. Johnny Thunders puisait son inspiration dans un rock’n’roll primal, hérité des fifties fondatrices, auquel il apportait une rudesse, une urgence et une énergie qui deviendra la marque de fabrique du punk par la suite.

L.A.M.F. (1977), chef d’oeuvre ultime
Mais chez lui, point de rejet pathologique du passé. Son idole et modèle de toujours tant musicalement que physiquement reste Keith Richards, pas mal pour un mec appartenant à un mouvement supposé enterrer les grandes figures de la génération précédente ! Comme le disait le journaliste Patrick Eudeline, fameux chroniqueur gonzo officiant aujourd’hui chez nos confrères de Rock & Folk et ancien acteur du milieu punk français à la grande époque, « Johnny fut le gourou du renouveau du rock and roll, celui qui dès 72 redécouvrit Shangri-las comme guitares Gretsch, il est désormais le tenant du titre, étant le rock de toujours sans parodier celui d’hier (…) Johnny a reçu le grâce. Quoi qu’il fasse. (…) Il est de ceux qui n’ont pas besoin de la caution des hits ou du succès pour savoir qu’ils sont des stars. Qu’ils sont le rock. Qu’ils sont comme ça. »
Johnny Thunders était le rock en effet, dans tout ce qu’il a de plus sincère, de plus naïf même, et cet album I Think I Got This Covered en est une parfaite illustration. Ces dix-sept reprises enregistrées en live pendant sa tournée japonaise de 1991, à l’exception d’une poignée de titres capturés au mythique Roxy (Los Angeles) en janvier 1987, en disent long sur l’ancrage du musicien dans les années 50/60, son cœur balançant entre les premiers frémissements du rock’n’roll, la soul music et le surf rock.

So Alone (1978)
Mais au-delà de la qualité des morceaux choisis, c’est avant tout leur interprétation qui donne à ces chansons déjà familières une couleur unique, terriblement vivante, une spontanéité matérialisée par la rudesse du jeu de guitare et la voix presque désabusée de Thunders qui a toujours l’air de ne pas être concerné par ce qui arrive. Alors que, bien évidemment, c’est tout le contraire.
Du medley Louie Louie / Hang On Sloopy revitalisé par un parfum de décadence au Gloria (Them) déjà vampirisé par Patti Smith (grande copine de l’ami Johnny) qui trouve ici une version encore plus suintante de vérité, en passant par l’incroyable In the Midnight Hour de Wilson Pickett qui voit sa charge sexuelle boostée jusqu’aux limites de la décence, chaque titre apporte son lot de fraîcheur et de renouveau. Et que dire de la version de Play with Fire des Rolling Stones proposée ici dépouillée de tout artifice, comme le bonhomme pouvait l’être face à ses démons ?
Car des démons, Johnny Thunders en avait à foison. La poudre, la picole, la solitude (si son premier album solo s’intitule So Alone, ce n’est pas un hasard), autant de suspects habituels qui le conduiront à sa perte dans une chambre anonyme du quartier français de la Nouvelle-Orléans le 23 avril 1991. Overdose ? Meurtre ? Personne ne le saura jamais car la police locale s’en lava les mains. Un junkie de moins dans la nature, affaire classée.
You Can’t Put Your Arms around a Memory chantait Johnny Thunders, et c’est la triste vérité, mais s’il est impossible de serrer l’homme dans nos bras aujourd’hui, son souvenir reste bien vivant lui, au travers d’une poignée d’albums tutoyant le génie. Ainsi, on serait bien avisé de redécouvrir l’immense album qu’il enregistra avec les Heartbreakers, L.A.M.F., chef-d’œuvre fondateur du punk rock qui ne laissera personne indifférent, ainsi que le So Alone cité plus haut, fourre-tout étourdissant réalisé en collaboration avec Phil Lynott (Thin Lizzy), Chrissie Hynde (The Pretenders), Steve Marriott (Humble Pie), Paul Cook et Steve Jones (Sex Pistols) entre autres, excusez du peu !
Ainsi, ce I Think I Got This Covered pourra servir de porte d’entrée dans l’univers d’un musicien d’exception, un ange noir touché par une grâce dangereuse qui lui aura brûlé les ailes mais qui laisse dans son sillage un héritage qu’il est urgent de s’approprier. Johnny Be Goode, indeed!