
Justified, Lost in Transition (bilan de la saison 5)
L’avant-dernière saison de Justified vient de tirer sa révérence dans la nuit de mardi à mercredi. L’arche ouverte au premier épisode, concernant la famille Crowe, s’est close. Une autre s’est ouverte, pour préparer la saison 6, avec une opposition qu’on attend depuis la fin de la saison 1.
Ava est en prison. Boyd veut l’en faire sortir, tout en construisant un empire de trafic de drogue. Raylan subit le contre-coup de l’affaire Drew Thompson et surtout du final de la saison qui l’avait vu s’allier avec la mafia de Detroit afin d’éliminer Nicky Augustine, qui présentait une menace réelle pour Raylan et Winona. Une Winona partie en Floride avec leur fille. Et pendant ce temps-là, les cousins de Dewey Crowe décident de venir à Harlan pour faire fortune…
Une saison 5 finie, et une saison 5 mal-aimée. Pourquoi ? Est-elle moins cool ? Non, absolument pas. Boyd Crowder et Raylan Givens sont toujours les personnages les plus cools de la télévision. Raylan avec sa sécheresse et sa façon très « directe » de deviser avec les malfrats. Qu’il se révèle aux yeux de Darryl Crowe Jr, pivotant sur un tabouret de bar et sortant son arme en lâchant, calmement « I am Boyd Crowder », ou qu’il expédie un paquet de cigarette à Mr Picker, Boyd Crowder est charismatique en diable.
Etait-elle moins drôle ? Non, car la famille Crowe est un repaire de demeurés vaguement éclairés. La plus intelligente de la bande, c’est Wendy Crowe. Ensuite vient Darryl, brute avec une cervelle de taille moyenne. Puis vient Danny, encore plus brute, avec moins de cerveau, qui nous a fait hurler de rire avec sa « règle des 21 pieds ». Puis on boucle par le pauvre Dewey Crowe, pour qui l’expression « bercé trop près du mur » a dû être inventée. Un sacré paquet de raison de rire un bon coup.
A-t-on été moins ému ? C’est débattable. Le couple que forme Raylan Givens et l’agent des services sociaux Alison Brander a eu de beaux moments. Quand à Boyd et Ava, les difficultés qu’ils rencontrent cette saison aura plongé Boyd dans le désespoir le plus total. Et ne parlons pas d’Art, qui a enchaîné la pire déception de sa vie avec Raylan (qu’il considère à demi-mots comme son fils, sinon comment pourrait-il le supporter au quotidien ?) et dont la vie sera sérieusement mise en danger.
Était-ce moins éprouvant pour les nerfs ? C’est peut-être là le cœur du problème. Les Crowes n’ont jamais été en mesure d’être des adversaires dangereux pour Givens et le corps des Marshall. Le conflit Crowe-Givens n’aura été que trop souvent larvé, et se sera résolu un peu trop facilement. Les seuls à avoir craint quelque chose cette année, c’est d’abord Boyd, qui avait vu beaucoup trop grand en se mettant au trafic d’héroïne avec des gangsters mexicains ; puis Ava, qui aura risqué sa vie en prison.
Au-delà de tout ça, la saison 5 souffre d’un problème majeur, presque inévitable, c’est de se retrouver coincée entre une saison 4 maîtrisée de bout en bout, modèle du genre feuilletonnant et une saison 6 qui va enfin montrer Raylan Givens s’opposer directement à Boyd Crowder. Elle se retrouve affublée de la pire désignation qu’on puisse faire d’un ouvrage ou d’une période de vie : transition.
Graham Yost et compagnie ont décidé de clore au terme de la 6e saison. D’abord parce qu’ils imaginent que c’est une belle vie pour une série. Ensuite parce que Justified n’a jamais été planifiée. Aux débuts de la série, il était prévu que Boyd Crowder meure dans le pilote, avant de se transformer en cet antagoniste fabuleux qu’il est aujourd’hui. La saison 1 était, pour sa première moitié, un pur procédural. Chaque saison a été abordée individuellement sur le mode « que raconte-t-on cette année ? ».
Justified reste la preuve que sans direction générale à grande échelle, une série peut être malgré tout fabuleuse. Que l’écriture « au jour le jour » n’a pas que des défauts. Que le talent et le travail seuls permettent de maintenir une cohérence narrative et stylistique. Cette saison a un peu moins fonctionnée que les autres faute d’un antagoniste captivant, certes, mais elle aura mené à un final irréprochable en tous points. La résolution du problème Crowe aura été d’une rare cruauté, avec Raylan Givens dans le rôle du tortionnaire.
Un final qui, l’air de rien, donne l’impression de vouloir inverser les dynamiques dans la série. Jusqu’ici il était acquis que le pourri, c’est Boyd Crowder. Le vertueux, c’est Raylan Givens. Mais ce dont se rend coupable Givens au terme de la saison, à trois reprises (d’abord risquer la vie d’un enfant de 12 ans, puis de Wendy Crowe, puis d’Ava Crowder), semble le faire basculer. A l’opposé, Boyd Crowder semble rincé, exténué, et on lui souhaite de trouver le repos et la rédemption. Son amour pour Ava nous a ému, il s’est humanisé sous nos yeux.
Boyd et Raylan sont les deux faces d’une même pièce. Tous les deux « formattés » par leur contexte familial. Aujourd’hui, la frontière entre les deux est quasi inéxistente. Et, alors que se profile leur duel final, il est de plus en plus compliqué pour le téléspectateur de choisir un camp. Le marshall un peu connard sur les bords, ou le sociopathe amoureux ?
Après on regrettera le choix de Rapaport en Darryl Crowe Jr, un contre-casting comme la série en fait régulièrement avec succès (Martindale, McDonough ou même Steenburgen cette année), mais qui n’a pas pris cette fois-ci. Rapaport sera toujours l’homme d’un seul rôle : la petite frappe new yorkaise. On regrettera aussi de ne pas avoir vu plus souvent le Marshal Tim Gutterson face à Darryl. Car en une seule scène dans le finale, on voit un monumental potentiel qui ne sera pas accompli.
Malgré ces défauts, Justified n’est pas devenue du jour au lendemain une série médiocre. On n’a pas assisté à « la saison de trop », juste une saison un peu moins maîtrisée que les autres. L’ouverture était excellente, la clôture fabuleuse avec 3 derniers épisodes remarquables. La série excelle toujours autant dans les dialogues et dans la caractérisation de ses personnages (Le Haïtien, le duo Roscoe et Jay, Charles Monroe, le mâton Albert Fekus…).
Justified reste une grande série, avec une saison 5 moins bonne que les autres. Et surtout, elle s’ouvre sur un dernier run qui s’annonce épique, entre un Raylan Givens décidé à faire tomber Boyd, et un Boyd Crowder qui revient à ses premières amours, le braquage de banque. Un duel fratricide qui ne devrait rien épargner aux protagonistes de la série. Après tout « You’ll Never Leave Harlan Alive… »
JUSTIFIED, saison 5 (FX)
Créée et Showrunnée par Graham Yost
Avec : Timothy Olyphant (Raylan Givens), Nick Searcy (Art Mullen), Joelle Carter (Ava Crowder), Jacob Pitts (Tim Gutterson), Erica Tazel (Rachel Brooks), Walton Goggins (Boyd Crowder), Jere Burns (Wynn Duffy), Michael Rapaport (Dale Crowe Jr.), Alicia Witt (Wendy Crowe)
Tim Gutterson vs Crowe, j’en suis encore ultra toute frustrée –‘