Kathleen Kennedy, une ténacité impériale

Kathleen Kennedy, une ténacité impériale

Alors que Star Wars : Le Réveil de La Force débarque aujourd’hui dans près de 1000 salles, ce septième épisode de la saga débutée en 1977 par George Lucas marque le commencement d’une nouvelle ère, celle de Kathleen Kennedy. Patronne de Lucasfilm depuis son rachat par Disney en 2012 pour 4 milliards de dollars, elle est sans doute parvenue à l’apogée d’une carrière discrète passée au service de Steven Spielberg, George Lucas, et elle-même au sein de The Kennedy/Marshall Company. Mais quel genre de productrice et businesswoman est la nouvelle impératrice de Lucasfilm, lieutenant parmi le conglomérat multimédia qu’est devenu la Walt Disney Company ?

Lundi soir, à la grande première du Réveil de La Force, Kathleen Kennedy racontait comment le grand-père de son beau-frère avait extirpé George Lucas du cockpit de sa voiture de course, après un terrible accident en 1962 en Californie du Nord. Ou encore qu’elle avait suggéré que deux gagnants d’un concours local de Super 8 restaurent des anciens court-métrages que Steven Spielberg avait réalisés, et venait de retrouver quelques semaines plus tôt. Leurs noms : J.J. Abrams et le futur réalisateur de Cloverfield, Matt Reeves.

Ces anecdotes, aussi plaisantes qu’elles sont évocatrices des longs liens entretenus avec les futurs architectes de la Force, obliquent un peu le rôle de colonne vertébrale que Kathleen Kennedy a eu en coulisses depuis près de 40 ans. Elle a été embauchée en assistante de production sur un des flops coûteux de Steven Spielberg, 1941. A l’époque, elle travaillait également comme secrétaire de John Milius (futur réalisateur de Conan le Barbare), une expérience qu’elle se souvient comme ayant son lot d’excentricités : « Je me souviens que beaucoup de choses bizarres se passaient, mais j’ai essayé d’ignorer les choses que je ne pensais pas appropriées et j’ai fait avec. Je me suis demandée si c’était vraiment ce que je voulais faire, mais la fin justifie les moyens ». Si on pourrait croire que travailler sur 1941 aurait élimé les relations entre Spielberg et Kennedy dès le départ, elles n’ont fait que les renforcer.

« Après un tel échec, on ne peut qu’aller de l’avant. Parallèlement au tournage des Aventuriers de l’arche perdue [son film suivant], on travaillait sur le projet E.T., dont le budget de 10 millions de dollars, relativement modeste au début des années 1980, était tout de même élevé pour un long-métrage personnel. D’ailleurs, aucun studio ne voulait le soutenir. Steven et moi avons créé la société Amblin [avec son mari Frank Marshall, ndlr] et recherché des investisseurs extérieurs », explique-t-elle à L’Express en 2006. Le coup de poker E.T. scelle une alliance qui durera pendant la bonne majorité des années 1980.

Personnalité de l’ombre, Kennedy n’apparaît pas comme une « grande gueule » VRP ou bien, primordialement, comme une businesswoman avisée et particulièrement bonne gestionnaire de projets – ce qu’elle est par ailleurs. Elle est plus une productrice à l’écoute des créatifs avant tout, qui a su manager les multiples projets de Steven Spielberg durant ses années à Amblin. C’est aussi elle qui a fait l’arbitrage entre George Lucas et Steven Spielberg sur la trilogie Indiana Jones, elle encore qui a réuni toute la team sur Le Royaume Du crâne de cristal. Un principe revient souvent : celui de servir l’histoire qu’elle a sous les yeux avant tout.

Se salir les mains
Kathleen Kennedy et Frank Marshall ont délaissé Amblin au début des années 1990 pour fonder The Kennedy/Marshall Company, à l'oeuvre sur Le Sixième Sens, ou la série des Jason Bourne avec Matt Damon.

Kathleen Kennedy et Frank Marshall ont délaissé Amblin au début des années 1990 pour fonder The Kennedy/Marshall Company, à l’oeuvre sur Le Sixième Sens, ou la série des Jason Bourne avec Matt Damon.

 

Il est très facile d’encenser ou de passer la brosse à reluire lorsque l’on parle des acteurs puissants de l’industrie hollywoodienne. La poignée de profils consacrée au couple Kathleen Kennedy/Frank Marshall dessine pourtant une carrière peu émaillée d’échecs ou de clashes en tout genre. Lors de la promo de Benjamin Button, le pourtant intransigeant David Fincher est très élogieux concernant son travail sur son film : « C’est une productrice pour réalisateurs. Les allées et venues politiques des studios ne sont qu’une distraction de second plan. Lorsque je souhaite quelque chose, elle s’assure d’aller le faire pour moi. »

Une poigne de productrice qui met l’accent sur la gestion de problèmes : que ce soit pour régler la couleur des yeux d’E.T., aller secourir l’équipe et le cast de Jurassic Park alors qu’un ouragan les bloque sur place à Hawaï en courant à pied jusqu’à l’aéroport, les anecdotes ne manquent pas. Sur des films sur lesquels elle est au défi, elle apparaît comme une vraie bosseuse prête à en découdre. Un gage de confiance sur lequel tous s’appuient. Que ce soit pour la technologie de Tintin ou pour Lincoln, c’est ainsi elle qui a dû aller chercher des financements de plusieurs studios différents, gageure qui est assez peu commune ces dernières années avec la concentration à l’extrême des studio system.

Des projets toujours en tête

Si elle compte beaucoup de fidèles parmi l’entourage de Spielberg et Lucas, Kathleen Kennedy a aussi beaucoup de projets qui finissent par voir le jour après des années de « development hell » (portes coulissantes sur des années où scénaristes, réalisateurs et producteurs n’arrivent pas à mettre le film en tournage). Citons L’Étrange Histoire de Benjamin Button, qui a langui avec un scénario de 250 pages signé Robin Swicord pour la majeure partie des années 1990, alors que personne n’arrivait à trouver comment répondre au défi technique d’un homme qui rajeunit à vue d’œil. Ou encore Tintin, dont les droits ont été acquis en 1982 et qui n’a pu être réalisé que 25 ans plus tard, en utilisant la motion capture et tous les moyens techniques de WETA.

Contrairement à Frank Marshall, qui a réalisé Arachnophobie et Congo dans les années 1990, Kathleen Kennedy n’a pas de velléités créatives. Mais si on en juge par son établissement d’une « story room » pour la nouvelle trilogie Star Wars, Kennedy semble avoir autant de flair qu’un Kevin Feige chez Marvel dans ses attributions. Vu le nombre de projets qui languissaient pendant les dernières années avec George Lucas aux commandes, elle semble pouvoir s’acquitter de développer la partie séries télé et ressusciter des projets de jeux vidéo… en réglant les problèmes créatifs et en amenant de nouveaux yeux sur ces projets. La presse a largement attribué la confiance graduelle accordée par George Lucas à Kennedy à son mariage entre business plan solide et ambitions artistiques. Et, malgré sa discrétion, imposer sa patte, c’est aussi engager des réalisateurs à la patte artistique fine, comme Rian Johnson pour l’Episode VIII. La promotion et la sortie de l’Episode VII, c’est aussi l’occasion pour Kennedy d’avoir les projecteurs braqués sur elle, et de parler en son propre nom et non plus dans l’ombre des réalisateurs qu’elle a épaulé durant 30 ans. C’est peut-être dans le pragmatisme que se situe la plus grande force du « régime Kennedy » des prochaines années, bien au-delà des besoins et desiderata des actionnaires de Disney et de son grand patron, le tout-puissant Bob Iger.

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