
Kiroho de Brunowaro et Rémi Guérin
Grande déception que ce projet de Rémi Guérin et Brunowaro, qui promettait de réinterpréter l’univers du Sherlock Holmes de Miyazaki en y mêlant mythologie nippone et ancrage français.
L’histoire : Plusieurs marins de Bois-sur-Mer ont disparu et le maire de la ville suspecte un Kiroho, une âme errante, d’être à l’origine de ce mystère. Alors que le ciel s’assombrit de jour en jour, les habitants commencent à fuir la ville et le maire n’a plus d’autre choix que de faire appel au professeur Charles, le plus grand spécialiste des Kirohos. L’intelligence et la ruse du professeur et de son assistante suffiront-elles à sauver Bois-sur-Mer ?
Mon avis : Voici le type même de la bonne idée qui ne mène à rien. Une belle couverture aux couleurs vives, mystérieuse et kawaï, une proposition alléchante convoquant le Sherlock Holmes de Miyazaki et Mikuriya, mâtiné de mythologie nipponne et de géographie bretonne… On s’apprêtait à être conquis d’avance. Le résultat est d’autant plus cruellement décevant.
Car le dessinateur Brunowaro et le scénariste Rémi Guérin ne se contentent pas de « convoquer » Miyazaki et consorts : ils reprennent des pans entiers de leur Sherlock. Le Pr Charles est une pâle copie du détective de Baker Street, son assistante Lise joue les succédanés « très jeune fille » de Watson, et l’enquête à Bois-sur-Mer est réduite à sa portion congrue, ni menée ni aboutie.
En réalité, tout commence mal, dès les dédicaces. Lorsque le dessinateur remercie sa femme et son fils de lui avoir « permis de réalisé » cet album, on espère qu’il ne faut y voir qu’une coquille d’inattention ; que cela n’a rien à voir avec un problème – voire une absence – de relecture. Très rapidement, on déchante. Comment ne pas voir une redondance lourdingue dans une phrase comprenant l’expression « Il arrive que parfois » ? Et là, je parle de la 2e case de la 1ère page. Plus loin : « J’ignore encore qu’elle peut en être la cause. »
Le scénario n’a aucun intérêt et ne recèle aucun élément de surprise, et ce ne sont pas les maigres twists ultra-téléphonés qui sauvent l’affaire. La plupart du temps, la trame narrative est décousue et sans la moindre dimension de réalisme (qu’il soit magique ou pas). On se situe ici au-delà (ou en-deçà, selon le point de vue) de l’hommage : on se perd dans une envie certes louable de retrouver l’esprit des animés des Eighties, mais totalement étouffante dans le cas présent. Des personnages disparaissent subitement, des cases s’enchaînent par erreur ou confusément (page 26, à tel point qu’on ne sait plus si l’esprit sort ou entre dans le tube de verre), on n’échappe pas aux redites (« un équipage complet » en pages 47 et 49) ni aux invraisemblances. Le Pr Charles remarque la présence de nombreux pirates fantômes en arrivant près de leur vaisseau, puis avoue, une fois parvenu sur le pont : « Je n’avais pas vu ça sous cet angle » ?
Sans parler de cette robe jetée par-dessus ses vêtements d’homme, afin de pouvoir approcher le Kiroho qui en veut visiblement à la gent masculine : qui pouvait bien le confondre avec une femme, alors qu’il navigue dans une barque en compagnie de son assistante ? Sans parler [attention spoiler !] du sacrifice prévisible de Lise, dont on apprend qu’elle est une Kiroho et la fille du Pr Charles…
Le dessin de Brunowaro, quant à lui, n’est pas assez maîtrisé pour avoir une chance de survivre au naufrage. Il manque parfois de lisibilité et foncièrement de personnalité. Lui non plus ne parvient pas à s’approprier l’univers des séries animées made in Japan, il n’en franchit pas les limites étroites et se contente plutôt d’en reprendre les tics et les travers, sans en atteindre l’esprit et la magie. Il souffre par moments de vraies maladresses : la pipe et la bouche du Pr Charles en page 9, le tomber du pantalon en page 11… Le style visuel n’affiche généralement pas le niveau de maîtrise que l’on attendrait d’un tel projet.
Bref, une grande déception pour une proposition qui avait toutes les chances de plaire.
Kiroho
Écrit par Rémi Guérin
Dessiné par Brunowaro
Édité par Ankama