
KoЯn – The Serenity of Suffering
Chaque nouvel album de KoЯn est un petit événement en soi, tant ils sont rares les groupes qui peuvent revendiquer la paternité d’un mouvement musical. Le Nu Metal (puisqu’il faut bien lui mettre une étiquette) était avant tout une révolte adolescente emmenée par une poignée de groupes qui vivaient plutôt mal leur puberté dans un monde dont les perspectives d’avenir étaient fort déprimantes. Seulement voilà, plus de vingt ans après, les mecs ont vieilli et leur public originel aussi, enfin ceux qui ne se sont pas suicidés en cours de route ! Alors, le KoЯn 2016 a-t-il une chance de toujours sonner d’actualité une fois les problèmes d’acné oubliés ?
C’est tout le problème des modes… Elles font sens dans un contexte précis et une fois ce contexte devenu obsolète, la ringardise n’est pas loin de pointer son vilain nez en plastique fluo. Lorsque paraît le premier album éponyme de KoЯn en 1994, le monde du métal entre dans une phase de crise majeure. Après la mise à l’amende des géants des années 80 par une bande de punks venus de Seattle, la musique électronique et le hip-hop allaient se charger de creuser un peu plus profond la tombe du genre.
Ajoutons à cela le spectacle déplorable offert par la diva Axl Rose pendant la pathétique tournée Use Your Illusion et l’infâme Load déféqué par des Metallica aux cheveux courts (et couverts de GEL, non mais vraiment !), et nous avions la combinaison parfaite pour une désaffection des troupes, renforcée par une fuite massive des nouvelles générations de kids vers des musiques nouvelles, différentes et forcément plus excitantes.
Tout cela, KoЯn le digère parfaitement, d’autant plus qu’ils font partie des kids en question. Musicalement inspirés par le hip-hop old school, la new wave (Depeche Mode, Joy Division) autant que par le punk hardcore ou le Death Metal, ils subliment leur frustration de petits blancs exclus du rêve américain (et souvent persécutés par les représentants de la norme de l’époque) en pratiquant une musique violente, dérangeante, aussi sale que la peau des fesses du capitaine de l’équipe de football locale peut être lisse. En un mot, c’est nouveau ! Nu Metal donc.
The Serenity of Suffering est le douzième album studio du groupe de Bakersfield, douze albums et presque autant d’évolutions, parfois spectaculairement réussies (Follow the Leader, The Path of Totality), parfois simplement banales ou ratées (Untitled, Remember Who You Are), l’idée étant que la musique de KoЯn a toujours eu vocation à se renouveler. Or, disons-le tout de suite, ce dernier opus aurait plutôt tendance à lorgner sur le passé.

Il est pas beau mon micro?
Première constatation, c’est du brutal ! Le tandem Head/Munky a sorti la boîte à baffes et les riffs de The Serenity of Suffering rivalisent de violence et d’agressivité, faisant de cet album l’un des plus heavy du groupe à ce jour. Renforcés par le groove de la basse d’un Fieldy bloqué en mode mitrailleuse lourde, chaque titre impose sa structure façon marteau piqueur, parfait écrin pour la voix d’un Jonathan Davis qui laisse libre court à ses facéties vocales, passant du growl primaire au chant clair et plaintif qui le caractérise avec aisance, sans oublier quelques phases de scat hystériques.
On notera tout particulièrement Insane la bien nommée qui ouvre l’album bille en tête, suivie du premier single Rotting in Vain, idéal si vous voulez décoller le papier peint des murs pour peu que vos enceintes soient poussées au volume suffisant. Vient ensuite l’excellent Black Is the Soul au refrain imparable et… Attendez une minute. On ne l’a pas déjà entendue quelque part celle-là ? Et les autres ?
Et c’est bien le problème de S.O.S., acronyme révélateur du titre de l’album, chaque chanson sonne familière, non pas comme peuvent se ressembler les morceaux d’un groupe au style immuable comme AC/DC par exemple, mais bien comme des plagiats d’anciens titres du groupe ! Au secours, on a perdu l’inspiration en somme ! Ainsi le refrain de Black Is the Soul est presque un copier-coller de celui de Chaos Lives in Everything, et Rotting in Vain rappelle tellement Falling Away from Me que malgré sa qualité évidente, cela en devient dérangeant.

Mmmh, déjà vu
Et le reste de l’album est à lavement comme dirait Béru. Malgré une foule de bonnes chansons et quelques moments plus intéressants que d’autres (Take Me, Die Another Night, la conclusion de Please Come for Me), on a l’impression de réécouter Issues, une impression renforcée par la pochette du disque qui nous présente une adolescente (probablement la même fillette qui semblait se jeter d’une falaise sur Follow the Leader avec quelques années de plus) traînant derrière elle la poupée qui figurait sur la pochette de l’album paru en 1999.
Alors vous me direz, « qu’importe, du moment que ça dépote » ! Certes, mais tout de même. The Serenity of Suffering poursuit le chemin emprunté par The Paradigm Shift (2013) en plus bourrin et en moins bien, à savoir une tentative de réanimer la créature hybride qui faisait le succès (et l’originalité) de KoЯn à ses débuts. Cependant, le monstre originel semble avoir les sutures qui se décousent, à l’image de la poupée citée plus haut, et on se retrouve avec un plat réchauffé au micro-onde au lieu du festin escompté.
Reste à savoir si le groupe sera malgré tout toujours aussi excitant à voir sur scène, et capable d’insuffler un peu d’âme à ces nouvelles compositions bien fades… Au regard de leur récente prestation au Hellfest, tous les espoirs sont permis ! La réponse au Zénith de Paris dans quelques semaines. Allez, on y croit !