Kosmos

Kosmos

Note de l'auteur

Il y a des bandes dessinées qui marquent plus que d’autres, interrogent davantage. Celle-ci offre l’infime avantage d’être graphiquement époustouflante, très bien construite et laisse plus de questions à son issue que de réponses. Un sujet : la conquête spatiale et particulièrement celle de la Lune. Une bataille où tout est permis entre les deux géants de l’époque aux confins des années 70. Le vainqueur écrit, par nature, l’histoire. Mais cette dernière ne devrait-elle pas être élaborée par quelqu’un d’autre ? Bienvenue en absurdie où conspirationnisme et complotisme sont des mamelles auxquelles il fait toujours bon se rassasier.

L’histoire : le premier pas sur la Lune ? Facile, Neil Armstrong le 21 juillet 1969. Du moins, c’est ce qu’on nous enseigne dans les manuels scolaires. Sauf que ce qu’a véritablement vu l’astronaute américain, personne, à part lui, n’aurait pu le confirmer. Ou l’infirmer. Sur le satellite de la Terre, il y avait pourtant bien un drapeau soviétique, un cadavre et un module lunaire abandonné. Peut-être alors que la course à la Lune n’a pas été remportée par ceux que l’on croit…

Mon avis : extrêmement dérangeant et intéressant. Une vraie réflexion de saison sur la fabrique à fake news qui tourne à plein avec les antivax, la Covid, les gilets jaunes ou le conflit russo-ukrainien. Bref, plus ou moins tous les complotistes qui le sont à des degrés divers. L’occasion de remettre toutes les théories et les vérités officielles à bas. Avec un processus clairement identifié. Instiller du réel et du crédible dans des récits complètement inventés voire farfelus avec le corollaire de ne plus savoir, au final, qui a raison et qui a tort. Et donc, in fine, de mettre sur un même plan tous les avis. Bref, des réseaux sociaux à cœur ouvert…

Là, un vrai-faux documentaire qui fait naître le doute chez le lecteur. Et si les Ricains (qui nous ont empêchés d’être en Germanie, merci Michel) avaient été devancés par les Popovs pour le premier alunissage. De quelques heures. Et comme la caméra censée rendre grâce à l’Ours soviétique aurait été endommagée à l’arrivée sur la Lune, les images ne nous sont jamais parvenues. Et comme, c’était une mission suicide, il n’y pas eu de survivant. Et comme sous Brejnev, la conquête spatiale était une priorité, il y a fort à parier que les Soviétiques n’étaient pas loin de damer le pion au rivale de l’Ouest. En tous les cas, ils s’y sont essayés à de multiples reprises avec beaucoup de déchet. Des morts et de dégâts matériels qui furent tus aux autres puissances concurrents sous un nom de code Kosmos.

Tout est donc possible, tout est envisageable car rien, dans l’absolu, n’est vérité. On peut toujours prendre un biais à tout. Ce qui nous rassemble ce sont des croyances crédibles partagées par un grand nombre.

Sur la forme, cette bande dessinée est formidablement construite. Comme un véritable documentaire. Avec les codes du genre. Des incises de personnes qualifiées qui contextualisent la période. Des avis tranchés de certains, des explications scientifiques invérifiables. Du vrai et du faux mêlés et puis, pompon sur la Garonne, pas de conclusion définitive, à chacun de se faire une idée…

C’est une bande dessinée iconique, dans la démesure avec une dramaturgie du trait et une grandiloquence du dessin. Cela fait toujours bien d’aligner les épithètes mais là, c’est mérité.

Si vous aimez : Antivax, les marchands de doute. L’excellent Thema d’Arte.

En accompagnement : Et si c’était vrai du très bankable Marc Lévy.

Autour de la BD : ancien journaliste, forcément, donc avec quelques menues qualités, Pat Perna a tout abandonné à la crise de la quarantaine pour se lancer dans la BD. Et comme il n’y pas de sot métier, il nous régale depuis. Fabien Bedouel a un style bien à lui, facilement reconnaissable et qui prend toute sa mesure dans ce soyeux noir et blanc qui laisse encore mieux passer les émotions.

Extraits : « C’est incroyable, Niko. Tu… Tu devrais voir ça… Le relief… Des montagnes… Des cratères… Tout est blanc… Si silencieux. Nikolaï, je suis désolée. »

« Moi aussi. Cette mission. Tatitana… C’est une mission suicide. »

« Ne t’inquiète pas. Je vais m’en sortir, je n’ai aucune envie de mourir (…) Je ne serai pas très longue. Le temps de poser de pied sur la Lune, de planter un drapeau. Je ramasse quelques cailloux et bientôt nous trinquerons à la victoire de l’Union soviétique dans la datcha du camarade Brejnev. »

« Non, tu ne reviendras pas. »

« Qu’est-ce que tu racontes ? Pourquoi autant de défaitisme ? »

« L’objectif de cette mission n’a jamais été d’effectuer un aller-retour. Seules les images du premier pas comptent. C’est de la propagande, tu comprends ? Le LK est techniquement incapable de redécoller. Une fois posé, il ne peut repartir. »

Écrit par Pat Perna
Dessiné par Fabien Bedouel
Édité par Delcourt

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