La Chose : les racines du changeling

La Chose : les racines du changeling

Note de l'auteur

Avant The Thing de John Carpenter (1982), avant même La Chose d’un autre monde de Christian Nyby (1951), il y avait une novella signée Don A. Stuart, nom de plume de John W. Campbell, sous le titre Who Goes There?. Une multitude d’avatars pour une créature mouvante.

L’histoire : En Antarctique, quelque part. Enfoui sous la glace, aux abords d’un artefact aux allures de vaisseau spatial, des scientifiques découvrent un corps congelé gisant là, sans doute, depuis des millions d’années. Un corps résolument inhumain. Résolument… autre. Le choix est alors fait de ramener la stupéfiante découverte à la station pour étude. Doucement, la gangue de glace autour de la créature commence à fondre, libérant peu à peu cette totale étrangeté à l’aspect terrifiant. Et les questions de traverser l’équipe de chercheurs : qu’est-ce que cette chose ? Comment est-elle arrivée là ? Et après tout, est-elle seulement morte ? N’ont-ils pas mis au jour la plus épouvantable des abominations ? Une horreur proprement cosmique ?

Mon avis : Difficile d’évoquer cette novella séminale de John W. Campbell sans penser d’abord à son adaptation la plus célèbre, le génial The Thing de John Carpenter. Et à sa lecture, une chose frappe : l’extrême fidélité du scénario envers son terreau originel. Bien sûr, les physiques sont différents – le McReady de Campbell ne ressemble guère à Kurt Russell, ce qui peut poser quelques difficultés. Même si, en toute sincérité, l’acteur a toujours primé dans mon esprit sur la silhouette de papier…

Fidélité ne veut toutefois pas dire adaptation aveugle. Et l’on comprend, par contraste lors de la lecture de la novella, les raisons et les qualités des choix scénaristiques de Bill Lancaster et de mise en scène de Big John. Cela n’enlève rien à la qualité intrinsèque du récit littéraire, d’ailleurs. Avec, à la clé, un plaisir double, d’un méandre narratif se déployant sur une petite centaine de pages, et des fantômes d’un film d’une petite centaine de minutes.

Le titre de la novella, tout d’abord, pose son côté old-school – il faut dire qu’elle a été publiée en 1938 dans le magazine Astounding Science Fiction : Who Goes There?, traduit en français en 1955 par La Bête d’un autre monde.

Sa première phrase annonce d’emblée la couleur, ou plutôt l’odeur : « Ça puait, là-dedans. » Et effectivement, tout commence avec des odeurs, celles habituelles de l’homme et de ce qui l’entoure, puis celle, « à vous faire dresser le poil sur la nuque », de cette autre chose. Car l’emploi du mot « chose », jusque dans le titre moderne français, n’est évidemment pas gratuit : comment nommer ce qui n’a aucune correspondance sur notre bonne vieille Terre ? « Voilà l’histoire de… ce truc » : c’est par ces mots que McReady termine le récit de la découverte du vaisseau et de son occupant.

Bien sûr, certaines dimensions de l’histoire ont moins bien vieilli, comme l’utilisation d’une forme de télépathie pour expliquer les fulgurantes intuitions qui entourent son analyse par les scientifiques de la base antarctique. En revanche, ces faiblesses, discrètes et peu nombreuses, ne masquent pas la construction solide du récit. Campbell amène ainsi cette idée de la transmission de pensée (ou plutôt de l’émission de pensées de la Chose captées par les esprits humains qui l’entourent) en douceur, Blair se moquant à la page 30 des « cauchemars » de Norris, préparant ainsi la notion de télépathie qui émergera plus tard.

Blair leva les yeux de la bâche qu’il triturait le temps de croiser le regard gris coléreux de Norris. « Pour l’instant, tout ce que cette chose peut nous transmettre comme contagion, selon toi, ce sont des cauchemars. Je veux bien l’admettre. » Un sourire narquois, presque malveillant, passa sur le visage marqué du petit homme. « J’en ai fait aussi. Elle nous infecte donc de ses rêves. Une terrible maladie, assurément.
» Pour le reste, tu te fais une idée complètement fausse des virus. Primo, personne n’a encore prouvé que la théorie de la molécule d’enzyme les explique à elle seule. Secundo, le jour où tu attraperas la mosaïque du tabac ou la rouille du blé, préviens-moi. Ces végétaux sont beaucoup plus proches de ta chimie physiologique que cette chose d’un autre monde.
» Quant à la rage, elle a ses limites strictes. Tu ne vas ni la choper d’un plant de blé ou d’un poisson, ni la lui donner – alors que ce dernier descend pourtant d’un ancêtre commun à nous tous. Ce qui n’est pas le cas de cette créature, Norris. » Blair salua d’une courbette enjouée la masse empaquetée sur la table.

La comparaison de la Chose avec un virus s’avère par ailleurs terriblement intéressante. Et ce combat entre partisans d’une analyse de la Chose et ceux qui plaident pour son annihilation préventive résonne toujours dans notre monde contemporain, où la peur de l’Autre se cogne à une pandémie d’un nouveau type.

Et au final, même si Campbell n’adopte pas une conclusion ouverte comme Carpenter, c’est une belle découverte pour qui, comme moi, n’avait jamais eu l’occasion de revenir aux racines du changeling.

La Chose
Écrit par John W. Campbell
Traduit par Pierre-Paul Durastanti
Édité par Le Bélial’

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