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La Défaite de la Musique – Dopethrone/Bongzilla/EyeHateGod – 21/06/2018

La Défaite de la Musique – Dopethrone/Bongzilla/EyeHateGod – 21/06/2018

Note de l'auteur

À la veille de l’ouverture des hostilités au Hellfest, en ce jour de fête de la musique, il s’est produit à Paris un petit miracle ayant permis à ces deux institutions vieillissantes d’unir leurs forces bien malgré elles pour donner naissance à un événement unique, inattendu, qui restera gravé dans les mémoires. Un gros doigt d’honneur à ceux qui pensaient que le rock était mort par institutionnalisation… Nous y étions.

Loin de moi l’idée que le Hellfest ou la fête de la musique seraient devenus ringards en 2018…

Certes, le festival Clissonnais a perdu beaucoup de son aura sulfureuse en se démocratisant, devenant une sorte de Disneyland pour métalleux avec ses décorations tapageuses embrassant avec délices tous les clichés du genre et sa propension à vous faire sortir le portefeuille toutes les cinq minutes tant les possibilités de consommation y sont multiples et variées.

Certes, la fête de la musique est une vieille dame (instaurée par Jack Lang il y a 36 ans cette année, même si l’idée remonte en fait à 1976) qui sert souvent de prétexte au quidam lambda sachant à peine jouer trois notes de guitare (ou pire, de djembé) pour venir casser les oreilles de la communauté en toute impunité.

Tout cela est vrai. Il n’empêche que le premier reste, et de loin, l’un des festivals à la programmation la plus diverse au monde, mêlant têtes d’affiches d’hier et d’aujourd’hui avec des groupes plus confidentiels voire même carrément underground et que son organisation année après année force le respect par son aspect professionnel et la passion qui anime toujours ses initiateurs.

La seconde quant à elle a et aura toujours le mérite d’exister. N’en déplaise aux voisins grincheux obligés d’investir dans une boite de boules Quiès pour l’occasion (2,99€ en pharmacie, c’est pas la mer à boire), la musique est un art vivant qui a horreur des musées et qui s’apprécie mieux en direct. À plus forte raison dans la rue.

Une petite rue bien tranquille…

Dans la rue… Celle qui nous intéresse ce soir a été baptisée en hommage à Jean-Pierre Timbaud, un militant communiste français fusillé par les nazis en 1941, ancien fondeur et secrétaire du syndicat des métallurgistes parisiens. Des métallurgistes ? Tiens donc !

Parce que de métal en fusion, il va en être question ce soir. Pour sa dernière fête de la musique, l’U.F.O. (cet authentique bar rock du quartier Oberkampf va en effet fermer ses portes à la fin de l’été) a décidé de frapper un grand coup. Avec l’aide de Stoned Gatherings, organisateurs de concerts bruyants entre Paris et Nantes, c’est une affiche incroyable qui est annoncée sur ce petit bout de trottoir : Sons of Otis, Dopethrone, Bongzilla et les légendaires EyeHateGod, rien que ça !

Profitant du fait que ces groupes étaient en transit à Paris avant d’aller jouer au Hellfest le lendemain, les mecs de Stoned Gatherings ont fait s’aligner les étoiles et… Voilà !

Impossible de vous parler de la prestation des canadiens de Sons of Otis, l’auteur de ces lignes étant arrivé après la bataille, qu’il me suffise de dire que bataille il y eût ! Le public (environ 300 personnes) déjà massé devant le bar et dans la rue (que personne n’a trouvé judicieux de fermer à la circulation) est là pour en témoigner.

Vincent Houde, Dopethrone

Leurs compatriotes de Dopethrone ne tardent cependant pas à prendre le pavé (littéralement) pour un set d’une heure aussi intense que débridé. Faisant fi des problèmes techniques et sous le regard réjoui de Jimmy Bower assis sur un flightcase au beau milieu des gens, les Québécois offrent à la foule (ainsi qu’aux passants éberlués et aux voisins qui ne le sont pas moins) une parfaite démonstration de ce qu’est le Stoner Doom.

Ayant hérité leur nom de l’album culte d’Electric Wizard (Dopethrone– 2000), le groupe de Vincent Houde en reprend les meilleures recettes (basse saturée, riffs lents et lugubres) en y ajoutant une touche sludge avec des parties vocales écorchées vives. Le son rebondit sur les façades de cette petite rue parisienne, lui donnant une ampleur impressionnante, qui enveloppe le public dans une transe malsaine et profondément jouissive.

Mike Makela, Bongzilla

C’est au tour des vétérans de Bongzilla (plus de vingt ans de carrière au compteur tout de même) de venir faire parler la poudre, ou plutôt la douille en ce qui les concerne puisque la musique du groupe natif du Wisconsin tourne essentiellement autour de la consommation de marijuana ! Tout un programme que Mike Makela ne tarde pas à exposer à son audience en encourageant tout le monde à en rouler un avant le début du concert.

Dans un style plus heavy que leurs prédécesseurs, les américains enfoncent le clou, déjà bien rouillé, de la soirée et nous proposent un set terriblement efficace, mêlant agressivité extrême et riffs ultra lourds, entrecoupés d’interruptions dues à quelques difficultés matérielles (qui verront Jimmy Bower prendre le micro pour meubler en chantant une petite comptine improbable).

À peine remis de cette déflagration sonique, c’est déjà l’heure pour EyeHateGod de venir achever les derniers survivants qui se trouvent être plus nombreux qu’au départ, comme le veut le fameux proverbe de Corneille qui explique qu’en partant à cinquante écouter du hardcore, on peut se retrouver à cinq cents à slammer comme des porcs ! Un truc du genre en tous cas.

EyeHateGod sur le trottoir… Rien moins que l’un des groupes fondateurs de la scène sludge metal (un style mêlant des éléments de punk hardcore et de heavy metal), fer de lance du vivier de la Nouvelle Orléans à la fin des années 80 qui ouvrit la voie à tant d’autres styles, y compris le grunge. Ça vous pose un mythe.

Jimmy Bower, chill out

Jimmy Bower est à l’origine de ce mythe. Membre fondateur du groupe, il est également membre de Down et de Superjoint Ritual avec son vieux complice Phil Anselmo (Pantera), mais aussi de Crowbar et accessoirement de Corrosion of Conformity quand le besoin s’est fait sentir… Pour résumer, tout ce qui s’est passé de musicalement excitant à la Nouvelle Orléans ces trente dernières années est passé par lui.

Du coup, le voir se balader dans le bar, fumer sa cigarette avec des fans qui n’en reviennent pas, assister aux concerts de ses potes avant de prendre sa guitare pour faire le boulot a quelque chose de fascinant mais aussi de parfaitement normal après tout. La starification des musiciens n’est qu’une distorsion de la réalité quand on y pense, ces gars-là sont comme tout le monde même si leur métier est bien plus excitant que beaucoup d’autres ! Et d’après ce que nous voyons, faire partie du monde réel semble leur plaire énormément…

C’est aussi un immense soulagement de voir Mike Williams en pleine forme. Deux ans après une transplantation du foie et après avoir vaincu ses diverses addictions, le chanteur semble avoir rajeuni de 20 ans ! Et cela se voit et s’entend… Alors qu’ils ne devaient jouer qu’une quarantaine de minutes, le groupe mettra la rue à sac pendant plus d’une heure ! Et ce n’est pas une façon de parler…

Car c’est bien d’une émeute à la fois furieuse et joyeuse dont nous parlons ici !

EyeHateGod

Jouant littéralement au cœur du public, EyeHateGod alignera ses chansons comme autant de cibles sur un stand de tir alors que le monde semble s’effondrer autour d’eux, les tabourets de bar volent, les gens se jettent du haut de leur camionnette dans la foule, le service d’ordre (en réalité les organisateurs du concert) hésitent entre retenir le public et participer à l’échauffourée. Bref, c’est un bordel indescriptible qui se déroule sous nos yeux et on en redemande !

Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin et il est temps de sortir du mosh pit pour panser ses plaies, vérifier que l’on a toujours tous ses membres et doucement prendre conscience de ce qui vient de se produire. Ce soir, à l’U.F.O., l’expression « fête de la musique » a retrouvé du sens car il s’agissait bien d’une fête et quelle musique, pardon. Sous les pavés, la rage.

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