La Femme – Mystère (Barclay)

La Femme – Mystère (Barclay)

Note de l'auteur

La Femme est partout, tout le monde parle de La Femme, c’est l’année de La Femme en une des magazines spécialisés qui rivalisent de jeux de mots pour qualifier la nouvelle sensation de la pop made in France. Après la French Touch, la relève serait-elle assurée par une autre sorte de touche, féminine celle-ci ? Pourquoi pas.

Soyons clairs, il est difficile d’aimer La Femme au premier abord. Déjà, le nom est énervant. Comment parler d’un groupe avec un blaze pareil ? Rien que la première phrase de cet article est douteuse ! Et puis les mecs en eux-mêmes, impossible de trouver sympathiques des gus qui semblent passer plus de temps à choisir leurs fringues et à se coiffer le matin qu’à composer une chanson ! Ça sent le snob, la branchouillitude, la fausse provoc’, le… parisien quoi ! Comment ça des préjugés ? Votre serviteur sait de quoi il parle, voilà quarante ans qu’il en est un !

Sauf que.

Sauf que Mystère est un sacré bon disque, et La Femme un sacré bon groupe. Tiens, ça aussi c’est énervant à admettre mais il n’y a pas le choix.

Forts d’un premier album en 2013 (Psycho Tropical Berlin) récompensé l’année suivante par une victoire de la musique (énervant !) dans la catégorie révélation de l’année, La Femme a pris son temps pour remettre le couvert… Non pas que La Femme aime se faire attendre, le groupe avait simplement besoin d’obtenir par lui-même un résultat à la hauteur de ses exigences. Au-delà d’un perfectionnisme de bon aloi, cela s’appelle de la maturité et là, trop facile, on arrête les jeux de mots !

Trois ans d’écriture donc, de recherches sonores en mode do it yourself entre retraite dans un manoir à la Led Zeppelin et séances de studio néanmoins nécessaires, le tout mixé à Los Angeles parce que bon, et voilà le travail ! Mystère ne ressemble à rien et ressemble pourtant à beaucoup de grands anciens n’ayant aucun rapport entre eux. Un joli bac à sable où l’on déterre qui une pierre précieuse brute, qui un squelette de dinosaure, parfois un vieux jouet cassé datant des années 80, un joyeux foutoir en somme !

Mais cohérent, et c’est bien là la plus grande réussite de l’album. Chaque chanson (on hésite même à parler de morceau ou de titre tant l’écriture force le respect) aborde un univers différent avec une fausse naïveté toute novö (concept inventé par le journaliste Yves Adrien théorisant l’explosion de créativité artistique suscitée par les nouvelles musiques telles que la new wave au début des années 80). Le groupe joue l’équilibriste entre décadence assumée de dandy noctambule et inspiration lumineuse de songwriter compulsif, le genre “il faut que ça sorte mais pas n’importe comment, en attendant ressert moi un Gin Tonic et trouve moi une clope bordel” !

Photographie Eric Nehr

Photographie Eric Nehr

Sphynx ouvre le bal façon synth pop organique à tendance orientalisante, on respire presque l’odeur de poussière chaude qui s’échappe de la machine tandis que la voix de Clémence Quélennec pose son timbre miaulant sur la rythmique hypnotique de ce trip sous acide très explicite. En français dans le texte mais en l’occurrence, cela a peu d’importance tant le voyage est avant tout musical…

Tout le contraire du Vide est ton nouveau prénom, douce complainte acoustique à peine rythmée par un tambourin délicat, comme des gouttes de pluie sur une fenêtre. Ça parle de rupture, de l’après, et ça oublie soigneusement les lieux communs, au point qu’on se demande comment personne n’y avait pensé plus tôt, à ces mots-là.

Où va le monde change encore de décor, du surf bien rétro, une guitare à la Trashmen vient soutenir un flot de mots qui sonne comme une libération pour leur auteur, comme ça sort, sans forcément de rime, jusqu’à ce que la voix féminine vienne apporter une touche d’harmonie. La vache, c’est que la troisième chanson ? Certains tueraient père et mère pour avoir trois singles de ce calibre sur leur album !

Mais attendez, ce n’est pas fini ! Septembre enfonce le clou avec sa mélodie adorablement sucrée, nappée d’un glaçage de réverb maison enivrant et ses paroles à double tranchant qui nous rappellent que ces jeunes gens mödernes ont grandi avec Jacno, Taxi Girl, Daho, mais aussi fort probablement Les Porte-Mentaux et Indochine. Écoutez donc Tatiana et ne venez pas dire que cette basse-là n’est pas familière…

Tout comme celle de S.S.D, errance nocturne disco terriblement déjà-vu. On la connaît la lumière jaune de la rue Saint-Denis à 3h du mat’ avec quelques verres de trop, les trottoirs du Faubourg tellement brillants de pluie qu’ils ont l’air gras… Ce truc de marcher seul après avoir décampé d’un bar quelconque avant (ou après) avoir fait une connerie avec le rythme des battements de son cœur dans les oreilles comme cette boîte à rythme monocorde (forcément) qui semble étirer le morceau à l’infini, brrr… C’en est presque malsain !

Bon, on ne va pas faire la totale, parce qu’entre le rap désinvolte d’Exorciseur, les nappes lysergiques de Vagues, le dub minimaliste d’Elle ne t’aime pas ou le post punk complétement débile de Mycose, il y a de quoi faire avec les seize pistes de ce Mystère qui porte décidément bien son nom. En plus, il est tard.

Au final, La Femme nous gratifie avec Mystère d’un album complet, jamais ennuyeux, résolument moderne qui mérite amplement tout le battage médiatique fait autour du groupe, un groupe qui a beau jeu de faire voler en éclats tous les préjugés un peu faciles que l’on pourrait avoir sur eux… Aucune raison de s’énerver finalement !

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