
La Manufacture du meurtre : H.H. Holmes, l’industriel du crime
Dans son “Château de l’horreur”, Henry Howard Holmes, le premier serial killer américain, a fait disparaître des dizaines de personnes. Cette vaste demeure conçue sur mesure pour mécaniser le meurtre, était située à un jet de tibia des abattoirs de Chicago, à la pointe de la technologie. Comme quoi le hasard fait parfois bien les choses.
Le livre : À la fin du 19e siècle, Henry Howard Holmes (pseudonyme de Herman Webster Mudgett – et non pas Mudget, comme indiqué sur la couverture) a tué des dizaines de personnes dans son étrange “Château” à Chicago. Une demeure conçue sur mesure pour ses sombres desseins et située à deux pas des abattoirs chicagolais. Deux lieux qui furent, chacun à leur manière (mais deux manières pas si éloignées, en définitive) à l’avant-garde de la mécanisation.
Mon avis : H. H. Holmes. Derrière le pseudo assez improbable par son accumulation de “H”, se cache le premier serial killer américain, à qui la presse de l’époque a attribué plusieurs centaines de meurtres et de disparitions. Car l’homme avait de l’appétit et de l’imagination. Ses besoins criminels étaient tels qu’il dut se faire bâtir un “Château de l’horreur” à sa mesure, avec un unique objectif : augmenter le rendement de son activité meurtrière.
Ce n’est pas un hasard si l’apparition du premier tueur en série US soit concomitante de la révolution industrielle des États-Unis. Tout, dans cette vaste demeure comprenant « une centaine de pièces, des appartements et des magasins », est conçu pour fluidifier la « circulation économique des corps », surtout des corps de femmes (notamment de nombreuses secrétaires embauchées pour le seconder dans ses activités diverses et variées), « entre consommation, disparition et fructification de son capital ». Car si Holmes tue, c’est aussi pour s’approprier les possessions de ses victimes. Argent, valeurs, assurances-vie, tout est bon pour assurer sa propre subsistance.
Dans cette « smart house avant l’heure, située dans le berceau de l’industrialisation mondiale à quelques encablures des abattoirs les plus sophistiqués du monde », écrit Alexandra Midal, professeure ordinaire en théorie du design à Genève, « le premier tueur en série de l’histoire des États-Unis fait la démonstration des conséquences d’une mécanisation incontrôlable et en dévoile la part maudite ».
C’est aussi la « part maudite » de la montée en puissance du design que cette spécialiste décrit dans ce petit livre publié par les éditions La Découverte dans la collection Zones. Car Holmes « déconstruit le malentendu originel d’un design angélique ». En cela, il opère comme le “Mr Hyde” de William Morris, entre autres designer textile, célèbre pour son engagement politique “socialiste”. Deux faces d’une même monnaie, celle de la manufacture et du design, ainsi que de leurs conséquences pour l’être humain (l’ouvrier en tête).
« Le Château répond à une logique de la production en série – de la mort comme de la vie. » En ce sens, il est logique qu’il soit à la pointe de l’innovation : un réseau de gaz domestique et d’électricité, des pièces recouvertes d’amiante, un système de contrôle électrique à distance, un four géant, etc. Et ce, alors que la plupart des foyers américains s’éclairent encore à la bougie (faite maison) ou à la lampe à huile. Un détail ? Au contraire, puisque l’imposition du gaz et de l’électricité dans les foyers, gérées par de grandes entreprises, marque l’irruption du collectif dans l’individuel – l’invasion des tentacules de l’industrie au sein de l’intime et du personnel – et la fin de l’autonomie, puisque, pour s’éclairer, on dépend désormais d’entreprises (voire d’un producteur monopolistique).
Sa maison de 15 mètres sur 38 s’étend sur trois niveaux, avec un vaste sous-sol et des systèmes de communication très sophistiqués entre les étages (trappes, parois coulissantes, portes dérobées, escaliers secrets). Son emplacement à proximité des abattoirs de Chicago, modèle mondial de mécanisation et d’optimisation du travail humain, n’est pas gratuit. Ils procèdent tous deux d’une réification du vivant, tant de la bête à abattre que de l’ouvrier qui tue et dépèce à la chaîne. L’auteure établit ainsi un lien entre la maison mortelle de Holmes et « la parfaite neutralité » émotionnelle de la « mise à mort en série » dans les abattoirs. « La pratique de Holmes peut être lue comme une sorte de réplique, au sens sismique du terme, d’une industrialisation imposée au vivant. » Le serial killer s’inscrit ainsi « dans une histoire du paroxysme ».

La série “Sherlock”, S04E02
En ce sens, H. H. Holmes incarne une sorte de mage d’avant-garde. « Au 19e siècle, le démembrement du corps féminin s’était déjà imposé comme le clou des spectacles de magie. » Et Holmes emploie toutes les armes contemporaines pour monnayer ses crimes ; « tel un magicien des temps modernes, il use de la réclame pour tout vendre, jusqu’aux squelettes réarticulés au sous-sol ».
Dans le “Château de l’horreur”, véritable « manufacture du meurtre », rien ne se perd, rien ne se crée, tout se monnaie.
Comme d’habitude, les éditions La Découverte proposent de lire la totalité du livre sur leur site dédié au label Zones, ici plus précisément. Un livre parfois un poil obscur et théorique, et qu’il ne faut pas lire pour découvrir les aspects les plus croustillants de l’affaire : son propos est d’abord de décortiquer les rapports de l’affaire Holmes avec le design et la mécanisation liés à la révolution industrielle américaine. Une belle introduction, en somme, à une thématique forte.
L’extrait : « Le sous-sol, l’espace le plus mystérieux, est le théâtre des opérations les plus sinistres. À 7 pieds sous l’immeuble, il est divisé en plusieurs sections indépendantes dont certaines sont reliées aux étages supérieurs de la maison par un escalier secret et même par un passe-plat. Un crématoire est construit dans le mur et, sous des voûtes en briques, des marches mènent à une sous-cave éclairée aux flambeaux où deux cuves de 6 pieds de long et de 3 pieds de large regorgent de chaux vive ou d’acide dégageant une odeur nauséabonde. Sous une autre voûte, Holmes a diligenté la construction par un menuisier d’une boîte hermétique en pin de 120 centimètres sur cinquante à l’intérieur tapissé de goudron. Munie de poignées, elle sert à transporter les troncs de ses victimes. Enfin, dans un coin sous la glissière qui part de l’appartement privé de Holmes, trône une table de dissection, des instruments de chirurgie et le fameux four aux proportions gigantesques. »
La Manufacture du meurtre
Écrit par Alexandra Midal
Édité par La Découverte dans son label Zones