La Mélodie du bonheur : danse au-dessous du volcan

La Mélodie du bonheur : danse au-dessous du volcan

Note de l'auteur

Dans l’Autriche des années 30, une gouvernante d’enfants s’éprend d’un riche veuf. Mais dans l’ombre, le péril nazi rode… Une comédie musicale transformée en pur objet de mise en scène.

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Toute ma vie, j’étais passé à côté de La Mélodie. Peut-être à cause du plan d’ouverture avec Julie Andrews virevoltant au sommet d’une montagne, à la fois kitsch et sublime, véritable tour de force technique, (comment ont-ils réalisé ce plan qui fonce vers la comédienne, sans aucun à-coup, sans un brin d’herbe qui bouge, alors que la caméra 70 mm doit être posée dans un hélico ?). Ultra-populaire aux États-Unis, La Mélodie du bonheur avait été éreinté par la presse, notamment la grande critique US Pauline Kael qui avait qualifié le film de Robert Wise de « mensonge enrobé de sucre que le public semble disposé à avaler ». En France, depuis 50 ans, on considère ce film, envoyé aux oubliettes du kitsch, avec condescendance, ce qui n’est pas étranger à mon refus de le visionner pendant tant d’années.

 

Nous sommes en 1938, à Salzbourg, au moment de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. Jeune femme fantasque, la jeune et jolie Maria se destine au couvent. Elle n’aime rien tant que chanter dans la montagne, mais ses rêveries et son manque de discipline inquiètent les sœurs de l’abbaye qui lui proposent, avant de prononcer ses vœux, de devenir la gouvernante du capitaine Georg von Trapp, un veuf qui élève ses sept enfants de façon très stricte. Petit à petit, Maria s’attache aux enfants, gagne leur confiance et tombe peu à peu sous le charme du beau capitaine en uniforme, déjà courtisé par une riche baronne. Mais bientôt, les nazis envahissent l’Autriche…

 

Alors oui, La Mélodie du bonheur est une pure comédie musicale. Avant d’être mis en scène par Robert Wise, le musical, avec la grandiose partition du duo Richard RodgersOscar Hammerstein, avait triomphé à Broadway, grâce à une impressionnante série de « tubes » (My Favorite Things, You Are Sixteen Going Seventeen…). Quand on lui propose le film, Robert Wise commence par décliner. Il a déjà ciselé West Side Story et pense avoir fait le tour de la comédie musicale. À Hollywood, tout le monde passe son tour : Stanley Donen, Gene Kelly, George Roy Hill ou William Wyler parti réaliser l’épatant L’Obsédé. Comme son projet avec Steve McQueen La Canonnière du Yang-Tsé est en stand-by, Wise accepte finalement de mettre en boîte La Mélodie. Il a dans sa poche un scénario écrit par Ernest Lehman, l’auteur de North by Northwest (La Mort aux trousses), des moyens considérables et les meilleurs techniciens d’Hollywood, dont Ted McCord, chef-op génial de plus de 150 films dont Le Trésor de la Sierra Madre, À l’Est d’Eden ou La Femme aux chimères. Le film est tourné en 70 mm, avec de nombreux extérieurs (imaginez les difficultés avec cette énorme caméra) et les deux hommes réinventent le cinéma. Car Wise est loin d’être un manchot. Sous-estimé par la critique française qui ne voit en lui qu’un sympathique artisan, le bonhomme a commencé en montant Citizen Kane et La Splendeur des Amberson, d’Orson Welles. En 55 ans de carrière, il a mis en scène des œuvres aussi variées que Nous avons gagné ce soir, La Maison du diable, Je veux vivre ou Le Mystère Andromède.

melodie-2En 1965, Robert Wise est à l’apogée de son talent visionnaire : la lumière, les mouvements de caméra, les cadrages et la gestion de l’espace sont sublimes et vous pourrez difficilement voir un objet de mise en scène plus chiadé cette année. C’est simplement la perfection, une grâce picturale qui propulse la comédie musicale « sucrée » dans une autre stratosphère, un peu à la manière du duo Pressburger-Powell. Les plans vibrent, l’écran devient de plus en plus large et permet au spectateur de s’immerger, de se noyer dans l’image. Simplement extraordinaire. Robert Wise nous entraîne dans un rêve, puis dans la seconde partie, après l’entracte, tout change et le film bascule dans le cauchemar. Des drapeaux nazis apparaissent aux fenêtres et la famille von Trapp va affronter la folie, le mensonge, la trahison, tenter d’échapper à une mort certaine. J’ai rarement vu un changement de ton aussi radical dans un film. On a l’impression que toute la première partie, avec cette douceur de vivre, cette ode à l’amour et au bonheur, n’était qu’une mise en place pour mieux plonger dans cet enfer peuplé de croix gammées où même les enfants peuvent tuer.

 

Qu’ajouter de plus ? La Mélodie du bonheur est adaptée d’une histoire vraie (même si la famille von Trapp ne se retrouvait pas trop dans le film de Wise). Julie Andrews est parfaite, tout comme Eleanor Parker ou Christopher Plummer. Ce chef-d’œuvre a été numéro un du box-office pendant des années et a récolté 5 Oscars (dont Meilleur film et Meilleur réalisateur).

Le film ressort grâce à un distributeur courageux (Lost Films) dans une sublime copie restaurée 4 K.

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USA, 1965

La Mélodie du bonheur de Robert Wise

Avec Julie Andrews, Eleanor Parker ou Christopher Plummer

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