
La Peur : le ventre mou du thriller
Voici un digne (?) représentant de ce « ventre mou » du thriller et de la littérature policière, où les clichés abondent et qui n’est sauvé que par l’éventuel savoir-faire de ses auteurs et autrices. La Peur, un titre nettement survendeur pour un roman insipide, encore plus bourré de clichés qu’une rétrospective de Pierre et Gilles.
L’histoire : Lorsque Lou, encore adolescente, s’enfuit en France avec Mike, son professeur de karaté, elle est convaincue qu’il est l’amour de sa vie. Mais Mike ne tarde pas à montrer son vrai visage. Dix-huit ans (et un procès) plus tard, Lou revient dans sa ville natale et découvre que Mike a engagé une relation avec une très jeune fille.
Mon avis : Il existe une sorte de « ventre mou » de la littérature policière et du thriller, tout un peloton de livres jamais géniaux (même par moments, même sur un malentendu) et même pas mauvais (les nanars, après tout, peuvent être délicieux dans leur nullité). Cette notion de « ventre mou » s’applique à tous les genres littéraires, bien entendu. Et sans doute à tous les domaines de la création.
Les livres que j’ai reçus jusqu’à présent de la collection Black Lab de Marabout relèvent pour la plupart de cette catégorie. Sur les trois volumes que j’ai déjà chroniqués ici, seul un s’en sortait à peu près avec les honneurs : La Perfection du crime d’Helen Fields, rien d’absolument génial ni original, mais un premier roman qui attendait d’être confirmé.
Les deux autres, Dans la brume écarlate de Nicolas Lebel (un thriller parisien avec des vampires : idiot et insipide) et Un homme parfait de Jo Jakeman (une machination cousue de fil blanc) ne valaient pas tripette. Mais ils paraissent remplir une case précise de la production livresque : des « thrillers de gare » inoffensifs, reposants pour les synapses tout en adoptant, bien que très vaguement, un rythme et une tension de roman noir.
Le roman de Jakeman est plus intéressant ici, car il repose lui aussi sur une relation « dominant-dominée » qui s’inverse. C. L. Taylor remercie ainsi, en fin de volume, sa « formidable agente Madeleine Milburn qui, au lieu de s’enfuir en poussant des cris d’orfraie quand je lui ai annoncé vouloir écrire un livre sur l’épreuve de force entre une ravisseuse et son prisonnier, m’a posé les questions qui ont permis à l’idée de prendre forme ». Ladite agente aurait sans dû pousser ses « cris d’orfraie » et « s’enfuir », mais c’est un autre débat. Le livre est là. Parlons du livre.
Dès le début, on se retrouve en terrain archi-connu, à la limite du kitsch. Lou est emmenée par Ben, son amoureux, vers une destination surprise. En arrivant à Douvres, elle flippe complètement. Et l’on comprend vite que cela a quelque chose à voir avec une virée en France, lorsqu’elle était ado, avec un certain Mike. À partir de cet instant, Taylor dévide une bobine déjà bien usée.
Pas besoin de lancer une « alerte spoilers » : rien dans ce roman ne parviendra à vous surprendre si vous avez déjà quelques thrillers à votre tableau de chasse. La seule surprise vient d’une série assez improbable de coïncidences. Mike tourne autour d’une autre ado, l’ex-femme de Mike stalke Lou sur les réseaux sociaux, tout ce petit monde se retrouve au même moment dans la même ville (où Lou revient pour tenter de confronter Mike, après 18 ans, et enfin aller de l’avant dans sa vie), puis tout se resserre autour d’une cage dans un chenil. Twist final qui tombe à plat. The end.
C’est maigre ? Oui, absolument. Rien à se mettre sur la dent côté histoire. La construction est par trop évidente : faire de Lou, enfermée dans une relation avec un homme plus âgé, le garde-chiourme de ce même manipulateur 18 ans plus tard. Et faire se rencontrer trois générations de femmes en partie détruites par cet homme, afin qu’elles collaborent (ou achèvent de se détruire mutuellement ?).
La narration, quant à elle, n’est pas désagréable, on sent que l’autrice a du savoir-faire. La Peur est son 6e roman publié, si l’on en croit son site internet. Elle sait mener son récit, faire croire à ses personnages (même s’ils n’ont rien de renversant ni de particulièrement intense en eux-mêmes), à ses situations… C’est déjà beaucoup, en réalité. Mais cela ne suffit pas à faire un bon roman, loin de là.
Taylor consent visiblement un peu trop d’efforts à donner de l’épaisseur à ses personnages. À Mike, notamment : elle veut en faire l’inquiétant de service, mais on n’y croit jamais tout à fait. Que Mike ne relève pas du « méchant monolithique » n’est pas un mal, bien sûr. Mais il ne parvient jamais à nous angoisser. Ce qui est un comble, pour un roman qui adopte un titre aussi ambitieux que La Peur.
Et c’est l’une des faiblesses majeures de ce livre : son titre. Lorsqu’on promet de raconter – et donc de faire ressentir – la « peur » elle-même, la quintessence de la frayeur, l’angoisse absolue, il faut aller un peu plus loin que ce verre d’eau tiède et vaguement saumâtre. Mike tombe et cogne sa tête sur un tas de briques ? Cela produit « le bruit creux d’une pastèque que l’on écrase par terre ». Un crâne, une pastèque : cela doit faire au moins deux siècles que cette image circule.
Les clichés sont légion. L’homme apparemment évanoui mais qui ouvre soudain les yeux avant de saisir le poignet de l’héroïne… Lou prête à tout avouer à la police et qui, en sortant de la voiture de Ben, est renversée par une autre voiture et termine à l’hôpital… Sans parler des petites répliques éculées de fin de séquence, comme celle-ci, qui clôt un passage où Chloe déprimée, en cours de techno, découpe sa feuille de papier en bandes avec un scalpel :
– C’est ton travail après tout, dit [le prof] en s’éloignant pour vérifier le prototype soigneusement découpé de Kirsteen.
– Ouais, chuchote Chloe en glissant le scalpel dans son cartable. Et c’est ma vie aussi. »
Au passage, c’est fou ce que le hasard fait bien les choses : Chloe pense au suicide et immédiatement, l’univers lui fournit un scalpel avant de la laisser s’enfuir de l’école et se réfugier dans un buisson pour s’ouvrir les veines. Et l’univers ayant un vrai sens de l’humour, il la convainc de se réfugier dans un massif comprenant une certaine plante exotique que l’on ne trouve que dans un parc précis de la ville, ce qui permet à tout le monde de la retrouver en même temps. Dénouement, interrogatoires de police, extrait de procès, la vie ensuite… Merveilleux.
Je ne reviendrai pas sur les contradictions qui émaillent le roman, sur les quelques invraisemblances et sur les situations tirées par les cheveux – une baraque dans la cambrousse, sans réseau, ni wi-fi, ni voisin, cela existe partout, mais cela permet surtout d’installer un décor confortablement théâtral et d’écrire des phrases comme : « Si quelqu’un m’assommait dans mon lit, personne ne m’entendrait crier. » Sans réaliser non plus que, si on est assommé.e dans son lit, on n’a peut-être pas l’occasion de pousser des cris. D’orfraie ?
La Peur
Écrit par C. L. Taylor
Édité par Marabout