
La révolution CSI
Tout le mois de mars, nous reviendrons sur le genre policier à la télévision. Parce que le polar possède de nombreux visages, nous essaierons de rendre compte de sa pluralité et l’importance qu’il a eu à la télévision. Aujourd’hui, place à une révolution récente, fulgurante qui a débuté il y a 15 ans maintenant.
Le 06 octobre 2000 débute sur CBS une nouvelle série policière qui tient en trois lettres : CSI. Derrière cet acronyme, la branche scientifique de la police. « Crime Scene Investigation ». L’idée est simple, montrer ceux qui, habituellement, restent enfermés dans des laboratoires et leur donner le premier rôle. Avec CSI débute une nouvelle ère de la fiction policière à la télévision. Le 06 octobre, personne ne le sait encore mais une révolution vient de débuter.
Si on peut mesurer l’importance d’une série à sa descendance comme à son empreinte sur le genre auquel elle appartient, alors CSI est l’une des séries les plus importantes des années 2000. Le formula cop show du tandem Zuicker / Bruckheimer a imposé un style et placer la science au centre de l’attention. Avec l’avènement CSI, de nombreuses séries ont suivi la marche. Les spin-offs Miami et New-York, les rejetons des productions Bruckheimer (FBI : Portés Disparus, Cold Case : Affaires Classées), les inspirées (NCIS, Esprits Criminels, Bones), la relecture (Dr. House). Un héritage conséquent somme toute logique quand on mesure le succès phénoménale de la franchise.
CSI repose sur une formule simple, efficace et facilement déclinable. Presque une série de laboratoire où l’on dose savamment les éléments dans le but de construire le concept parfait. Si l’on mentionne souvent que la série repose sur les personnages, CSI présente le contre-pied. Ici l’intrigue (ou l’enquête) prévaut. Une déclaration simple mais qui justifie toute l’entreprise. Les personnages sont des instruments ou des outils au service de l’intrigue. Leur importance est moindre que la science, véritable objet principal. Cette inversion des pôles donne à la série un aspect immuable, sans début ni fin où le spectateur peut aussi bien picorer que suivre religieusement. Zuicker et Bruckheimer ont ainsi créé une série sans prise directe avec le temps. Et cette aspect volontairement détaché a paradoxalement mise en route un phénomène d’engouement général.
Hill Street Blues, puis NYPD Blue ou Homicide voyaient dans la série chorale l’illustration du fonctionnement d’un commissariat. Et toutes ces trajectoires se percutaient dans un chaos organisé pour offrir aux spectateur une oeuvre complexe. CSI a simplifié l’exercice, minimisé l’apport de l’humain au profit du geste. Le visage importe peu, ce sont les mains et le savoir qui sont au centre. CSI comme série misanthrope ? La science dans les séries a engendré des personnages souvent en marge. Gil Grissom (CSI), Temperance Brennan (Bones), Gregory House (Dr. House), Spencer Reid (Esprits Criminels), autant d’exemples de femme et d’hommes qui présentent, à différents niveaux, des difficultés d’interactions avec l’être humain. Comme si la série justifiait son apathie par l’emploi de personnages incapables de communiquer.
Aujourd’hui, le royaume CSI s’est éteint. Les deux franchises sont terminées, la série mère semble avoir expirée son dernier souffle et la naissance d’un nouveau spin-off CSI Cyber ressemble à l’énergie du désespoir. Et si la franchise NCIS, Bones ou Criminal Minds perdurent, la série policière est bien en peine de présenter une nouvelle tendance. Pendant une décennie, la galaxie CSI a régné sur le paysage télévisuel américain. Le concept parfait a finalement trouvé ses limites. Le grand héritage de CSI, c’est d’avoir, au même titre qu’Urgences dans son domaine, vulgarisé un langage professionnel quitte à contorsionner la réalité. Les tests ADN, le luminol, sont devenus communs à plusieurs séries policières, même non affiliée à CSI. Jusqu’à pénétrer dans les cours de justice américaine comme le « CSI effect » (les jurés réclamaient des preuves ADN afin de pouvoir reconnaître la culpabilité de l’accusé). La série a révélé tout un univers microscopique où l’infiniment petit recelait d’innombrables secrets. Rien ne disparaît sans laisser de traces. Une affirmation que la série a souvent démontré et dont elle est l’objet aujourd’hui.