
La séance du Père Sheppard : Hommage à Ray Harryhausen, The Beast From 20 000 Fathoms (1953).
Ray Harryhausen est mort. Je ne vais pas vous faire l’affront de vous dire qui il était, ni ce qu’il faisait. Je pars du principe que vous le savez. Je suis sympa et aussi fainéant. L’emprunte qu’il a laissé sur l’histoire du cinéma est exceptionnelle, elle l’est d’autant plus qu’il n’a jamais réalisé un seul film. Pourtant on dit toujours « un film de Ray Harryhausen ». C’est comme si soudainement Star Wars n’était plus de George Lucas mais de John Dykstra, comme si Blade Runner n’était plus de Ridley Scott mais de Douglas Trumbull. Et que l’on ne se méprenne pas, les films de Ray Harryhausen ont eu autant d’importance pour les Lucas, Scott, Spielberg ou Carpenter de l’époque que leurs films le sont pour nous aujourd’hui. On ne parle pas forcément de chef d’œuvre, mais d’emprunte, d’héritage et à ce niveau là, celui de Ray Harryhausen est unique. Cette semaine, je vous propose donc de revenir aux origines de la légende avec un film qui fut en son époque un carton gigantesque et une révolution : The Beast From 20 000 Fathoms.
Le pitch du siècle : Une explosion atomique réveille une créature gigantesque qui se dirige droit sur New York (ta ta tinnnnnnn !!!).
Lorsque les producteurs Hal E. Chester et Jack Dietz ont l’idée d’exploiter la trace laissée par le succès de la ressortie de King Kong en 1952, ils sont probablement loin de se douter qu’ils vont ouvrir une véritable boite de Pandore. Ils achètent ainsi les droits d’une nouvelle de Ray Bradbury, The Beast From 20 000 Fathoms, parue dans le Saturday Evening Post en 1951 et qui met en scène des gardiens de phare en prise avec un dinosaure. De la nouvelle, les scénaristes Lou Morheim et Fred Freidberger ne gardent que l’idée du dinosaure et la scène de la destruction du phare. L’idée est d’avoir un film de monstre à la King Kong, avec moult kaboom, et de baser la promo sur la notoriété du romancier. Au final, Bradbury renomma sa nouvelle The Fog Horn et apparaît au générique pour avoir « suggéré » l’idée du film. La promo fut quant à elle, quand même basée sur la notoriété de l’auteur. Ça arriverait aujourd’hui que tous les cinéphiles geekos auraient déjà vomit tous leur fiel sur les producteurs. Mais à l’époque, ça paraissait normal.
Quand on n’a pas les ronds pour se payer des cadors, on prend leurs assistants. C’est ainsi qu’un beau matin, le chef décorateur français Eugène Lourié se voit proposer la réalisation d’un film de monstre. Même si c’est là son premier film en tant que réalisateur, Lourié est loin d’être un débutant. Chef décorateur attitré de Jean Renoir, le gazier a déjà pas mal de titres impressionnants à son actif, dont La grande illusion, La règle du jeu et Limelight (Les feux de la rampe). The Beast From 20 000 Fathoms va lui permettre d’utiliser toutes ses méthodes de vieux briscards pour parvenir à filmer des scènes « coûteuses » pour presque trois fois rien. A ce sujet, la scène de panique à New York est un exemple magnifique de « cache-misère » dont l’efficacité ne peut que forcer l’admiration. D’ailleurs, j’ai beau essayé de faire passer Chester et Dietz pour des marloux, mine de rien, les gars avaient eu la sagesse de comprendre que The Beast From 20 000 Fathoms allait être un film excessivement technique. Le choix de Lourié, plus technicien que directeur d’acteur, entre complètement dans cette logique.
C’est aussi dans cette même logique que Ray Harryhausen (haaaa enfin !) se voit offrir son premier poste à la tête des effets spéciaux. Le bonhomme connaît son affaire, puisqu’il a appris auprès du plus grand, monsieur King Kong lui-même, Willis O’Brien. Mais le budget de The Beast From 20 000 Fathoms est loin d’être celui de King Kong et Harryhausen se rend rapidement compte qu’il va devoir être inventif. Il en profite donc pour expérimenter une nouvelle méthode d’intégration. Jusqu’ici, on incorporait les créatures via un système de peintures sur glace. Mais cette méthode étant bien trop onéreuse en temps et en argent, Harryhausen opte pour le split-screen, une technique permettant d’intégrer le monstre directement sur la partie filmée en utilisant des caches. Le résultat est si concluant qu’elle permet à la production de multiplier les scènes avec le monstre afin de pallier au coût de sa fabrication. Encore une fois, on est dans une logique de rentabilisation maximale de chaque dollar dépensé. Même si cette logique peut en faire frémir plus d’un, elle permit néanmoins à Harryhausen d’inventer une technique qui allait devenir sa signature, la célèbre Dynamation.
The Beast From 20 000 Fathoms fait un carton à sa sortie en salle. Les gens se ruent pour aller voir cette nouvelle sensation cinématographique. Devant ce succès foudroyant, les maisons de production se lancent toutes dans la confection à la chaîne de films de monstre. L’année suivante, en 1954, Ishirô Honda sort une version japonaise de The Beast From 20 000 Fathoms, et lance ainsi la carrière du mythique Godzilla. La peur de l’arme atomique, jusqu’ici peu abordée au cinéma, devient le sujet d’inquiétude et de paranoïa en tous genre le plus représenté au cinéma. Il dépasse même le cadre du film de monstre pour faire une incursion dans le polar avec le légendaire Kiss Me Deadly, de Robert Aldrich (1955). Mais plus important encore, The Beast From 20 000 Fathoms ouvre une nouvelle ère. Une ère de contes, de légendes, d’aventures et de rêves, l’ère des films de Ray Harryhausen.
Magnifique!
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