
La Séance du Père Sheppard : The Haunting, de Robert Wise (La maison du Diable, 1963)
Vu que la mode du film de fantômes ne semble pas prête de s’éteindre, j’ai décidé, dans ma grande mansuétude, de marquer le coup en vous présentant deux films du genre, sans doute parmi les plus grands à jamais avoir été réalisé, deux chef d’œuvres, fondateurs de presque tous les films d’épouvante modernes, et qui à ce titre, ont su garder malgré leur âge avancé, un bon petit goût de flippe pas dégueulasse. On commence tout de suite avec le monstrueux The Haunting, de Robert Wise (dont l’ami Gilles Da Costa a conspué le remake, à juste titre), et ça me permet du coup de rendre hommage à Julie Harris qui s’est éteinte il y a quelques semaines de cela.
Le pitch de la peur : Afin de poursuivre ses expériences de parapsychologie, le professeur Markway (Richard Johnson) réunit un groupe de personnes dans un vieux manoir réputé hanté.
A peine vient-il de boucler West Side Story, que Robert Wise travaille déjà à la production de The Haunting. C’est Nelson Gidding (The Andromeda Strain) qui est chargé d’adapter le roman de Shirley Jackson, The Haunting of Hill House. Les deux hommes passent un long moment chez la romancière afin de discuter du scénario. Gidding voulait faire de l’état dépressif d’Eleanor Lance (Julie Harris) l’élément clef du récit. Selon lui, les évènements paranormaux ne sont que la manifestation de son déséquilibre psychologique. Mais pour Shirley Jackson, il ne fait aucun doute que son roman appartient au fantastique et donc que la maison est belle et bien hantée. Wise décide de couper la poire en deux de façon à ce qu’au final, le doute subsiste.
Car, ajoutée à l’envie évidente de transposer cette histoire à l’écran, Wise avait aussi dans l’intention de faire de The Haunting un hommage à Val Lewton, l’homme grâce auquel il devint réalisateur. Alors à la tête de la horror unit de la RKO, Lewton partageait la théorie selon laquelle l’invisible fait plus peur que le visible (depuis le temps qu’on vous le répète !). Pour Wise, le fait que l’on ne sache jamais vraiment si la maison est réellement hantée, va lui permettre d’appliquer à la lettre la théorie de son mentor. Pour ce faire, il va user de tous les moyens disponibles à l’époque pour quasiment créer une bible cinématographique sur les milles et une façons de suggérer une « présence » au cinéma sans jamais la montrer.
Il commence par le décor. Extérieur comme intérieur, son choix est primordial pour instaurer de manière rapide et sans appel une ambiance. Wise envoie son chef décorateur Elliot Scott faire le tour de toutes les maisons anglaises réputées hantées. Son choix s’arrête sur Ettington Hall dans le Warwickshire, contrée de William Shakespeare. Une demeure gothique typiquement anglaise mais qui a la particularité d’avoir été rénovée tant de fois, qu’elle présente sous certains angles, des architectures contraires, comme autant de vestiges d’époques diverses. Pour accentuer sa structure massive et ses contours rugueux, Wise et son chef opérateur Davis Boulton décident de tourner les extérieurs avec un film infrarouge. Le résultat est saisissant. L’infrarouge, souligné par le noir et blanc, donne aux pierres une striation telle qu’on les croirait vivantes. Les fenêtres, elles, apparaissent comme autant de yeux surveillant les faits et gestes des protagonistes. Toujours sous la houlette d’Elliot Scott, les intérieurs sont conçus pour être très éclairés, sans coin sombre ni repli et chaque fois fermés d’un plafond afin d’accentuer la sensation d’enfermement déjà suggérer par l’histoire.
Wise et Boulton de leur côté veulent que les décors, et notamment les couloirs, aient l’air plus grands que la normale. La focale de 40 mm ne donnant pas de résultats suffisamment convainquant, Wise prend le risque de tourner ses scènes avec un objectif anamorphique encore expérimental de 30 mm. A cela, il ajoute un sens du mouvement presque constant, multipliant les panoramiques et les longs travellings de façon à augmenter le malaise du spectateur et l’aspect « organique » de la demeure. Il use et abuse des nouvelles distorsions offertes par l’objectif Panavision et n’hésite pas à exagérer certains travelling jusqu’à se coller au personnage pour soudainement s’en éloigner. Aidé d’un montage vif et acéré, Wise joue constamment avec les repères, brise les codes d’entrée et de sortie, éclaire une fenêtre et plonge les autres dans l’obscurité. Au final, le spectateur ne saura jamais précisément où il se trouve, ni à quel moment de la journée. Touche finale et grandiose de son monument de l’épouvante, Wise accompli avec A.W. Watkins, un travaille sur le son absolument phénoménal pour l’époque. Comme pour l’image, le son joue aussi constamment sur le contraste, passant d’un extrême à l’autre, parfois certes dans le but de provoquer un sursaut, mais aussi et surtout dans celui d’installer petit à petit un malaise grandissant.
Angle anamorphique, jeu d’éclairage, mouvements de caméra à outrances, montage volontairement violent, perte des repères, travail sur le son, nous en sommes en 1963 et Robert Wise vient d’établir les codes techniques du cinéma d’épouvante moderne, et par extension ceux du jeu vidéo aussi. Il est impressionnant de voir à quel point, tous les films de genre respect encore ces codes, quelque soit l’univers et quelque soit la menace. Bien évidemment, c’est encore plus visible dans les films de fantômes, mais quelque part même les films de monstres, tel que Alien, reprennent presque à la lettre la charte technique établi par le réalisateur américain. The Haunting est un travail fascinant sur ce qu’est la peur au cinéma, une base à partir de laquelle d’autres réalisateurs ont pu construire leur propre univers et ainsi faire flipper des générations entières de spectateurs.
Super article ! J’ai appris plein de choses sur un film que j’adore, que demander de plus.
Merci.
Un super film mais qui a pris un certain coup de vieux quand même.
En même temps, vu sa date de sortie, peut-on vraiment lui jeter la pierre, Pierre ??
Il restera un des classiques du genre en tout cas, et je le préfère largement aux « Innocents » de Clayton.
Merci beaucoup cet article ! Pourrais tu donner la source de tes infos ? Il y a tellement peu de livre sur Wise que pour les fans ça peut être intéressant 😉