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La Séance du Père Sheppard : The Heiress, de William Wyler (L’héritière, 1949)

La Séance du Père Sheppard : The Heiress, de William Wyler (L’héritière, 1949)

Après un hommage mérité au regretté Ray Harryhausen et une séance spéciale Cannes (Khaaaaaan !!!!) consacrée à Othello de Welles, il est temps de reprendre le cours normal de notre programme. Cette semaine, on va causer d’un film dont j’avais prévu de vous parler il y a plusieurs semaines déjà, et même avant cela. Donc, sans plus attendre, après avoir été repoussé de plusieurs jours, voire même semaines, voire même années, encore quelques mots et on y est, si, si je vous jure, je le vois là-bas, il arrive, il est là, il est né le divin enfant, jouez hautbois, raisonnez musette, tata yoyo, qu’est-ce que t’as sous ton grand chapeau… Voici The Heiress (L’héritière), un film de William Wyler.

Alors en fait, c’est l’histoire de : Catherine Sloper (Olivia de Havilland) vit dans une riche demeure de New York sous la coupe d’un père tyrannique. Au cours d’un bal, la jeune fille timide et sans grands attraits, fait la rencontre de Morris Townsend (Montgomery Clift) qui lui fait immédiatement la cour.

Comment transformer une innocente jeune fille en peau de vache. Ainsi pourrait-on résumer l’histoire de The Heiress, tiré du roman d’Henry James, Washington Square. C’est Olivia de Havilland qui fut à l’origine du projet. Bouleversée par la version théâtrale de Ruth et Augustus Goetz, elle s’empressa de proposer à William Wyler et à la Paramount d’acheter les droits de la pièce. Wyler fut rapidement convaincu qu’il y avait de quoi en faire un film et obtint même un contrat de scénaristes aux époux Goetz afin qu’ils puissent adapter leur pièce eux-mêmes pour le grand écran. Il faut dire qu’à l’époque, William Wyler était sans doute le réalisateur le plus célébré et le plus libre d’Hollywood, l’un des rares à posséder le fameux « final cut ». Mais si la présence d’Olivia de Havilland était aussi un gage de succès, Wyler savait qu’il fallait néanmoins lui coller des pointures en guise de partenaires.

Pour le rôle du père tyrannique et plein aux as, Wyler choisit l’acteur légendaire anglais, Ralph Richardson (pas encore Sir). Dans le livre de Jan Herman sur le réalisateur, Wyler décrit le jeu de Richardson « (…) comme une symphonie. C’était à chaque fois aisé, une perfection absolue dans les mouvements, et à chaque fois un tout petit peu différent. Je me suis rendu compte que c’était le genre d’acteur qui n’avait pas besoin de metteur en scène. Il rentrait sur le plateau comme s’il y avait vécu pendant vingt ans ». Pour de Havilland, en revanche, l’expérience est nettement plus éprouvante. Elle parle du comédien comme de quelqu’un d’égoïste, voire d’antipathique qui n’hésite pas à l’écraser pour lui « voler » la vedette. On ignore si l’attitude détestable de Richardson visait à mettre sa partenaire en condition, mais toujours est-il que la tension entre les deux acteurs est presque palpable. Catherine Sloper se fait littéralement piétiner par ce père imbu de lui-même et perdu dans une relation fantasmée avec sa défunte femme ; la mère de Catherine donc, avec qui il n’a de cesse de la comparer pour pouvoir mieux la rabaisser.

Pour interpréter le rôle de Morris Townsend, Wyler pense d’abord à Errol Flynn qui décline l’offre. Le réalisateur opte alors pour Montgomery Clift, un jeune acteur en plein processus de starification, et n’hésite pas à totalement transformer le personnage du livre pour qu’il colle plus au style du comédien. Il gomme ainsi quasiment tous les traits du coureur de dot classique pour en faire un héros plus ambigu, plus subtil et de fait plus marquant. La performance de Clift parachève le tout. Son charme, son jeu à la fois simple et intense, font de Townsend un personnage pour lequel le spectateur se prend d’une réelle empathie. Au point de le faire douter jusqu’à la fin que Morris Townsend ne fusse qu’un simple coureur de dot. Mais là encore, l’attitude de Clift sur le plateau est une épreuve pour Havilland. Outre les nombreux problèmes qu’il a avec le réalisateur, l’acteur s’attaque aussi directement au jeu de sa partenaire, qu’il ne supporte pas. Il va même jusqu’à l’ignorer pendant les scènes qu’ils partagent. Ce dont elle ne se rend pas encore compte, c’est que comme ceux de Richardson, les caprices de Clift vont l’aider à construire l’une des plus grandes compositions de sa carrière.

Car ce qu’Havilland traverse au cours du tournage est en tout point similaire au chemin parcouru par Catherine Sloper. Toutes deux sont des femmes en quête d’ailleurs, Havilland n’acceptait que des rôles de plus en plus difficiles. Toutes deux sont prises en étau par deux hommes qu’elles jugent plus intelligents, plus dignes d’intérêt qu’elles. Toutes d’eux se laissent dominer par leur volonté et leur ego démesuré. Il est incroyable de voir une actrice de la stature d’Olivia de Havilland littéralement disparaître face à ses deux partenaires. Elle apparaît le visage ridé, fatigué, les épaules creusées, elle fait tout pour s’enlaidir. Catherine Sloper est une jeune fille insignifiante que personne n’aime, pas même son propre père.

Wyler fait d’ailleurs de ce non amour, la colonne vertébrale de son récit. Il compose des plans qui n’ont de cesse d’éloigner les personnages les uns des autres, il joue avec les perspectives, rabaissant le plus possible Catherine mais ne la quittant jamais des yeux, comme pour ne rien perdre de sa déchéance. Il épuise Olivia de Havilland, il la pousse à bout. Ce n’est plus un tournage, c’est un calvaire, un chemin de croix qui va se terminer en haut d’un escalier, dans le noir, à la fin d’une scène époustouflante où la pauvre Catherine voit son cœur définitivement brisé, crucifié, sacrifié sur l’autel de l’égoïsme (putain, que c’est beau !).

Comment transformer une innocente jeune fille en peau de vache, vous disais-je au début. Je vous laisse découvrir la transformation, la métamorphose qui est l’une des plus belles, des plus saisissantes de l’histoire du cinéma. Toujours est-il qu’une fois de plus, William Wyler venait de réaliser un carton qui sera célébré aux Academy Awards par 4 oscars, dont celui de la meilleure actrice pour Olivia de Havilland. Un oscar doublement mérité lorsque l’on sait ce qu’elle venait de traverser. Et si certains doutent encore que la jeune Melanie Hamilton de Gone With The Wind ait pu être une immense actrice, je gage que le visionnage de The Heiress les fera changer d’avis au plus vite.

Cette Séance a été écrite avec la complicité de Cliff Martinez et de son OST jubilatoire pour le non moins jubilatoire Only God Forgives. On en recause prochainement dans la MMR.

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