La valse des bambins (Kidding S2 / Showtime / Canal+)

La valse des bambins (Kidding S2 / Showtime / Canal+)

Note de l'auteur

Si pour vous le retour de Jim Carrey sur les écrans se limite à son rôle de Dr Robotnik dans le film Sonic the Hedgehog, réjouissez-vous: depuis septembre 2018, l’acteur tient le rôle principal de Kidding, une série du network Showtime mettant en scène le présentateur d’une émission pour enfants que n’aurait pas renié un certain Mister Rogers. Une série passionnante à plus d’un titre puisqu’elle convoque des thématiques fortes sur l’enfance et son rapport au monde contemporain.

Le choix de Jim Carrey pour incarner ce personnage n’est absolument pas anodin. Beaucoup le connaissent pour ses rôles comiques, capable de contorsionner son visage et afficher quelques grimaces fantastiques. Mais Jim Carrey, c’est aussi un acteur talentueux, jouant allègrement sur sa capacité à faire rire pour aller chercher d’autres émotions et émouvoir, le plus souvent. The Truman Show, Man on the Moon ou Eternal Sunshine of the Spotless Mind, une pléthore de films où l’acteur a su prouver ses immenses qualités. Et c’est cette facette-là qui va illuminer et donner toute la force émotionnelle de Kidding.

L’idée de la série est de questionner le spectateur sur l’image d’une personnalité s’adressant aux enfants et sur son influence à travers les médias, surtout à notre époque. A l’heure où l’innocence a fait son temps, où chacun a accès aux réseaux sociaux à n’importe quel âge, comment transmettre des valeurs morales à travers un écran ? Lorsque la série débute en 2018, Mr Pickles est aussi populaire et réputé qu’une figure symbolique comme Mister Rogers, devenant une véritable institution et une marque vendue à travers le monde. Son père (Frank Langella) prend les décisions pour assurer la pérennité commerciale de l’émission et sa sœur (Catherine Keener) se charge de concevoir toutes les marionnettes et autres costumes qui occupent l’émission. La saison 1 racontait comme Jeff Pickles tentait de faire le deuil d’un de ses fils en même temps que la séparation avec son ex-femme (Judy Greer). Dans un souci d’honnêteté vis-à-vis de son public, il se met en quête de raconter ce qu’il traverse à travers son émission. Il se retrouve face à un mur: celui d’une époque qui préfère tout censurer et protéger ses futures générations en les préservant de ce qui pourrait les aider à se construire.

Si Jeff Pickles est aussi intéressant, c’est par ses convictions aveugles et sa vision biaisée du monde. La saison 1 permettait de se rendre compte que Jeff n’est pas forcément déconnecté de ce qui l’entoure, mais la tragédie qu’il a subi l’a tellement touché que sa boussole morale en a pris un coup. Jusqu’au bout de non-retour et ce pétage de plomb en fin de saison 1. C’est directement sur ce point de départ que cette nouvelle fournée d’épisodes commence. Une suite directe, donc, et c’est bien là le principal défaut de cette nouvelle saison: en voulant trop s’appuyer sur les événements de la saison 1, on tombe dans une redite assez frappante qui marque très peu d’évolutions. Que ce soit la relation avec son entourage ou la volonté de toujours s’adresser plus librement aux enfants, en utilisant avec intelligence des innovations de notre temps – ici, les objets connectés – Kidding tourne un peu en rond et raconte plus ou moins la même chose: savoir faire la part des choses entre ce qu’il faut dire ou pas, ce qu’il faut garder pour soi ou parvenir à dévoiler ses sentiments au bon moment. Pire encore: là où les premiers épisodes arrivaient à mettre en scène le public de Pickles grâce à des mises en scènes ingénieuses et bien trouvées (la fan invétérée, les voleurs de voitures, le copieur d’Europe de l’Est), cette saison 2 s’enferme un peu trop sur ses personnages principaux, et il est plus difficile de voir les conséquences des choix de Jeff sur le monde de Kidding, mis à part un fou à lier et quelques coups de fils de parents mécontents.

C’est d’ailleurs dommage de voir certaines dynamiques amoindries à cause de ça. La relation entre Jeff et son père était l’un des moteurs de la saison 1, une confrontation passionnante entre deux idéaux, le commercial et l’artistique. Ici, « Seb » Piccirillo est assez vite mis de côté par le scénario pour rester dans les coulisses. Heureusement, il revient à la charge sur les derniers épisodes à travers une sous-intrigue réellement touchante, qui arrive à mélanger des thématiques sur la mémoire et le pouvoir des souvenirs sur le bien-être des gens.

Et cette saison 2 n’est pas avare en excellentes idées pour développer son univers intrinsèque. Si on apprécie toujours ces introductions surprenants et habiles, Kidding se démarque encore une fois par cette folie douce qui habite chacun de ses épisodes, qui parvient à faire cohabiter une poésie sincère avec parfois du politiquement incorrect surprenant. Ce n’est jamais gratuit et ça permet souvent de proposer un univers visuel riche. On pense à cet épisode entièrement réalisé comme l’émission de télé de Mr Pickles pour aborder le sujet du divorce, se payant même une guest en la personne d’Ariana Grande, ou encore cette séquence lunaire d’une fête luxuriante sur un vieux bateau de pêche perdu dans les mers asiatiques. Il y a également cette magnifique transition passant d’une chambre d’hôpital à un décor luxuriant en pleine anesthésie général de Jeff. Une créativité sans bornes qui colle à la fraîcheur de ce que Kidding apporte.

Au final, si Kidding saison 2 n’arrive pas à transformer l’essai de la première saison en tentant d’aller sur des terrains plus risqués et ne fait que timidement poursuivre ses arcs scénaristiques, la série garde sa fraîcheur grâce à son impertinence presque poétique. Rien que pour le plaisir de voir Jim Carrey évoluer dans un cadre qui lui sied parfaitement, Kidding vaut le coup d’œil. Michel Gondry est toujours producteur de la série (et réalisateur le temps d’un épisode) et ça se sent, et permet à la série, malgré sa perte de vitesse et quelques personnages moins intéressants, de rester dans la course en attendant une saison 3 qui saura, peut-être, partir sur de nouvelles bases sans perdre ce qui rend la série unique.

KIDDING (Showtime) Saison 2 en 10 épisodes.
Diffusion sur Canal Plus Séries
Série créée et écrite par Dave Holstein
Épisodes réalisés par Michel Gondry, Jake Schreier, Minkie Spiro, Bert, Bertie, Kimberly Peirce
Avec Jim Carrey, Judy Greer, Frank Langella, Catherine Keener, Cole Allen
Musique originale de David Wingo

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