
La vie et rien d’autre (critique d’Interstellar, de Christopher Nolan)
Alors que la Terre vit ses derniers jours suite à l’épuisement de ses ressources, une mission spatiale est secrètement envoyée par la Nasa pour plonger au coeur d’un trou de ver repéré à proximité de Saturne et rejoindre à l’autre bout de la galaxie d’éventuelles planètes habitables. Cooper, un ex-pilote devenu fermier, dirige l’expédition baptisée Endurance. Mais lui et son équipage ne sont pas au bout de leurs surprises… Adulé ou détesté, Interstellar offre une expérience pareille à nulle autre et malgré ses évidentes imperfections, il nous emmène très, très loin dans son épopée spatio-temporelle.
Comment juger Interstellar ? Comment appréhender ce gigantesque morceau de film, aussi imparfait qu’admirable, aussi intime qu’infiniment grand, aussi limpide que souvent proprement imbitable ? Comme à l’accoutumé, Chris Nolan et son co-scénariste Jonathan nous ont plongé dans un labyrinthe manipulateur où, plus ou moins adroitement, la fratrie distille des bouts d’informations cryptées qui ne prendront leur sens que dans les dernières bobines. Les plus malins ont d’ailleurs tout de suite percé le twist majeur du film à l’avance grâce à ces indices – autant vous le dire : moi pas, je me suis fait avoir comme un bleu-bite.
La démarche nolanienne divise. Bien plus encore qu’Inception, Interstellar polarise les avis et attire sur lui les déclaration les plus énamourées que les diatribes les plus haineuses… Certains confrères, notamment chez les pères de famille, ont été émus aux larmes. D’autres ont violemment fustigé l’arrogance, la prétention, les incohérences, la froideur de l’entreprise et son incapacité à susciter l’émotion. Ici, on peut lire qu’Interstellar est le meilleur film de Chris Nolan, là son pire. Qui a raison ? Où se situe la vérité ? Enfonçage de porte en chêne massif : c’est le propre d’une oeuvre de fiction et d’un film en particulier d’être reçu diversement à l’aune de la subjectivité de chacun, mais j’ai l’impression qu’Interstellar échappe encore plus qu’aucun autre au jugement rationnel. Il projette ses ambitions tellement loin en matière scientifique, comme dans sa tentative d’intégrer dans un même corpus opérationnel l’amour et la raison qu’il marche en permanence sur le fil qui sépare le grandiose du grotesque. Interstellar est un film fragile et facile à disqualifier pour ces excès.
Et pourtant : de ce côté ci du cosmos, sur la petite planète rouge d’où émet votre site bien aimé, l’épopée des Nolan brothers a fait tilt chez notre Thibaud Smithee et même notre bon Dr No. Et chez moi itou. Ha oui j’emploie forcément la première personne du singulier pour juger Interstellar et je crois que de toute façon, il m’est désormais impossible d’écrire une critique autrement. Je suis personnellement souvent désarmé face à un mille feuille scénaristique comme celui d’Interstellar. Pour un esprit congénitalement rétif au jargon scientifique comme le mien, l’avalanche de dialogues d’exposition dont nous abreuve Interstellar sur les principes de distorsion temporelle relève d’un smog conceptuel quasi indéchiffrable. Les Nolan ne font aucun effort pour le rendre spécialement accessible, ni pour rendre leur récit confortable. On attendait une épique odyssée chariant les figures imposées du voyage spatial – le lancement de la fusée, de larges plans séquence cosmiques sur fond de partition orchestrale zimmerienne, une approche plus linéaire… Rien de tout ça. La narration bascule directement de la Terre aux étoiles dans une magnifique ellipse évacuant toute pompe inutile, les panoramas du Grand Noir, pour éblouissants qu’ils soient, s’avèrent souvent étrangement courts, cuttés avant que la rétine n’ait vraiment le temps d’en profiter. La partition de Zimmer louche carrément sur les orgues intimidants de Philip Glass plutôt que ses habituelles tempêtes symphonico-electroniques. Interstellar est un film inconfortable.
Un ressenti anxyogène traverse ce voyage vers l’infini et au-delà. Pas une angoisse brutale à la Gravity, auquel il est aussi vain de comparer Interstellar que de comparer Star Wars et 2001, mais une sensation beaucoup plus insidieuse, diffuse. Les brasiers consumant des hectares entiers de terre malade, les hommes réduits à ne plus se nourrir que de maïs, une Humanité agonisante qui a dû renoncer au rêve spatial et au progrès scientifique pour se concentrer sur l’agriculture… La proche Apocalypse s’apprête à nous submerger aussi sûrement qu’une de ces lames de fond géantes qui balayent l’une des planètes visitées par la mission Endurance. Il y a urgence à aimer et confier en l’instinct amoureux les choix les plus cruciaux à effectuer pour la survie de l’espèce. Cette dernière dimension a valu au film ses critiques les plus acerbes et de fait, elle occasionne certaines des répliques les plus casse gueule de cette grandiose épopée, notamment un monologue désarmant de candeur d’Anne Hathaway. Interstellar ne ressemble à aucun autre space opera de l’Histoire du cinéma. Aucun. Certes, son introduction terrestre, rurale et icônique à souhait, renvoie à L’Etoffe des héros, tout comme Cooper entretient plusieurs points communs avec le Chuck Yeager du chef-d’oeuvre de Kaufman. Deux pilotes qui ont incarné l’âme et le coeur des pionniers de la conquête du ciel, deux purs symbolisant des valeurs qui font la noblesse de l’Homme. Certes encore, on songe inévitablement à 2001 et au silence assourdissant de son vide spatial, encore plus fidèlement respecté ici que dans Gravity. Mais pour le reste, l’alliage entre les éléments Spielbergiens du scénario original (conçu à l’origine pour être mis en scène par l’auteur d’E.T) et la relecture nolanienne plus machiavélique aboutit à une saga hybride totalement inédite.
Le 2001 de Kubrick montrait un ordinateur contaminé par des sentiments humains face à des hommes désespérément froids et mécaniques. Dans Interstellar, Nolan remet les pendules à l’heure : l’Homme ne peut pas échapper à son besoin d’amour et de lien, ni à l’inextinguible nécessité de vivre avec l’autre, pour l’autre. Chacun des personnages principaux du récit est au final mû par cette dynamique et c’est uniquement d’elle que viendra notre salut. Flamboyant melo familial, tiré par la relation filiale poignante entre Cooper et sa fille Murphy (incroyable gamine Mackenzie Foy), Interstellar échappe au jugement définitif et instantané. Il se vit, se ressent, il vous transperce de part en part et vous retourne comme une crèpe, bombardant le cerveau d’une multitude de détails narratifs et sensoriels dont le décryptage nécessite forcément une seconde vision. Son sérieux n’empêche pas un humour marginal bienvenu, en la “personne” du droïde attachant et malicieux (mais jamais mièvre) TARS, joli hommage à une certaine SF des seventies. Nolan a par ailleurs littéralement inventé des formes sur Interstellar, notamment dans son climax plongeant nos yeux dans un affolant puzzle visuel dont l’ambition n’est rien moins que matérialiser le temps. Matérialiser le temps !!! Une idée de cinéaste incommunicable par les mots, vous devrez le voir pour le croire.
Interstellar ne m’a pas ému aux larmes. Malgré tous les efforts déployés par Nolan pour susciter l’émotion, malgré les sanglots (un peu trop surjoués) de McConaughey, les personnages ne m’ont pas suffisamment touché pour m’emporter avec eux. Et pourtant, Interstellar est un film admirable, fascinant. Son scénario à trous (comme toutes les histoires de paradoxes temporels) et son plafond de verre émotionnel ne m’ont pas empêché de finir le film en apensanteur, la tête et les sens dans le cosmos de très longues minutes après la sortie de la salle. En presque trois heures, j’ai eu vraiment l’impression d’assister à la fin de notre monde. De frôler les anneaux de Saturne, immenses, majestueux. De me poser sur une planète lointaine, balayée par des tsunamis de la taille d’une montagne. J’ai vraiment cru voir un trou de vers, puis un trou noir au fond duquel ma perception de l’espace temps a volé en éclat. Je me suis même questionné sur le sens de ma propre vie, dites donc ! Bref, j’ai voyagé. Je n’étais plus dans une salle de cinéma, mais je vivais littéralement le film. En cette ère où les rêves de grand spectacle cinématographique sont désormais cernés par les machines super huilées de Marvel et autres Transformers, la mission Nolan nous offre un inestimable bol d’oxygène. Nolan est l’un des derniers fous en activité à Hollywood, le seul à nourrir l’ambition d’offrir au public une évasion XXL échappant au formatage des franchises, tout en stimulant notre intellect. Je ne sais pas vous, mais pour moi une pareille expérience n’a pas de prix.
INTERSTELLAR, de Christopher Nolan (2h49). Scénario : Jonathan Nolan, Christopher Nolan. En salles.
Moi rien que la scène de l’amarrage du vaisseau à la station en rotation, j’applaudis, j’essuie mes larmes et je peut partir le coeur en joie.
La fin est ultra-neuneu et tien aussi bien debout qu’un cul de jatte mais bon, c’est Nolan c’est un cartésien contrarié, il aime aborder les thèmes les plus incertains de la connaissance humaine (le sub-conscient, les trous noir) mais veut toujours tout expliquer de façon ultra rationelle et logique. Ce qui m’avait déjà un peu saoulé dans Inception. Il devrait prendre un peu de J.J Abrahams (mais pas trop!)
Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi mon Plissken, mais depuis hier soir, je me retourne comme toi le cerveau pour essayer de comprendre pourquoi j’ai aimé ce film malgré ces défauts.
Trop long, certes, le passage de Matt Damon n’est pas très utile selon moi et représente une partie du film déjà vue et très classique dans les record dramatiques.
Le reste c’est un ovni de film ! Est ce que tu as remarqué à quel point le point de vue du film est celui des hommes. Très peu de plan larges, pas de plan d’installation en grand angle. Sur une base secret de la nasa. On ne voit qu’une grille de nuit, un bureau et les balcons en béton d’une structure qu’on imagine large. Idem dans l’espace, quelques rares et beaux plans autour de saturne. La terre est réduite à une maison entouré de champs de mais et quelques plans de ville sous une tempête de poussière.
Tout le reste est très serré, vu à hauteur d’yeux, peut de profondeur.
C’est un choix forcement, surement celui de vouloir nous faire vivre une aventure à une échelle réaliste et humaine. Mais c’est assez gonflé et rare pour être souligné.
C’est l’anti « gravity » flamboyant, c’est volontairement sobre, presque de l’anti spectacle. En tout cas le spectacle est ailleurs.
Je trouve ça soulant d’entendre partout que Nolan est une des dernières personnes à Hollywood à avoir de l’ambition et de l’audace parce que c’est pas le seul, c’est juste que c’est le seul qui a cette liberté. Christopher Nolan a la chance d’avoir un studio qui le soutient et qui le laisse faire des folies.
Je suis sur qu’il y a pleins de réalisateurs qui ont les mêmes ambitions et audaces que Nolan mais qui n’ont pas la chance de tomber sur des personnes qui le soutiennent.
Et ça serait bien qu’on leur laisse cette possibilité.
Les faits montrent que c’est le cas, Nolan est un des rares à nous offrir des films ambitieux à gros budget. La liberté il s’est battu pour l’avoir au fil de ses films, elle n’est pas tombée du ciel.
Sur la critique, déjà pu le dire sur Twitter, elle est à la hauteur du film. Tu retranscris bien le ressenti du film, et pour tout dire je suis encore plus enthousiaste et impressionné par le film, et toujours plus par Nolan. Il fait un film sacrément couillu, et va jusqu’au bout de sa logique. Du vrai grand cinéma respectable au plus haut point.
Tu veux dire que tu as trouvé les films précédents ambitieux ? Dark Knight ou Inception ? Et pas des gloubiboulga banals et peu inspirés sur des thèmes (dans le cas d’Inception) eux vraiment inspirants — simple prétextes pour balancer de la CGI, des courses poursuites et des explosions ?
Comparons Paprika à Inception, qu’a apporté Nolan sur le thème de l’inconscient onirique par rapport à Satoshi Kon ? A ma connaissance rien. En revanche, qu’est ce qu’il a retranché : toute la profondeur, la subtilité, la réflexion, l’imagination, le surréalisme — au profit d’une intrigue policière à la con,, d’un univers onirique linéaire qui n’a strictement aucun rapport avec la réalité du rêve que nous connaissons tous et d’un gros pompage du dénouement du Solaris de Sodderbergh.
Ici, en lisant entre les lignes, je comprends que – comme pour Inception -nous avons un enième film d’un réalisateur qui prétend faire de la SF, sans assumer le genre SF, pour nous pondre une enième réflexion banale terrestre sur le sens de la vie ?
Les derniers films ambitieux de Nolan, c’était Memento et The Prestige, tous deux des idées de son frère, qui est également parvenu avec sa série à lui à faire quelque chose d’infiniment plus intéressant et profond que les 3 films pyrotechniques Batman de son réalisateur de blockbuster de frère.
Nolan assume totalement le côté SF, il y amène juste d’autre choses dans Interstellar.
Je ne suis pas du tout d’accord avec pas mal de choses que tu dis, et je respecte ton avis malgré le mépris évident que tu sembles avoir pour le travail récent de Nolan, mais chacun sa vision.. Oui je pense fermement que Nolan, dans la génération récente est un des rares à mêler blockbuster grand public et ambition.
PS: mêler Nolan aux CGI quand on connaît le Monsieur, et sa façon de travailler, est assez drôle.
Malgré tout le respect que j’ai pour Nolan et une bonne moitié du film, je n’ai pu m’empêcher de rire face à la connerie monumentale du « love conquers all » final qui m’a rappelé certains frissons de la honte shamalayanesque.
Ajouté à cela quelques scènes super bancales et un « mystère » qui s’évente dès le premier quart d’heure, ce qui devait être le grand film de SF de Nolan est pour moi un ratage, pas total, mais ratage quand même.
Tellement d’accord avec Sheppard: Un twist téléphonè (grillé direct 🙁 ), un propos de fond (ah, l’amour ….) un peu vain, des incohérences (y’a besoin d’un lanceur pour quitter la terre, mais d’une simple navette pour quitter une planéte ayant plus de gravité que sur terre ???.
Il reste tout de même de trés bonnes choses.
« Nolan est l’un des derniers fous en activité à Hollywood »…
Avec Michael Bay of course. Je sors ??
« C’est l’anti « gravity » flamboyant »
Cher Arnaud, « Gravity » est un chef-d’oeuvre, que ça te plaise ou non.
Bisous.
Pas sur que Damouk soit anti Gravity en employant le terme flamboyant…