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La Vie la vie : retour sur la série culte québécoise avec Vincent Graton

La Vie la vie : retour sur la série culte québécoise avec Vincent Graton

Diffusée de 2001 à 2002 sur Radio Canada, La Vie la vie est une chronique douce amère sur 5 amis, interprétés par Julie McClemens, Macha Limonchik, Patrick Labbé, Normand Daneau et Vincent Graton. Un morceau de vie de cinq trentenaires, aussi délicat que touchant.

Retour sur ce monument télévisuel totalement inconnu en France avec Vincent Graton, l’interprète de Jacques…

DAILY MARS : Quand vous repensez à l’aventure La Vie la vie, quelle est la première chose qui vous revient en tête ?
VINCENT GRATON : La première chose à laquelle je pense : la joie, le bonheur, une incroyable complicité sur le plateau, une envie folle de vivre le moment présent, une volonté de servir ce projet dans l’esprit de l’écriture de Stéphane Bourguignon… De la fraternité partout.

Ce qui m’a fait tomber amoureux de La Vie la vie dès le premier épisode, c’est la réalité de ce groupe d’amis. Le fait que l’on croit instantanément qu’ils se connaissent depuis tant d’années, qu’il y a un background, des antécédents, des histoires… une profondeur de tous et de chacun après seulement 5 minutes. Qu’est-ce qui vous a fait tomber amoureux de la série ?
VG : L’humanité !!!!!!! Nous nous retrouvons dans une petite communauté d’amis où l’amour inconditionnel est enraciné. Les personnages se montrent tels qu’ils sont. Ils sont là les uns pour les autres… dans le silence et la parole.

Jacques, votre personnage, est gay. Et son identité sexuelle est annoncée dès le premier épisode, sans qu’elle soit traitée comme une problématique. La Vie la vie prend naturellement en compte cette situation… en faisant en sorte que ce ne soit justement pas une « situation ». En France, si je me reporte à 2000-2001, il n’y avait aucun gay traité avec autant de subtilité et de naturel. En était-il de même au Québec ou est-ce que La Vie la vie a joué un rôle dans la représentation des personnages homosexuels sur le petit écran ?
VG : Au Québec, les premiers personnages gays étaient incarnés avec beaucoup de stéréotypes… dans la gestuelle, la langue parlée, avec une certaine démesure vestimentaire, un ton comique prédominant. Oui, le sujet était tabou… Pour transcender ces tabous, il fallait, je crois, passer par le rire. Les gays incarnés étaient amusants, un peu déjantés. Et doucement, à travers le rire, je crois que les préjugés se sont aplanis… Je pense au rôle joué dans La Cage aux folles par exemple. On se retrouvait avec des personnages hors normes mais d’une humanité extraordinaire. Ce qui fait qu’après le film, le spectateur préférait passer une soirée avec le personnage de Serrault plutôt que celui de Galabru. Pour ce qui est de mon choix d’y aller vers une proposition plus « naturaliste » sans manièrisme, c’était une condition à mon acceptation. Mais cela était également totalement partagé par l’auteur et le réalisateur. Je voulais qu’on comprenne que l’homosexualité n’est pas une déviance. Je voulais que la tendresse du personnage soit présentée sans être clownesque. Je crois, très humblement, que ce personnage a joué un petit rôle, qu’il a ouvert le cœur des téléspectateurs.

Une série sur les trentenaires, ou les presque quarantenaires dans le cas de Jacques, permet de placer la problématique des questionnements de personnages à un niveau intéressant. Ils ont déjà entamé leurs vies… et sont à un point crucial : celui des premiers regrets et du « encore possible » en quelque sorte. Est-ce que ce point de fixation était intéressant à vos yeux ? Cela permet de donner plus de « poids » à leurs choix et aux risques encourus…

© Cirrus Communications

Patrick Labbé, Macha Limonchik, Normand Daneau, Vincent Graton et Julie McClemens © Cirrus Communications

VG : Très bonne question. Jacques était le plus vieux du groupe, le grand frère. En passant, de positionner le gay de la série dans le rôle du grand frère était très habile. Le personnage de Jacques n’est pas à la même place que les autres. Ces questionnements existentiels sur la mort, sur le temps qu’il lui reste, sur les rêves irréalisés sont à la base de sa vie. Il se questionne sur le sens de sa vie. Il voit le temps passé, l’urgence de vivre alors que ses amis et sa sœur sont ailleurs. C’est la base du début de la quarantaine. Il me reste moins de temps à vivre, comment ai-je le goût de vieillir ? Jacques a effectivement les deux pieds dans ces réflexions.

Il y a diptyque d’épisodes qui, à mon sens, montre à la fois la précision de l’écriture, l’audace de la série et sa maîtrise totale des personnages : celui sur la mauvaise journée (« Anatomie d’une mauvaise journée ») et celui sur la fragilité du bonheur (« La Vie est belle »). Comment qualifieriez-vous le style de Stéphane Bourguignon, l’auteur de la série ? Quelle est sa principale qualité ?

VG : Pour un acteur, quand les mots de l’auteur sortent de sa bouche avec fluidité, il y a une part de talent (rires), mais surtout, cela confirme que l’écriture est là. Les textes de Bourguignon, nous n’avions qu’à être là et tout allait de soi. Il n’y a rien de trop dans son écriture. Pas d’utilisation exagérée de qualificatifs. Il y a une précision. Nous avons fait 39 épisodes de La Vie la vie, un autre auteur aurait surfé sur le succès et en aurait fait le double. Pas Bourguignon. Il a un jugement extraordinaire. Une capacité de se regarder en face pour identifier le superflu et l’éliminer.

L’épisode se déroulant chez la mère de Marie et Jacques est clairement un des plus lourds à porter pour Jacques, qui doit affronter sa colère envers son père. Y en a-t-il d’autres qui vous reviennent en tête et qui vous ont marqué en tant qu’interprète de Jacques ?

VG : Un épisode que j’ai adoré est celui où Jacques a des terribles fièvres dans un Montréal caniculaire. Il hallucine dans la nuit et voit apparaître son père et un amant. Cela arrive à un moment où Jacques n’ose pas s’abandonner à l’amour. Il a peur d’avoir mal, de se laisser aller. Lorsque son père apparaît en songe, il lui dit ceci : « Mon fils, si tu ne te présentes pas tel que tu es, au moins une fois dans ta vie, tu passeras à côté de ta vie » Cette scène est d’une grande tendresse. Ce message dans la nuit sera important pour Jacques, fondamental ! Et encore là, au-delà des relations homosexuelles, on retrouve entre le fils et son père, une tendresse entre hommes qui est immensément belle. En défendant cela, j’avais le sentiment de défendre quelque chose de beau. D’ailleurs, mon père était joué par mon oncle Gilles Pelletier et ma mère par ma tante Françoise Graton… Un clin d’œil du réalisateur qui m’a beaucoup touché.

Cette finesse d’écriture, on la retrouve aussi par exemple dans une superbe réplique lancée à Jacques par Gilbert, dénonçant l’injustice du premier vis-à-vis du second, lequel a toujours été là mais se retrouve bien seul quand lui aussi a un « down ». Comment qualifieriez-vous la trajectoire de Jacques tout au long de la série qui se déroule finalement à un moment crucial mais très compact de son existence ? Qu’apprend-t-il à la fin de la série ?

VG : Il apprend à assumer tout ce qu’il est. Il apprend à aimer. Il apprend à se réconcilier. La scène au cimetière où il regarde le ciel en saluant ses parents est pour moi une scène de réconciliation et d’affranchissement. Et dans la scène finale, j’ai toujours perçu qu’il serait un oncle magnifique. Il aura aussi une descendance à travers les enfants de sa sœur et de ses amis. Il sera là pour eux.

Aviez-vous des craintes quant au dernier épisode de la série, qui devait conclure une si belle aventure et les cheminements de ces 5 personnages ?

VG : Quand j’ai lu la dernière scène, je l’ai trouvée parfaite. Tout est là.

Le succès de la série

J’ai lu pas mal d’articles sur la série et, régulièrement, on souligne son importance dans la fiction, marquant un tournant qualitatif ayant inspiré d’autres séries ultérieures. A-t-elle vraiment changé les choses ?
VG : La Vie la vie fut la première vraie série télé consacrée aux trentenaires. De traduire cette réalité était nécessaire. Ce fut également la première série télé de l’auteur, du réalisateur (qui avait travaillé davantage dans le documentaire), du monteur et du compositeur de musique. Je pense que ces quatre-là sont arrivés avec des propositions neuves, un ton unique qui se distinguaient de ce qui avait été fait avant. Je pense que La Vie la vie a donné un souffle à la télé de chez nous. Ce n’était pas non plus une série maniérée… Il y avait une certaine pureté dans le ton. La Vie la vie a donné de l’air.

La bande de La Vie la vie s’est reformée le temps d’un épisode de Tout sur moi, une série ultérieure de Stéphane Bourguignon. Et via un petit twist amusant : comment imaginer le retour de La Vie la vie à l’antenne. Comment se sont passées ces retrouvailles ?
VG : Nous nous sommes bidonnés comme des fous. Ce furent des retrouvailles trrrrrès amusantes et complices. La Vie la vie est devenue une série un peu… culte chez nous. Je le dis en souriant. De rire de ça fut délicieux.

Stéphane Bourguignon, l’auteur, avait décidé de ne pas aller au-delà des 39 épisodes, coûte que coûte. Mais, par la suite, y a-t-il eu des projets de reformation de la bande de La Vie la vie pour, par exemple, un épisode spécial de réunion ou du moins une envie d’en faire un ? Est-ce quelque chose qui vous intéresserait ?

VG : Il n’y a rien dans l’air à ce sujet. Il serait intéressant de réaliser une série 20 ans plus tard. Je crois que cela serait rempli de potentiel dramatique mais rien ne semble flotter dans l’air.

La carrière

Vous avez joué aussi dans 19-2, autre série très importante de la télé québécoise, qui se démarque par sa diversité et son ambition. Et particulièrement réussie. Quelle est votre vision actuelle de la production de série au Québec ?
VG : Vous avez raison. Il se fait chez nous une télé audacieuse et imaginative. Nous n’avons pas le choix. Le Québec est le seul territoire majoritairement francophone d’Amérique du Nord. Nous sommes des survivants. Nous devons nous renouveler sans arrêt et nous devons le faire avec de petits moyens. Si nous comparions nos budgets avec les vôtres, je pense que vous tomberiez en bas de vos chaises. Ici, il faut être un peu fou pour faire de la télé et du cinéma. Cela prend une force de caractère solide.

Quelles sont les séries québécoises actuelles les plus intéressantes selon vous ?
VG : Actuellement des séries comme Unité 9, Mensonges, La Galère et plusieurs autres carburent.

Plus globalement, le secteur culturel et de la production québécoise a été pas mal attaquée ces dernières années. Où en est la situation ? Et que faut-il faire pour la défendre encore et encore ?
VG : Ah là vous parlez à un militant… (rires) La société Radio Canada a été visée par les coupes des conservateurs qui sont actuellement à Ottawa. Nous sommes actuellement en élections et je souhaite évidemment leur départ… pour ne pas dire plus. La SRC doit avoir les reins solides pour développer, pour innover, pour être le chef de fil. Le Québec et le Canada français ont besoin d’une SRC forte. Nous ne sommes pas contre des restructurations qui maximiseraient les opérations mais la SRC doit avoir les moyens de se développer. Actuellement, le milieu de la télé fait souvent des miracles pour permettre aux projets de se réaliser. En dramatiques, en documentaires, en variétés, en shows pour enfants… Nous avons besoin d’aide.

Je suis également un grand fan de Chambres en ville. Quels souvenirs gardez-vous de ce feuilleton ?
VG : Ahhhhhh Chambres en Ville, quel succès télé ce fut ! Je n’en garde que de beaux souvenirs. J’avais là un très beau personnage à défendre… Joie ce fut.

Quels sont vos projets ?
VG : Je travaille sur une série familiale depuis 14 ans… et je touche aussi à l’animation. Je suis également spécialisé dans le road trip, dans le style documentaire sur les routes canadiennes. J’adore aller à la rencontre des gens et révéler un peu de ce qu’ils sont.

Propos recueillis par Thomas Destouches le 18 août 2015
Remerciements chaleureux à Vincent Graton pour le temps consacré à cette entrevue

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