
La vie sans Hannah (13 Reasons Why saison 2 / Netflix)
La question était : comment prolonger un récit qui, en principe, était clos ? La réponse : en continuant chronologiquement l’histoire au présent, tout en approfondissant l’histoire au passé. Et ce, sans tomber dans le piège de la reproduction structurelle. Forcément un poil moins intense que la première saison, cette nouvelle fournée de 13 Reasons Why n’en est pas moins intéressante. [ATTENTION SPOILERS]
Après une première saison rythmée par « l’enquête » de Clay à partir des cassettes laissées par Hannah, et ce que celles-ci révélaient, on passe, du moins de prime abord, à l’équivalent d’un trial movie. De « prime abord », car cette saison 2 de 13 Reasons Why est loin, très loin de se limiter au procès intenté par les parents d’Hannah contre l’école Liberty High.
13 Reasons Why : après le son, l’image old school
Avec d’emblée une nouveauté : après les cassettes audio aisément copiables mais difficilement transmissibles en masse (à l’inverse d’un fichier audio, que l’on peut envoyer par e-mail), on passe aux Polaroïds. L’image, il faut le dire, avait déjà une importance capitale dans la saison 1, mais en tant que motif narratif (les photos volées par Tyler ; la photo prise par Justin de Hannah bourrée, photo qui débute la lente descente aux enfers de la jeune fille). Ici, le Polaroïd prend le relai des K7 par son côté « old school ». L’absence de négatif rend chaque photo unique, un original parfait. Avec une dimension « intime », de cadeau total, de preuve infalsifiable aussi, qui répond à l’intimité de la voix d’Hannah dans le casque d’un Walkman.
Autre dimension liée à l’image/son, mais en sens inverse cette fois : dans la saison 1, Clay pouvait voir Hannah tout en écoutant sa voix ; dans la saison 2, non seulement elle apparaît mais elle lui parle, tandis qu’il reçoit des Polaroïds montrant des scènes d’orgie sexuelle impliquant Bryce. Bref, la hantise d’Hannah-le-fantôme passe à la vitesse supérieure.
Clay est hanté par le spectre d’Hannah, tandis que d’autres sont hantés par leur propre corps. Jessica et Alex sont tous deux comme étrangers à leurs propres enveloppes corporelles, Jessica après ce viol dont elle ne peut dire qui en est l’auteur, Alex après la tentative de suicide qui l’a laissé handicapé et partiellement amnésique.
La composante sexuelle intervient plus que jamais dans cette deuxième saison. Troublé par le souvenir lancinant d’Hannah, Clay ne parvient pas à avoir des relations sexuelles avec Skye ; Alex n’a plus d’érection ; Jessica panique dès qu’un garçon s’approche d’un peu trop près. Le suicide d’Hannah et leur sentiment de culpabilité les « castrent ».
Il faut souligner au passage que le refus des scénaristes de reproduire trop fidèlement la structuration de la saison 1 (une cassette par épisode) pour la saison 2 est un choix hautement judicieux.
Dans la saison 2 de 13 Reasons Why, la dynamique du procès crée une distance
La dynamique narrative mise en place par le procès et ses audiences, qui répond par son rythme (une audience par jour) à l’écoute des cassettes par Clay durant la saison 1, installe davantage de distance entre le spectateur et l’histoire que durant la saison 1. C’est sans doute dû à l’aspect intime nettement moins prononcé d’une audience en public versus l’écoute d’une cassette via un Walkman. Et ce, même si les propos de chaque « intervenant » durant l’audience est amplifiée par sa propre voix en off sur le mode de la confidence, sans que l’on sache vraiment dans quel cadre réaliste cet intervenant se confie ainsi.
En outre, Clay est moins « moteur » dans l’avancée narrative que durant la 1ère saison, du moins dans la première moitié de la saison 2. L’identification du spectateur avec lui est donc moindre.
Ceci étant, les scénaristes ont évité le piège de verser simplement dans une saison 2 de type procedural. Cela a fonctionné pour Broadchurch car cela permet de varier la tonalité tout en restant dans le thème général du « policier ». Pour 13 Reasons Why, cela aurait complètement dénaturé le sens de la série. La dimension procédurale de la saison 2 est exploitée tout en finesse, jouant l’opposition classique entre avocats de la défense (de l’école) et ceux de l’accusation (des parents d’Hannah), ce qui mène à des témoignages tout aussi contrastés, entre ceux qui mentent et ceux qui (se) révèlent, ceux qui servent la cause d’Hannah et ceux qui la desservent.
Comme dans la saison 1, Clay se pose en « gardien du temple » d’Hannah. Mais sa situation a évolué : dans la précédente saison, il s’agissait de révéler les culpabilités secrètes des « amis » d’Hannah dans le suicide de celle-ci, malgré les blessures qu’ils endurent au passage (ou précisément à cause d’elles) ; dans la saison 2, il est lui-même blessé par les révélations sur la vie d’Hannah, et c’est moins en « chevalier blanc » qu’il intervient désormais que dans la position d’un garçon qui avait idéalisé une fille et qui s’aperçoit que celle-ci a fait l’amour avec un autre, avait toujours le béguin pour un beau gosse qui avait diffusé une photo d’elle compromettante, voire avait volontairement couché avec le bad guy.
Sa colère se retourne contre elle (son fantôme, c’est-à-dire ce souvenir d’elle qui le hante) et contre les autres. Par exemple, il en veut à Zach non plus à cause de ce qu’il a fait (voler la lettre destinée à Hannah, ne pas soutenir celle-ci face aux rumeurs et aux insultes, ne pas révéler et assumer leur relation amoureuse) mais en raison de ce qu’il a pu connaître avec Hannah (une relation sentimentale et charnelle, ce que Clay ne connaîtra jamais).
13 Reasons Why : montée en intensité dans la seconde moitié de la saison 2
Comme dans la saison 1, on observe une puissante montée en tension à partir de l’épisode médian. L’épisode 7 est logiquement consacré à Clay. Il se voit confronté, par les autres membres du petit groupe, à la question : en quoi est-il différent des autres ? Il a causé du tort à Hannah, comme les autres ; il l’a laissée tomber au lieu de l’aider, comme les autres ; il a beaucoup à se reprocher, comme les autres. En quoi est-il fondé à se poser en gardien du temple et en juge universel pour tous les maux causés à Hannah ?
Clay interprète les cassettes laissées par Hannah comme l’expression d’une volonté de vengeance de la part de celle-ci. Hannah lui rétorque que c’était peut-être juste une façon de raconter elle-même son histoire, afin que cela ne se reproduise plus. Clay lui répond qu’elle n’a plus voix au chapitre, parce qu’elle est partie. Bref, il s’est donné le rôle du juge ultime.
Cette seconde moitié de saison est, comme la seconde partie de la saison 1, placée sous le signe du viol, qu’il soit accompli ou évoqué de manière implicite, sous forme de menace. Dans le rôle de Bryce Walker, Justin Prentice joue à merveille du sous-entendu, du danger. Entrer dans le Clubhouse à sa suite, c’est s’exposer à toutes les possibilités, à tous les avilissements. Et ne pas se souvenir de ce qui s’est passé n’est pas une porte de sortie, car les sportifs qui y abusent des jeunes filles conservent des Polaroïds de leurs actes depuis plusieurs années, histoire de s’assurer le silence des victimes.
L’épisode 9, consacré à Kevin Porter, le conseiller d’orientation, compte parmi les plus émouvants de cette saison 2. Et l’épisode 10, dans lequel Tony est appelé à témoigner (par l’école), est peut-être le plus intense jusqu’à ce point de la saison 2, à cause de la scène où Sheri se rend dans le Clubhouse avec trois joueurs de baseball, et où plane lourdement l’ombre du viol.
En réalité, si Clay n’est pas le moteur narratif de la saison 2, il en reste le moteur signifiant : tout tourne autour de son acceptation, ou non, de la complexité du personnage d’Hannah, qui peut avoir une relation amoureuse avec Zach, Justin voire Bryce (mais est-ce un mensonge de sa part ?), accepter une invitation de Marcus, et avoir un passé de harceleuse, tout en restant une bonne personne, « la » Hannah qu’il a connue.
C’est peut-être là qu’il faut trouver le sens ultime de 13 Reasons Why : accepter la complexité des êtres qui nous entourent. Et sa propre complexité, qui passe notamment par la réalisation qu’on peut aimer quelqu’un et le « laisser partir ». Dans l’ultime épisode, Clay dit : « Life is divided into « Hannah » and « after Hanna ». Memories are sometimes a relief. And sometimes they’re torture. But we hold on to the memories. »
Certes, il s’agit sans doute de l’épisode le plus faible de tous, mais il a l’intelligence de clore la série sur une question, dans un contexte rappelant la tuerie de Columbine : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » On vit. On survit. On affronte le prochain problème. On traverse le prochain drame. Car on a toujours le choix – les harceleurs et les violeurs feraient bien de s’en souvenir.
Une série magnifique peuplée de jeunes intenses et justes. Une série à écouter au casque et à regarder la nuit, dans son lit ou son canapé. Pour laisser Hannah, Clay et les autres murmurer leur terrible histoire dans son oreille. Comme une confession.
13 Reasons Why saison 2 en 13 épisodes,
Diffusée sur Netflix le 18 mai 2018
Série créée par Brian Yorkey
D’après le roman éponyme de Jay Asher
Épisodes écrits par Brian Yorkey, Thomas Higgins, Marissa Jo Cerar, Hayley Tyler, Nic Sheff, Julia Bicknell, Felischa Marye, Rohit Kumar, Kirk Moore
Épisodes réalisés par Gregg Araki, Karen Moncrieff, Eliza Hittman, Michael Morris, Kat Candler, Jessica Yu, Kyle Patrick Alvarez
Avec Dylan Minnette, Katherine Langford, Christian Navarro, Alisha Boe, Brandon Flynn, Justin Prentice, Kate Walsh, etc.