
L’amour naphtaline (Critique de Brooklyn, de John Crowley)
Classique à mort, traditionnel à souhait, Brooklyn et son intrigue vieille comme le monde réussit à briller malgré son style démodé. Preuve qu’en 2016 le vintage fonctionne toujours autant.
Synopsis : Dans les années 50, la jeune Eilis (Saoirse Ronan) quitte son Irlande natale et sa famille en quête d’un avenir meilleur. Installée dans le quartier new-yorkais de Brooklyn, elle parvient à s’épanouir et découvre l’amour auprès de Tony (Emory Cohen), fils d’immigrés italiens. Mais lorsqu’elle est forcée de retourner de l’autre côté de l’océan, elle fait la rencontre de Jim (Domhnall Gleeson). Elle va alors devoir choisir entre deux hommes et deux pays.
Si on devait le comparer à un gâteau, Brooklyn serait définitivement une tarte aux pommes. Traditionnelle, classique, mais indémodable. Un truc de grand-mère dont on connaît le goût par cœur mais qui demande une maîtrise de feu et une recette infaillible. Heureusement, John Crowley a le talent de mère grand, les bons ustensiles et un bon kilo de granny smith pour faire le job.
Dit plus simplement, et sans filer plus loin la métaphore pâtissière, Brooklyn nous emmène sur un terrain balisé mais jamais fadasse, attendu mais jamais soporifique. Un truc goûteux quoi. Adaptation du roman de Colm Tóibín mitonnée par Nick Hornby, le film brasse large. Quête initiatique, histoire d’immigration, triangle amoureux… Autant de poncifs du mélo traditionnel qui pourraient faire bâiller mais qui réussissent pourtant, au sein de ce récit, à devenir passionnants. Le secret du metteur en scène ? Une vraie sincérité émotionnelle qui, si elle sent la naphtaline, ne sonne jamais faux.
Dans son entreprise, le réalisateur est aidé d’un casting solide emmené par la toute jeune Saoirse Ronan. Découverte dans The Lovely Bones, Hanna et The Grand Budapest Hotel, elle incarne avec grâce et fragilité le personnage d’Eillis, véritable héroïne austinienne transportée dans le nouveau monde. Sensible mais forte, perdue mais déterminée, elle traverse autant d’épreuves qui, si elles sont profondément ancrées dans les fifties, ont un écho résolument contemporain : le déracinement, la découverte du monde du travail, la construction du couple, l’affirmation de soi, la prise en main de son futur… Pour donner corps à son univers et son histoire, John Crowley a par ailleurs eu le bon goût de soigner aux petits oignons tous ses personnages secondaires, de l’amoureux transi Emory Cohen au pasteur bienveillant interprété par Jim Broadbent. Comme à son habitude, Domhnall Gleeson dans son rôle de prétendant éconduit est quant à lui d’une admirable justesse, prouvant encore une fois qu’il excelle dans n’importe quel registre.
Pour donner corps à son univers, Crowley fait appel à Yves Bélanger, directeur de la photographie québécois ayant travaillé avec Jean-Marc Vallée et Xavier Dolan et aux directeurs artistiques Robert Parle et Irene O’Brien. Grâce à leurs efforts conjugués, les faubourgs de Manhattan et les petites rues d’Irlande respirent l’authenticité et le romantisme suranné. L’Amérique est chatoyante, étincelante, jaune canari, rouge pétant et chromé. L’Irlande est verte, bleu-gris, minérale, pure et sobre. On y croit, on s’y croit, et on se laisse porter par une histoire modeste mais complètement habitée.
Surpris, on ne l’est certes jamais. Pour peu qu’on ait lu un roman d’Emily Brontë ou Les Quatre Filles du docteur March, on retrouve tous les retournements de situation dramatiques auxquels on pourrait s’attendre. Cependant, force est de constater que malgré son apparente banalité, l’histoire est portée par un souffle aussi désuet que touchant, par un universalisme qui met tout le monde d’accord. On est alors étonné d’être ému par autant de classicisme et de trouver rafraîchissant un film dont on a l’impression de connaître tous les ressorts. De Brooklyn, on ne retiendra pas de fulgurances de mise en scène, de performances à couper le souffle ou de génie narratif. Mais la sincérité que Crowley et ses acteurs infusent dans leur film suffit pleinement à faire effet et à créer un objet simple, léger et d’une efficacité formelle redoutable.
Brooklyn de John Crowley (1h45) avec Saoirse Ronan, Domhnall Gleeson, Emory Cohen, Julie Walters, Jim Broadbent, Jessica Paré et Emily Bett Rickards. (Sortie BE le 24/02. Sortie FR le 09/03)