L’art culinaire chez Hannibal

L’art culinaire chez Hannibal

A l’occasion de la diffusion de la série Chefs sur France 2, le Daily Mars revient cette semaine sur les rapports qui unissent la série et la cuisine. Hannibal a largement démontré sa force symbolique à travers l’exploitation de figures oniriques, geste qui se poursuit du côté de l’art culinaire.

©Janice Poon / © Gaumont International Television

©Janice Poon / © Gaumont International Television

 

Dis moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. Chez Hannibal Lecter, l’expression pourrait se travestir et donner : dis moi ce que tu dresses, je te dirai qui tu es.

En cuisine, le dressage est l’art de présenter des assiettes (ou plats). Les émissions culinaires nous le répètent, tel un mantra, le visuel est le premier contact entre le client et le mets. Il doit mettre en appétit, évoquer une histoire, donner une promesse. Il existe une graduation quand on aborde une dégustation : la vue, l’odorat, le toucher puis le goût. On regarde, on sent, on ressent la texture (moelleux, croustillant,…) puis les papilles gustatives achèvent ce cycle. A travers un écran de télévision, la vue est l’unique lien qui unit le spectateur au plat.

©Janice Poon / © Gaumont International Television

©Janice Poon / © Gaumont International Television

La série Hannibal s’est souvent distinguée par le soin qu’elle apportait à sa forme. Cadres très composés, couleurs saturées, noirs profonds, le visuel n’est pas au service de l’écriture, il le complète. L’exposition du meurtre devient un tableau, une œuvre d’art, un concept. Il est naturel de voir ce geste poursuivi jusque dans les assiettes de l’épicurien cannibale. Outre son appétence pour la chair humaine, Hannibal est un être atypique. Peu en phase avec son époque. Ses tenues témoignent d’un goût raffiné, sophistiqué mais suranné. Voire anachronique. Une tendance naturelle qui se retrouve dans ses assiettes et sa conception générale de la cuisine. Une conception passée de mode qui rappelle les grands classiques.

Sans nécessairement revenir aux pères fondateurs comme Auguste Escoffier, nous pouvons trouver une prédisposition naturelle à cette cuisine qui mêle le rustique de morceaux peu nobles et le raffinement. Chez Hannibal, la cuisine est un art et il n’existe aucun mets non digne de figurer dans une assiette. Évidemment, en jouant sur la présence de tripes, cervelles ou cœurs, les auteurs et particulièrement Janice Poon, styliste culinaire sur la série, figurent le côté psychopathe de l’homme. Mais on retrouve également une volonté de perpétuer une tradition qui s’est atténuée avec le temps. Les assiettes sont chargées, presque baroques dans leur conception (à l’image de la série qui aime la profusion, inondant le cadre d’éléments prêtant à l’analyse). Les sauces sont très marquées et présentes dans l’assiette, elles recouvrent généralement l’ingrédient principal (Hannibal est un maître de la dissimulation).

©Janice Poon

©Janice Poon

Les plats ou assiettes de Hannibal sont le reflet de ce qu’il est. Ses compositions proposent souvent des morceaux farcis, des superpositions, dans un jeu qui rappelle l’éviscération, le meurtre. Il y a un culte de la mort dans la signature du psychiatre. Mort sacrificielle comme l’agneau, présenté toute côtes saillantes, mort exécutrice où le gibier figurera le côté chasseur de Hannibal, mort écarlate avec ses sauces au sang, ses gelées au vin rouge. Un jeu malade quand les tentacules d’un poulpe semblent étouffer un homard. Le travail pictural autour des plats témoignent d’une volonté de symbolisme mais sans renier des principes fondamentaux culinaires. Chose poussée plus loin dans l’illustration de son art de la table.

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©Janice Poon

Hannibal est un hôte parfait qui ne dépaillerait pas dans un dîner chez madame Nadine de Rotschild. Ses tables sont toujours somptueuses, démonstration de son savoir faire, de son sens de l’esthétisme mais aussi de sa perversion. En jonglant entre les différents types de service, il joue avec les notions de libre arbitre, de responsabilité, de culpabilité. Un pur exercice de manipulation. Quand il sert à l’assiette, Hannibal impose sa personnalité, assure sa position de dominateur. Quand il utilise un service à la française où tous les plats sont posés sur la table, il pervertit son audience en les obligeant à se servir eux-mêmes des plats interdits. Parfois en tête à tête en cuisine avec un convive, il optera pour une variation du service à la russe où sa dextérité, son geste juste et précis devient une parade amoureuse, comme la roue du paon.

 

L’art culinaire s’accompagne, chez Hannibal, d’un art de la mise à mort. C’est un chasseur. Il tue par plaisir. Mais ce plaisir est multiple. Il se retrouve dans son épicurisme, son goût pour la bonne chère, son envie de partager (au sens de corrompre). Le soin qu’apporte la série à mettre en scène la nourriture, autant que le meurtre, témoigne de cette volonté, très forte, de ne rien laisser au hasard, où tout est symbole, métaphore et à plusieurs niveaux de lecture.

 

Janice Poon tient un blog sur lequel elle présente ses dessins préparatifs, ses créations culinaires ainsi que des recettes détaillées : Feeding Hannibal.

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