
L’art ?, d’Eleanor Davis
À quoi sert l’art ? Et qu’est-ce que l’art, en fin de compte ? Réponse en images – et en pratique – par la jeune dessinatrice américaine Eleanor Davis. Avec un talent fou et un sens inné de la fluidité et de la surprise.
L’histoire : Dans ce vrai-faux livre pédagogique, Eleanor Davis répond sans y répondre à toutes les questions que vous vous êtes toujours posées sur l’art sans jamais oser les poser à autrui. Aucune réponse définitive, heureusement : des pistes, des fils narratifs, des boucles… Une énergie pour chercher son propre chemin et sa propre définition.
Mon avis : Illustratrice autant qu’auteure de BD, Eleanor Davis prend à bras-le-corps une interrogation qui mènerait facilement à un résultat pompeux, aride ou cliché. Elle en déjoue tous les écueils par une narration fluide.
Narration ? Pas au début. Au commencement est l’exposition du sujet : la couleur, la taille, l’intention de l’artiste, le masque, le miroir, l’aspect comestible, la dissimulation, etc. L’occasion de jeux sur le médium : des dessins en noir et blanc pour signifier l’importance de la couleur ; un livre au final plutôt petit pour parler de l’importance de la taille, avec personnage en pied ou bout de pied pour offrir une idée de l’échelle…
Eleanor Davis joue avec son sujet, le déploie comme un éventail. Ou plutôt, elle s’en sert comme d’un rayon de lumière à travers un prisme. Un objet de verre à la forme étrange et mouvante, qu’elle fait tourner dans sa main, produisant des arcs-en-ciel toujours changeants qu’elle capte ensuite sur la page.
Un phénomène dont on trouve l’écho lorsqu’Eleanor Davis parle des “talismans” créés par Sophia. De petits objets à “secouer délicatement en cas de crise”. Une note de musique retentit alors doucement. Or, “entendre la note vous fera changer de couleur”, écrit-elle. Apparaissent à ce moment les seules touches de couleur du livre, un personnage passant du bleu au violet puis au vert.
C’est alors que l’aventure commence. Un groupe d’artistes exposent leurs talents très divers. Un soir, juste avant l’ouverture de leur présentation commune d’œuvres, une tempête emporte le toit et endommage irrémédiablement leur production. Un diorama – petite mise en scène en volume – est sauvé. Via ce diorama, les artistes sont transportés dans un nouveau monde, où ils commencent à se recréer eux-mêmes sous forme de petites figurines animées, qui elles-mêmes recréent les œuvres disparues.
La boucle se boucle. Ou, plus exactement, le monde continue sa spirale, les échelles se succèdent, on est tous la marionnette et le géant de quelqu’un. Façon, aussi, d’observer que l’art est partout, en tous et en tout, et que tout est art. Celui-ci nous apprend le courage. Il nous fait ressentir l’amour – parfois même trop. Il nous montre la fragilité et la solidité du monde.
Quoi de mieux qu’une œuvre d’art comme celle-ci pour nous faire explorer, en douceur et en passion, cet univers passionnant ? Il fallait bien une œuvre aussi inventive pour nous dévoiler le moteur de l’art. Une œuvre qui se forme et se déforme sous nos yeux, et dont nous faisons naturellement partie.
En accompagnement : Le quatuor à cordes de Maurice Ravel, pour sa structure en cercles mouvants, ou une Arabesque de Claude Debussy.
Si vous aimez : Les grands livres sur la bande dessinée de Scott McCloud, tels que L’Art invisible, où il nous fait jeter un œil sur les rouages de l’art séquentiel… en utilisant précisément les rouages de l’art séquentiel.
L’art ?
Écrit et dessiné par Eleanor Davis
Édité par Atrabile